L'émigrant
vit deux vies. L'une dans la langue du pays, celle des choses
pratiques, du travail, de la rue. Et une autre vie intime, celle de
la réflexion et de la mémoire, qui continue à se dérouler dans la
langue de son enfance.
(Carlos
Liscano, L'écrivain
et l'autre)
Trois
films, trois variations sur les aspects de la solitude dans le monde
contemporain appliqués à trois thèmes fondamentaux :
l'immigré, la fin de vie, la garde des enfants dans les couples
séparés. Je ne vais pas m'étendre longuement dessus, car je
préfère vous les laisser voir. Quelques indications seulement.
Commençons
par
Ilo Ilo,
mon premier film singapourien (vu avec Mathieu et Lucile à Clermont-Ferrand), qui m'a fait à peu près le même
choc qu'Une
simple vie,
le film chinois que j'avais chroniqué le 9 mai dernier. Comme ce
dernier, nous avons affaire ici à un petit bijou d'humanité, un
véritable OFNI dans le monde du cinéma actuel qui défile à deux
cent mille images/seconde, comme si la vie n'était qu'une course. Jiale, un garçon solitaire que ses
deux parents négligent, trop absorbés par leur travail, est devenu
à dix ans un horrible garnement tant en classe qu'à la maison. Les
parents, qui s'en rendent compte, engagent une nounou philippine,
Teresa, qui doit en outre s'occuper de tout à la maison. Cette jeune femme a
laissé là-bas un enfant en bas âge. Jiale lui en fait voir de
toutes les couleurs, jusqu'au moment où il se rend compte qu'au fond
Teresa est la seule personne sur qui il peut compter, et cette
dernière devient en quelque sorte une mère de substitution. Ils
vont s'apprivoiser et même s'aimer d'une profonde et secrète
affection. Dans ce film peu bavard, tout passe par les gestes, les
regards : la fameuse pudeur asiatique.
Le film, très beau, brasse aussi d'autres thèmes (le chômage et la
honte, entre autres). Je ne sais quel homme politique a choisi comme
slogan l'humain
d'abord.
Eh bien, voyez ce film. En voici une application.
Sur
la fin de vie, il y a eu ces derniers temps quelques films
mémorables, Indian
palace
(sur les retraités anglais), La
belle endormie
(vu à Venise l'an passé, il avait déchaîné les foudres des cathos intégristes), Quelques
heures de printemps
(où Vincent Lindon accompagne sa mère mourir dans la dignité en
Suisse). Un nouveau film italien, Miele,
nous raconte l'histoire d'une jeune femme qui, en toute illégalité,
aide à mourir ceux qui lui en ont fait la demande, tous volontaires,
bien sûr. En quelque sorte une bonne sœur de l'euthanasie. Elle se
procure au Mexique les barbituriques interdits en Europe ; on la
voit ainsi aider une vieille femme qui n'en peut plus ou un jeune
homme grabataire atteint d'une maladie génétique. Miele est le
pseudo d'Irène, trentenaire solitaire et sportive. Jusqu'au jour où
elle tombe sur un "client" suicidaire, mais qui lui avoue avoir une
santé de fer, et qu'elle ne souhaite pas aider. Sujet évidemment polémique, mais on n'a pas du tout
affaire ici à un film à thèse pour un débat télévisé. Non,
c'est un film romanesque qui nous interroge sur notre rapport avec
la mort. Le vieil homme va ainsi conduire Irène (magnifique Jasmine
Trinca) à s'interroger sur le sens de ce qu'elle fait. Très beau
film qui s'achève sur un plan magnifique de la coupole de la mosquée
de
Soliman le magnifique à Istanbul.
Solitaires,
Laetitia
et son ex-compagnon Vincent, le sont plus que tout. Ils sont séparés,
car il est pas mal déjanté, fait des séjours en hôpital
psychiatrique, elle a un nouveau compagnon, complètement dépassé par
les événements. Car nous sommes le 6 mai 2012 (d'où le titre La
bataille de Solférino),
et Laetitia doit couvrir pour une chaîne d'information télévisée
le second tour de l'élection présidentielle. Elle a donc commandé un baby-sitter
pour garder les deux petites filles qu'elle a eues avec Vincent. Or,
ce dernier veut absolument les voir, car c'est son droit. Elle
interdit au jeune baby-sitter de lui ouvrir la porte ! Alors qu'à
l'extérieur, la bataille des élections est à sa tension maximale,
à l'intérieur se joue un autre drame tout en excitation presque
aussi hystérique. La réalisatrice Justine Triet nous livre un des films
français les plus originaux que j'ai vus ces dernières années. À
mi-chemin entre le documentaire (les scènes de rue devant les sièges
du PS et de l'UMP, la société du spectacle dans toute ses
dimensions) et la fiction. La bataille est aussi bien individuelle
que collective. Et l'auteur nous montre que tout n'est pas blanc ou
noir. Le père certes a l'air un peu dingue, mais au fond, il aime
ses enfants. La mère, elle, est finalement un peu psycho-rigide et, à sa manière, presque aussi dingue.
C'est un film de notre temps, où l'amour se cache dans l'étrangeté des comportements.
symbole de la solitude : le banc public (Poitiers)
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