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juin 1918 : Il
n'y a rien d'aussi stupéfiant, satisfaisant, pour la vanité
humaine, pour l'amour de soi, que de se sentir écouté, que d'avoir
un public apparemment ou réellement attentif.
(Josep
Pla, Le
cahier gris : un journal ;
trad. Pascale Bardoulaud, Éd. Jacqueline Chambon, 1992)
Je
reviens donc de mon petit périple dans le Poitou, avec arrêts à
Arçais, Montreuil-Bonnin et Poitiers.
Claude, affublé d'une perruque, ouvre la soirée :
un sketch qui se moque gentiment des poètes
À
Arçais, en plein Marais poitevin, la Guinguette du Marais offrait en ce samedi
14 septembre un dîner-spectacle auquel j'étais convié à
participer. En fait, la soirée, préparée et animée par l'ami
Claude Andrzejewski (seize ou dix-sept ans qu'on se connaît) a été
l'occasion d'écouter des musiciens (saxophoniste, accordéoniste,
formidables tous deux), un crieur (qui a fort bien dit un extrait des
Pieds dans l'eau, de René Fallet) et d'entendre Claude, son
épouse Virginie et sa fille Émilie
chanter. Chacun des trois a eu sa chanson personnelle (une chanson
d'Alain Leprest, que je ne connaissais pas, La gitane, pour
Virginie, L'accordéoniste de Piaf pour Émilie,
et plusieurs chansons dont Est-ce ainsi que les hommes vivent
d'Aragon et Ferré et Le tango corse pour Claude, déchaîné
dans cette dernière chanson, que je connaissais, ayant le disque de
Fernandel, mais qui m'a quand même, comme le restant du public, fait
plier de rire). Virginie et Émilie
ont chanté en duo l'excellente Complainte des filles de joie
de Brassens, et tous trois ont poussé La Javanaise de
Gainsbourg. Bien sûr, on a mangé aussi, et fort bien.
Virginie chante
Enfin, après
le café, je suis passé avec quelques textes extraits de mon dernier
livre. La poésie a-t-elle sa place dans une soirée-cabaret de ce
genre ? Je me suis posé la question après. On m'a écouté
dans un silence recueilli, mais après la musique et les chansons,
c'était bien sûr un peu fade. Mais ça m'a servi de galop d'essai
pour Poitiers. Belle soirée donc, que je n'oublierai pas. Merci
aussi à Monique, chez qui j'ai dormi, à Valentin (garde bien toujours l'éclat de tes quinze ans !), qui a failli me
faire faire une promenade en barque mais il pleuvait...
Deuxième
arrêt : chez l'ami Christian Rome, photographe à la DRAC. Je
n'avais pas revu sa maison écologique depuis 2006, où nous l'avions
visitée avec Claire et Mathieu. Ce dernier, de retour de Suède
s'intéressait vivement à ce genre de maison. Outre le plaisir de
renouer l'amitié, je voulais voir comment elle avait vieilli, car
elle était alors toute neuve. Elle est conçue pour ne pas avoir de
déperdition de chaleur en hiver (un poêle central, énorme, chauffe
l'ensemble de la maison) comme pour rester fraîche en été, sans le
moindre appareil électrique de climatisation. Une vraie réussite,
très confortable : j'ai hélas oublié de prendre des photos. J'ai dormi à l'étage, entièrement conçu en
mezzanine. On a visité le jardin, je devrais plutôt dire le parc,
où il a planté une centaine d'arbres, laissé les haies s'épanouir
et les herbes sauvages prospérer. Sa bibliothèque, sa discothèque,
sont formidables. En attendant Sylvie, qui travaille à l'hôpital
psychiatrique, et ne rentrait qu'à dix heures du soir, on a refait
le monde, comme si on s'était quittés la veille. Sylvie, rentrant
dans la nuit, a illuminé la maison de sa présence douce et
chaleureuse.
Troisième
arrêt : Poitiers. Le tour des amis, Georges, Odile, Frédéric,
Gilles (qui m'a prêté son appartement), l'arrivée de Lucile et un
dîner à Mignaloux-Beauvoir chez ma sœur Danièle, où une autre de
mes sœurs, Marie-France, était de passage, et la soirée du
mercredi est arrivée. J'étais convié par la librairie La belle
aventure à une présentation de mon livre Le temps écorché.
Devant le public attentif (photo Bernard Liégeois)
Devant une quinzaine de personnes (dont Anita, Martine, Bernard et
Roselyne, pas vus depuis longtemps), Christine Drugmant, la libraire,
a introduit la lecture en retraçant mon parcours, me faisant parler
de ce qui m'a amené au livre et à la poésie. Grâce au ballon
d'essai du samedi précédent, ma lecture a été plus fluide.
Le lecteur (photo Bernard Liégeois)
Je
pense que le public a été intéressé, sinon ravi et conquis. Je
n'ai eu que de bons échos, et j'ai passé un excellent moment. Cinq
exemplaires ont été vendus et dédicacés. Je recommencerai ;
il faut que je contacte d'autres libraires en d'autres lieux.
Cependant, l'écrivain catalan Josep Pla (son livre Le cahier
gris, que Charles Juliet m'a fait connaître, est superbe) peut
être satisfait : je n'ai tiré de cette soirée aucune vanité,
mais un simple contentement de soi, qui me semble légitime,
puisqu'elle a été réussie. Merci à la librairie et aux auditeurs
venus m'entendre.
Signature (photo Bernard Liégeois)
Josep
Pla écrivait le 16 avril 1918 : "Cela
m'effraie de voir le peu de personnes qui conservent dans le regard
quelque trace d'illusion et de poésie – l'illusion et la poésie
de leurs dix-sept ans. Dans la plupart des yeux, tout éclat pour les
choses immatérielles et divertissantes, gratuites, fascinantes,
incertaines et passionnantes, s'est envolé."
Je peux affirmer que j'ai rencontré, dans ma vie en général et
dans cette tournée en particulier, beaucoup de personnes dont les
yeux ont gardé cet éclat : ainsi, en quelques jours, toutes
les personnes citées plus haut m'ont semblé lumineuses. La vie
n'est donc pas si mal, après tout !
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