Je
ne reconnais pas un autre signe supérieur que la bonté.
(Ludwig
van Beethoven, cité dans Vie de Beethoven, par Romain
Rolland)
Pour
le quarantième anniversaire du putsch militaire de Pinochet au
Chili, putsch largement fomenté et financé par les USA – ceux-là
même qui prétendent donner des leçons de démocratie partout, en
général à coups de canons, de bombes au phosphore, de napalm, de drones maintenant, faut bien que les
marchands d'armes vivent, mon bon monsieur – un certain nombre de
manifestations se sont déroulées à Bordeaux, en hommage au président Allende.
C'est ainsi que j'ai pu voir le superbe documentaire de Claudia Soto et Jaco Bidermann, Les enfants des mille jours, et me replonger dans cette période qui fut cruciale pour ma conscience politique et sociale. J'étais en effet à ce moment-là en instance de départ d'Angers, et à l'auberge de jeunesse de Trélazé où j'avais passé tout l'été, les commentaires allaient bon train, d'autant que John, l'Américain exilé ici pour refus de faire la guerre au Vietnam, nous a instantanément fait soupçonner que la CIA était derrière. Et avec elle, tous ceux qui souhaitaient instaurer la nouvelle économie de marché dont le Chili fut le terrain d'essai et dont nous subissons toujours les conséquences néfastes : chômage accru, misère qui se généralise, monde marchandisé, politique devenue spectacle, retraites qui battent de l'aile, services publics devenus obsolètes... Mais aussi dividendes multipliés et enrichissement éhonté des uns, financiarisation totale de l'économie sans aucun contrepouvoir politique puisque nos élites, complices, ont abdiqué : "C’est ça le système capitaliste que nous gérons, une école du crime autorisé qui porte à son fronton l’implacable injonction : “Que nul n’entre ici, s’il répugne à servir l’Argent en se servant.” Et c’est pourquoi, même parmi les meilleurs d’entre nous, les “élites” proclamées de notre monde économique, politique et culturel, il ne cesse d’y avoir des gens enclins, par avidité, ambition, orgueil ou bêtise, à piétiner l’éthique afin de pousser toujours plus loin leurs avantages et donc les limites de l’impunité que leur assure le système", nous dit Alain Accardo, dans La décroissance de mai 2013.
C'est ainsi que j'ai pu voir le superbe documentaire de Claudia Soto et Jaco Bidermann, Les enfants des mille jours, et me replonger dans cette période qui fut cruciale pour ma conscience politique et sociale. J'étais en effet à ce moment-là en instance de départ d'Angers, et à l'auberge de jeunesse de Trélazé où j'avais passé tout l'été, les commentaires allaient bon train, d'autant que John, l'Américain exilé ici pour refus de faire la guerre au Vietnam, nous a instantanément fait soupçonner que la CIA était derrière. Et avec elle, tous ceux qui souhaitaient instaurer la nouvelle économie de marché dont le Chili fut le terrain d'essai et dont nous subissons toujours les conséquences néfastes : chômage accru, misère qui se généralise, monde marchandisé, politique devenue spectacle, retraites qui battent de l'aile, services publics devenus obsolètes... Mais aussi dividendes multipliés et enrichissement éhonté des uns, financiarisation totale de l'économie sans aucun contrepouvoir politique puisque nos élites, complices, ont abdiqué : "C’est ça le système capitaliste que nous gérons, une école du crime autorisé qui porte à son fronton l’implacable injonction : “Que nul n’entre ici, s’il répugne à servir l’Argent en se servant.” Et c’est pourquoi, même parmi les meilleurs d’entre nous, les “élites” proclamées de notre monde économique, politique et culturel, il ne cesse d’y avoir des gens enclins, par avidité, ambition, orgueil ou bêtise, à piétiner l’éthique afin de pousser toujours plus loin leurs avantages et donc les limites de l’impunité que leur assure le système", nous dit Alain Accardo, dans La décroissance de mai 2013.
Aussi
n'est-il pas inutile de relire encore une fois des extraits du
dernier message de Salvador Allende, assiégé et bombardé dans le
Palais présidentiel de la Moneda :
"C'est
peut-être la dernière possibilité que j'ai de m'adresser à vous.
