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novembre 1919 : j'en
suis arrivé à la conclusion qu'il serait très agréable de vivre
dans le monde que défend ce monsieur, surtout si l'on dispose d'une
bonne rente.
(Josep
Pla, Le
cahier gris : un journal ;
trad. Pascale Bardoulaud, Éd. Jacqueline Chambon, 1992)
Je
parlais hier de l'intolérance, au sens de étroitesse d'esprit, qui
pousse à ne pas supporter les idées ou comportements des personnes
différentes. Sans doute la chose du monde la plus répandue, si l'on
juge par le fanatisme (qui n'est pas que religieux ou philosophique),
la rigidité, et en fin de compte le sectarisme qui débouche sur la
haine des autres qui n'est souvent que la haine de soi et de sa
propre incapacité d'ouverture au monde... L'intolérance est la
marque de fabrique de tous ceux qui s'opposent aux amours illicites
(films d'hier), à ceux qui rejettent le néo-libéralisme, ses plans sociaux, ses délocalisations et ses
fermetures d'usines (on les taxe assez vite de "terroristes", alors que
les patrons se qualifient de "pigeons" ou de "tondus", eux qui traitent
les humains comme de la marchandise), à ceux qui veulent vivre
différemment (je pense aux jeunes filles qui veulent porter le
hidjab, ce qui est leur droit comme d'autres s'habillent en punk ou en
gothique, ou à ceux qui choisissent un mode de vie sobre, à mille lieues de
la consommation à outrance), aux trop nombreux SDF qui font la
manche (mais aucun de nos gros investisseurs-propriétaires ne s'est
jamais demandé s'il était légitime de demander des loyers
exorbitants, et ne voit de lien de cause à effet entre lesdits loyers et le fait de vivre dans la rue), aux défenseurs de l'IVG (avec des méthodes fascistes d'intimidation), etc.
un espace de liberté : peinture murale à Belleville (Paris)
Il
y a pourtant des choses qu'on ne peut pas tolérer : la
marchandisation de l'être humain (femmes, hommes, enfants) par la
prostitution, par exemple ; l'impossibilité de se loger
correctement pour une bonne part de la population, source de misère
et de violence ; la domination masculine ordinaire (qu'hélas,
par souci d'égalité, des femmes copient à leur tour) que symbolise
à merveille la citation suivante : "S'aimer,
c'était regarder ensemble dans la même direction. Il lui avait
sorti ça. Tu parles d'une direction ! Celle de monsieur, un
point c'est tout" (Pascale
Gautier, Les vieilles) ;
les va-t-en guerre de tous bords (et d'abord, si on commençait par
ne plus en fabriquer, des armes, et à supprimer ce commerce éhonté
? alors qu'il y aurait tant de choses utiles pour tout le monde à
faire, dans les domaines sociaux, culturels, éducatifs, de fraternité et de service à la
personne !) ; l'arrogance des puissants de tous bords
(patrons, hommes politiques, stars des médias et de la technologie, etc.) ; la
surconsommation des matières premières, qui ravage la nature et
détruit peu à peu la vie ; la folle accumulation des
marchandises qui nous réduit en passifs consommateurs ; la
technicisation outrancière qui nous transforme en robots (encore
hier, j'ai appris que désormais je devrai gérer moi-même mes
emprunts de livres à la bibliothèque locale par un automate :
adieu les contacts humains !) et nous laisse croire que tout n'est
plus que problème technique à résoudre, même les catastrophes nucléaires
passées et surtout (pour la France) à venir ; l'inéducation
des jeunes générations asservies aux images et aux engins de toutes
sortes, devenant captives et sans doute victimes de nos folies ("tout
retour à des enfants simplement éducables relève du conte de fée
lorsque le numérique est devenu notre seconde peau",
lis-je dans la presse) ; les lois d'airain du capital et de
l'économie de soi-disant marché, responsables de la paupérisation
de notre quart-monde et de l'ensemble des pays du sud ; la folie
télévisuelle, miroir déformé qui nous montre un monde idéalisé
tellement éloigné des réalités concrètes vécues par la majorité
qu'il attire chez nous des immigrés de partout, avides de vivre
comme à la télévision ; la technologie portable (téléphonie,
lunettes, montres, vêtements, véhicules, santé, directement reliés
à internet, cigarettes électroniques ???) qui achève de nous
déshumaniser et de nous rendre dépendants des sociétés
multinationales, etc. Car aucun doute, nous sommes dépossédés de
notre destin par la technologie moderne qui nous incite à nous
connecter encore et toujours davantage : nous ne sommes plus
libres, et de plus, ravis de ne plus l'être.
Bonjour,
Le meilleur des mondes !
Tiens, à propos, relisons le livre de Aldous Huxley, il est tout
compte fait plus proche de ce qu'on est en train de nous construire
que le 1984
d'Orwell, trop encombré par sa critique du totalitarisme de
l'époque. Vous comprenez pourquoi j'ai eu une sensation
extraordinaire de liberté dans ma prison maritime du cargo, enfin
débranché de tout. Et mon désir de retraite d'anachorète. Et mon
admiration pour ceux et celles qui refusent cette fuite en avant, qui
renoncent à la télévision, aux ordinateurs, à la voiture, à la
sacro-sainte visite hebdomadaire en hypermarché. Je veux rester
lucide !
le monde futur (selon moi)
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