jeudi 5 mars 2009

5 mars 2009 : L'oisiveté

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Prendre le temps de respirer, se donner une pincée de minutes pour se reposer, remplir ses poumons d’au moins vingt tonnes de souffle afin de déchirer à nouveau sa voix dans les haillons de la nuit.

(Florent Couao-Zotti, Poulet-bicyclette et Cie)

C’est à Noirmoutier, en novembre dernier, que Claire tout à trac me dit : « Je ne sais pas gérer l’oisiveté. » Le grand mot, le gros mot, était lâché… A ce moment-là, elle participait encore un peu aux tâches ménagères (épluchage, mise du couvert), elle lisait encore (trois livres en trois semaines), elle dessinait et peignait encore. J’ai cru qu’elle parlait de notre petite vie égoïste à deux, en vacance loin de tout et de tous. Je ne savais pas qu’elle anticipait sur le développement de sa maladie, et sur ce qui lui arrive depuis maintenant trois semaines : elle ne peut plus rien faire du tout.
Je sais, c’est difficile, dans notre monde où la paresse est dévalorisée, où le fait de ne rien faire est très mal vécu (souvent), d’accorder à ce mot une valeur importante, et surtout de savoir bien vivre cet état.
Pourtant, en ce moment, c’est moi qui aurai grand besoin d’oisiveté, moi dont presque toutes les heures de la journée sont consacrées à assister, soutenir (aux sens propre et figuré), aider Claire, y compris dans les tâches les plus grossières. Je n’arrive guère à désoccuper mon esprit, bridé, contraint, par tout ce qui la concerne, du lever au coucher, de l’habillage au boire et au manger, et j’ai l’impression d’être entré dans la maison de servitude dont parle l’Ancien Testament. Non, je ne vois aucune vertu dans la servitude ; Claire y est entrée elle aussi, puisqu’elle ne dispose plus d’aucune liberté, je suis obligé de la prendre en charge pour tout, de décider à sa place. Elle le vit comme une oppression intolérable, et en particulier à cause de l’oisiveté. Sans voir qu’elle m’enlève toute possibilité d’oisiveté (je ne rêve plus que de ça), et qu’elle m’a réduit en totale servitude.
Quand elle reçoit des amis ou de la famille qui, bien intentionnés, lui parlent de leurs multiples activités, de tous leurs projets, de tout ce qui leur reste à faire, elle sombre dans le désespoir absolu, elle qui ne peut plus rien faire, et se trouve dans une oisiveté non pas choisie mais subie. Oui, ce n’est pas facile, après avoir été super active, d’abandonner toute initiative, de demander sans cesse, et d’attendre encore et toujours. Je ne suis jamais assez prompt à deviner son désir, à anticiper son besoin, à répondre à des souhaits d’ailleurs souvent informulés.
Moi, je n’ai plus à avoir de désirs, de besoins, de souhaits, dans cette maison de servitude. Il me reste celui-là : me reposer, me mettre à l’écart, m’arrêter, rentrer en moi-même. Ce que j’ai le plus grand mal à faire actuellement.
Peut-être vais-je profiter de la venue en nombre de la famille pour me dégager un peu "en touche", pour tester encore le bruit de ma voix intérieure. Peut-on me le reprocher ?

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