Les forces armées aériennes ont bombardé les antennes de Radio
Portales et Radio Corporación. Mes paroles n'expriment pas
l'amertume mais la déception et ces paroles seront le châtiment de
ceux qui ont trahi le serment qu'ils firent. […] Face à ces
événements, je peux dire aux travailleurs : je ne renoncerai pas.
Impliqué dans cette étape historique, je paierai de ma vie ma
loyauté envers le peuple. Je leur dis que j'ai la certitude que la
graine que nous sèmerons dans la conscience et la dignité de
milliers de Chiliens ne pourra germer dans l'obscurantisme. Ils ont
la force, ils pourront nous asservir, mais nul ne retient les avancées
sociales avec le crime et la force. L'Histoire est à nous, c'est le
peuple qui la construit. Travailleurs de ma patrie ! Je veux vous
remercier pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la
confiance que vous avez accordée à un homme qui a été le seul
interprète du grand désir de justice, qui jure avoir respecté la
constitution et la loi. En ce moment crucial, les dernières paroles
que je voudrais vous adresser sont les suivantes : j'espère que la
leçon sera retenue. Le capital étranger, l'impérialisme
réactionnaire ont créé ce climat afin que les Forces Armées
brisent leurs engagements […] : avec l'aide des mains
étrangères ils attendent de s'emparer du pouvoir afin de continuer
à protéger leurs privilèges et l'exploitation des richesses de la
terre. Je voudrais surtout m'adresser à la femme modeste de notre
terre, à la paysanne qui crut en nous, à l'ouvrière qui a
travaillé dur, à la mère qui s'est toujours préoccupée de
l'éducation de ses enfants. Je m'adresse aux professionnels de la
patrie, aux patriotes, à ceux qui depuis un certain temps voient se
dresser au-devant d'eux la sédition [...]. Je m'adresse à la
jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et
leur combativité. Je m'adresse au Chilien, à l'ouvrier, au paysan,
à l'intellectuel, à tous ceux qui seront persécutés parce que
dans notre pays le fascisme était présent depuis un certain temps
déjà par les attentats terroristes, faisant sauter les ponts,
coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et gazoducs,
complices du silence de ceux qui avaient l'obligation d'intervenir...
L'Histoire les jugera ! Il est certain qu'ils feront taire Radio
Magallanes et le métal de ma voix calme ne vous rejoindra plus. Cela
n'a pas d'importance, vous continuerez à m'entendre. Je serai
toujours auprès de vous et vous aurez pour le moins, le souvenir
d'un homme digne qui fut loyal envers la patrie. Le peuple doit se
défendre et non se sacrifier. Le peuple ne doit pas se laisser
cribler de balles, mais ne doit pas non plus se laisser humilier.
Travailleurs de ma patrie ! J'ai confiance au Chili et à son destin.
D'autres hommes dépasseront les temps obscurs et amers durant
lesquels la trahison prétendra s'imposer. Allez de l'avant tout en
sachant que bientôt s'ouvriront de grandes avenues sur lesquelles
passeront des hommes libres de construire une société meilleure.
Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vivent les travailleurs ! Ce sont
mes dernières paroles. J'ai la certitude que le sacrifice ne sera
pas inutile. Et que pour le moins il aura pour sanction morale : la
punition de la félonie, de la lâcheté et de la trahison."
Belles
paroles qui me vont droit au cœur : oui, Salvador, je continue de t'entendre. Savez-vous que j'ai craint en
1981 que la même chose arrive en France ? À l'époque
directeur de la bibliothèque départementale, je participais à des
réunions des huiles du département du Gers à Auch, et j'ai entendu
des hauts gradés militaires – et policiers – dire qu'ils ne
laisseraient en aucun cas le socialisme s'instaurer en France. Il y
avait comme une odeur de putsch dans notre pays ! Et comme le
magnifique discours de Salvador Allende tranche avec celui, lamentable, de Pétain en juin 1940 ! C'est bien là qu'on voit les
différences de rigueur morale entre les défenseurs de l'idéal et
de la légitimité d'un côté, et ceux qui se saisissent de
l'occasion pour prendre un pouvoir, même aussi faible que celui que
Hitler laissa à notre maréchal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire