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janvier 1993 : Il
a beaucoup souffert et se sent concerné par la souffrance d'autrui.
Il espère achever sa vie en ne possédant rien.
(Charles
Juliet, Lumières
d'automne. Journal VI : 1993-1996)
Essai de Garonne à Bordeaux
Je
ne regarde pas la télévision. En ce sens, je suis un atypique dans
notre monde actuel. J'ai pourtant rencontré à Venise Geneviève,
qui ne possède ni télévision ni ordinateur, et à qui ça ne
semble pas manquer le moins du monde. Beaucoup de mes amis n'ont
jamais eu la télévision et ne s'en portent pas plus mal. Ni de voiture d'ailleurs ! Ceci
étant, je n'ai rien contre la télé (enfin, un peu quand même, sinon je
l'ouvrirai plus souvent), simplement je n'en ai pas besoin pour
vivre. J'ai heureusement beaucoup d'autres centres d'intérêt :
la littérature en premier lieu – et ce sera très dur pour moi le
jour où je n'y verrai plus et ne pourrai donc plus lire ; j'ai
rencontré aussi à Venise une dame, une Belge, pourtant bien plus
jeune que moi, affligée d'une maladie de la rétine qui peu à peu
lui limite la vision. Elle a accepté ça – peut-on faire
autrement ? Mais j'ai bien vu qu'elle en souffrait. Et la
télévision – qui offre une présence – ne peut pas remplacer le
livre, car elle alimente peu la vie intérieure.
"La
télévision présente, en effet, un simulacre de démocratie,
organisant l'illusion que tout le monde pourrait s'exprimer sur son
plateau alors qu'elle est la forteresse inaccessible d'une équipe de
privilégiés",
écrit Jean-Luc Coudray, dans l'excellent La
décroissance
de septembre 2013. Les journaux télévisés sont non seulement
affligeants par leur faible contenu, mais aussi parce qu'ils
déforment la réalité, en privilégiant le visuel terrifiant et
l'idéologie sécuritaire. Ainsi, Jacques Lecomte, dans son superbe
livre La
bonté humaine, altruisme, empathie, générosité
(Odile Jacob, 2012) montre que lors de l'ouragan Katrina de 2005 à
La Nouvelle-Orléans, la frénésie médiatique s'est emparée de
quelques images de pillage (qui d'ailleurs, on l'a su plus tard, n'étaient nullement du pillage, mais
des actions pour trouver des couvertures et de la nourriture, afin de ne
pas mourir de faim ou de froid) au détriment de la solidarité et de
l'extraordinaire élan collectif de la très grande majorité des
habitants. Mais le pillage était spectaculaire, l'entraide et le
secours ne l'étaient pas. Et on pourrait multiplier les exemples.
"Nous
ne fixons pas d'auberge / Pour la fin de notre voyage, / Nous n'avons
donc pas / De chemins où nous égarer",
écrivait le poète japonais Ikkyû, dans Nuages
fous (Albin
Michel, 1991).
Puisque j'approche de la fin de mon voyage – en tout cas, je suis
plus près de la fin que du début, je ne vais tout de même pas
dépasser 135 ans ! – je n'ai plus envie de prendre les
chemins qui nous égarent, ni de m'incliner devant les ineffables
meneurs (menteurs) de notre société. Je lis d'ailleurs assez peu la presse,
car comme l'écrivait déjà la poétesse russe Marina Tsvétaïeva,
dans son poème Les
lecteurs de la presse
(in Tentative
de jalousie,
Gallimard) : "Gloutons
de vacuités, / Les lecteurs de la presse !"
Je suis effaré de voir ce que sont devenus, par exemple, L'express
et Le
nouvel observateur :
le summum du vide, une vitrine de la société de consommation, il y a plus à y voir des
pubs qu'à y lire de l'information. Le
monde même
n'est plus que l'ombre du grand journal qu'il fut.
Tandis
que, comme l'écrivait Charles Juliet dans son Journal
le 29
mars 1995 : "L'écrivain
est celui qui parle pour ceux qui ne peuvent prendre la parole. Et
aussi, pour ceux qui se sont coupés d'eux-mêmes, n'ont pas accès à
leur intériorité".
Mes nombreux passages en prison – aussi bien que la lecture de
témoignages comme l'excellent Lettres
de Clairvaux (L'Harmattan,
2008) – m'ont d'ailleurs convaincu que ce qui manque le plus à la
majorité des détenus, c'est justement cet accès à l'intériorité
que donnent la maîtrise du langage, de l'écriture et de la lecture,
et la pratique de la méditation et de la spiritualité. D'où leur agressivité – et la prison ne les arrange pas, car elle reproduit, en
pire, en concentré, la violence des rapports sociaux extérieurs.
les fleurs de l'intériorité
Vivent
donc la lecture, la littérature, les librairies et les
bibliothèques !
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