mercredi 11 septembre 2013

11 septembre 2013 : les vers luisants


des individus devenus prothétiques, qui ne savent plus avancer qu'équipés d'une foule de prothèses techniques.

(Divertir pour dominer : la culture de masse contre les peuples)
 


L'incontournable Pont des Soupirs


De retour de Venise, où j'ai passé huit jours pleins, plus le soir d'arrivée et le matin du départ, je suis encore sous le choc. L'impression d'avoir vécu sur une autre planète. Pas seulement parce que j'étais un festivalier cinématographique, ce qui laisse toujours un goût d'être ailleurs, un ailleurs presque improbable, quoique à Venise largement nourri de rencontres : paysages (canaux, lagune, plage du Lido, jardins, quais, ruelles, places, palais, églises et constructions de toute beauté, vus à pied ou des vaporetti, aussi bien que du train à l'arrivée et au départ), œuvres d'art (là, Mathieu en pourrait parler plus savamment que moi, car il a écumé la Biennale, côté officiel, ce qui ne fut pas mon cas, j'ai seulement vu quelques pavillons à entrée gratuite), et nombreux films d'une quinzaine de pays différents, venant d'Europe, d'Asie, d'Amérique et d'Afrique... Mais aussi rencontres humaines, tant aux petits déjeuners de l'hôtel que sur les vaporetti (cette jeune femme aux cheveux teints en bleu), dans les rues, et dans les files d'attente des salles de projection.

Le Campanile, Place San Marco
 

Ce qui m'a le plus frappé, et d'une année sur l'autre, le phénomène était étonnant, c'est l'ampleur de l'usage des « smartphones » et autres appareils de téléphonie mobile multifonctions. Une nette majorité de festivaliers, mais aussi bien des touristes... et des Vénitiens ne lâchent plus cet instrument, le gardent précieusement à la main (il n'y a pas de voleurs à Venise), s'y référent à tout moment, ne regardent plus rien autour d'eux, et même quand ils sont en couple ou en trio, chacun a l’œil sur sa machine plus que sur sa, son ou ses comparses ! Ça fait tout drôle. On se croit sur une planète peuplée d'extra-terrestres connecté(e)s à leur divinité (ah ! ils ou elles peuvent bien se moquer des chapelets et autres insignes religieux qu'en d'autres temps certain(e)s ne perdaient jamais de vue !). Ceci jusqu'à l'intérieur des salles de projection qui s'illuminent de temps en temps, ça et là, des éclairs de ces petites machines : leurs possesseurs s'intéressaient-ils au film, avaient-ils peur de manquer un message de la plus haute importance, ou bien prenaient-ils des notes rapides sur ce qu'ils voyaient ? Mystère. J'ai fini par surnommer leurs propriétaires les « vers luisants », car dans le noir des cinémas, ça fait exactement le même effet que ces insectes qu'on aperçoit parfois la nuit. Saisissant. 

Pendant une interruption de séance, les "vers luisants" s'allument aussitôt
  

Et exactement "des individus devenus prothétiques", ainsi que l'indique l'excellent livre que j'ai lu à Venise, Divertir pour dominer : la culture de masse contre les peuples, publié chez L'échappée en 2010, où j'ai trouvé aussi : "La communication par écrans interposés permet aux individus d'entrer en contact les uns avec les autres sans prendre le risque de la rencontre. On se prémunit ainsi de la difficulté de la relation humaine. La connexion devient ainsi le paradigme du lien social". À peine la projection terminée, les petites machines retrouvent leurs mains (pour ceux et celles qui les avaient sagement rangées dans leur sac, pour les autres, elles n'avaient pas quitté leurs mains), et chacun(e) se retrouve connecté(e). La minorité dont je faisais partie (généralement au-dessus de quarante ans) observait, effarée, les pouces et autres doigts qui s'agitaient sur les petits écrans.

Autre nouveauté : les films tournés en anglais par des réalisateurs autres ; ainsi le Français Patrice Leconte pour Une promesse (pardon, A promise, d'après Stefan Zweig, on l'aurait pourtant plus vu parlé en allemand !), l'Italien Uberto Pasolini pour Still life, mon film préféré, d'une humanité éblouissante et rare dans un Festival dominé par la violence, les obsessions sexuelles (notamment avec le film coréen Moebius, dont les outrances ont finalement beaucoup fait rire), l'incommunicabilité (Tom à la ferme, du Québécois Xavier Dolan) et la solitude grandissante des individus et des familles dans le monde contemporain (l'admirable film chilien Las niñas Quispe, par exemple). Ne manquez pas non plus le film anglais de Stephen Frears, Philomena, quand il sortira en France, ni l'étonnant Eastern boys, film français malgré son titre anglais, sur l'immigration de l'est en France. Mais presque tous les films que j'ai vus étaient bons, cette fois, et mériteraient de sortir du circuit des festivals pour atteindre un public plus large.

Une installation d'art contemporain (artiste chinois) proche de celles que Mathieu fit à Lyon
 

J'ai laissé Mathieu très libre, nous nous croisions parfois dans la journée, ou on se donnait rendez-vous pour certains films (notamment les reprises de films japonais, les admirables The shade of night de Nakamura et Fleurs d'équinoxe d'Ozu), mais en général on se retrouvait en fin d'après-midi ou le soir pour flâner, découvrir et manger ensemble avant de regagner notre hôtel. 


 Image du pavillon portugais, à l'intérieur d'un bateau, très beau



Il m'a fait découvrir quelques expos libres d'art contemporain, et j'ai revisité en sa compagnie le Palais des Doges.

Autre installation d'art contemporain



Un séjour enchanteur, à tous points de vue.

Et, entre deux films, balade sur la plage du Lido, sous l'éclatant soleil

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Aujourd'hui, quarantième anniversaire du putsch militaire au Chili et de la mort d'Allende. Restons vigilants dans notre monde de plus en plus militarisé.




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