jeudi 26 septembre 2013

26 septembre 2013 : l'humain d'abord


L'émigrant vit deux vies. L'une dans la langue du pays, celle des choses pratiques, du travail, de la rue. Et une autre vie intime, celle de la réflexion et de la mémoire, qui continue à se dérouler dans la langue de son enfance.
(Carlos Liscano, L'écrivain et l'autre)

Trois films, trois variations sur les aspects de la solitude dans le monde contemporain appliqués à trois thèmes fondamentaux : l'immigré, la fin de vie, la garde des enfants dans les couples séparés. Je ne vais pas m'étendre longuement dessus, car je préfère vous les laisser voir. Quelques indications seulement.



Commençons par Ilo Ilo, mon premier film singapourien (vu avec Mathieu et Lucile à Clermont-Ferrand), qui m'a fait à peu près le même choc qu'Une simple vie, le film chinois que j'avais chroniqué le 9 mai dernier. Comme ce dernier, nous avons affaire ici à un petit bijou d'humanité, un véritable OFNI dans le monde du cinéma actuel qui défile à deux cent mille images/seconde, comme si la vie n'était qu'une course. Jiale, un garçon solitaire que ses deux parents négligent, trop absorbés par leur travail, est devenu à dix ans un horrible garnement tant en classe qu'à la maison. Les parents, qui s'en rendent compte, engagent une nounou philippine, Teresa, qui doit en outre s'occuper de tout à la maison. Cette jeune femme a laissé là-bas un enfant en bas âge. Jiale lui en fait voir de toutes les couleurs, jusqu'au moment où il se rend compte qu'au fond Teresa est la seule personne sur qui il peut compter, et cette dernière devient en quelque sorte une mère de substitution. Ils vont s'apprivoiser et même s'aimer d'une profonde et secrète affection. Dans ce film peu bavard, tout passe par les gestes, les regards : la fameuse pudeur asiatique. Le film, très beau, brasse aussi d'autres thèmes (le chômage et la honte, entre autres). Je ne sais quel homme politique a choisi comme slogan l'humain d'abord. Eh bien, voyez ce film. En voici une application.



Sur la fin de vie, il y a eu ces derniers temps quelques films mémorables, Indian palace (sur les retraités anglais), La belle endormie (vu à Venise l'an passé, il avait déchaîné les foudres des cathos intégristes), Quelques heures de printemps (où Vincent Lindon accompagne sa mère mourir dans la dignité en Suisse). Un nouveau film italien, Miele, nous raconte l'histoire d'une jeune femme qui, en toute illégalité, aide à mourir ceux qui lui en ont fait la demande, tous volontaires, bien sûr. En quelque sorte une bonne sœur de l'euthanasie. Elle se procure au Mexique les barbituriques interdits en Europe ; on la voit ainsi aider une vieille femme qui n'en peut plus ou un jeune homme grabataire atteint d'une maladie génétique. Miele est le pseudo d'Irène, trentenaire solitaire et sportive. Jusqu'au jour où elle tombe sur un "client" suicidaire, mais qui lui avoue avoir une santé de fer, et qu'elle ne souhaite pas aider. Sujet évidemment polémique, mais on n'a pas du tout affaire ici à un film à thèse pour un débat télévisé. Non, c'est un film romanesque qui nous interroge sur notre rapport avec la mort. Le vieil homme va ainsi conduire Irène (magnifique Jasmine Trinca) à s'interroger sur le sens de ce qu'elle fait. Très beau film qui s'achève sur un plan magnifique de la coupole de la mosquée de Soliman le magnifique à Istanbul.



 
Solitaires, Laetitia et son ex-compagnon Vincent, le sont plus que tout. Ils sont séparés, car il est pas mal déjanté, fait des séjours en hôpital psychiatrique, elle a un nouveau compagnon, complètement dépassé par les événements. Car nous sommes le 6 mai 2012 (d'où le titre La bataille de Solférino), et Laetitia doit couvrir pour une chaîne d'information télévisée le second tour de l'élection présidentielle. Elle a donc commandé un baby-sitter pour garder les deux petites filles qu'elle a eues avec Vincent. Or, ce dernier veut absolument les voir, car c'est son droit. Elle interdit au jeune baby-sitter de lui ouvrir la porte ! Alors qu'à l'extérieur, la bataille des élections est à sa tension maximale, à l'intérieur se joue un autre drame tout en excitation presque aussi hystérique. La réalisatrice Justine Triet nous livre un des films français les plus originaux que j'ai vus ces dernières années. À mi-chemin entre le documentaire (les scènes de rue devant les sièges du PS et de l'UMP, la société du spectacle dans toute ses dimensions) et la fiction. La bataille est aussi bien individuelle que collective. Et l'auteur nous montre que tout n'est pas blanc ou noir. Le père certes a l'air un peu dingue, mais au fond, il aime ses enfants. La mère, elle, est finalement un peu psycho-rigide et, à sa manière, presque aussi dingue. C'est un film de notre temps, où l'amour se cache dans l'étrangeté des comportements. 

symbole de la solitude : le banc public (Poitiers)
 


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