Ô
la nécessité ! Faire toujours ce qu'il faut faire, être toujours,
selon les circonstances (et quoique la répugnance du moment vous en
détourne), comme un jeune homme, comme un voyageur, comme un
artiste, comme un fils, comme un citoyen, etc., doit être !
(Gustave
Flaubert, Voyage
en Orient)
Je
ne me suis jamais senti aussi protestant
qu'en
ces temps-ci, où les horreurs anciennes se réveillent fâcheusement
à ma mémoire. Je suis protestant ; je sais, il n'y a pas de
quoi se vanter, et d'ailleurs, si je le signale, ce n'est pas pour
faire le moindre prosélytisme (le protestantisme, c'est choisir
librement), mais parce que c'est un fait. Sans doute suis-je fort peu
pratiquant, peut-être à peine croyant, en tout cas d'une croyance
qui m'est tout à fait personnelle, ce qui est très protestant
aussi.
Mais
je suis surtout protestant au sens historique et mémoriel du terme.
Je suis persécuté, pourchassé, brûlé, massacré avec les
parpaillots du XVIe siècle, je suis à peine toléré par l'édit de
Nantes de 1598, puis de nouveau pourchassé, exilé, combattu,
condamné aux galères, persécuté de mille manières après la
révocation de l'édit de Nantes en 1685 et tout au long du XVIIIe
siècle (on comprend que je n'aime pas précisément Louis XIV, ni Louis XV !),
de nouveau toléré par un édit de Louis XVI en 1787, et enfin
définitivement accepté par la Révolution française de 1789 et la
République (c'est aussi pourquoi je suis républicain). Tout cela, je le sens dans ma chair, dans mon corps,
dans mon esprit. C'est aussi cela être protestant, c'est être
porteur de mémoire, et ayant été pourchassé et persécuté, ne pas
accepter d'être persécuteur.
Quand
j'étais petit, nous sortions de la guerre. J'ai eu toute mon enfance
bercée par le rappel des atrocités nazies, des persécutions contre
les Juifs et les résistants (j'ignorais alors qu'étaient aussi
persécutés les tziganes et les homosexuels !). Un cousin
germain de ma mère y a laissé sa vie, à dix-sept ans. Le mari de
ma marraine est rentré des camps, pesant trente-sept kilos... Ma
mère, ma grand-mère trouvaient tout ça insupportable, et nous
rappelaient que ce fut aussi le lot des huguenots au XVIIIe siècle.
Et cependant, elles ne nous ont jamais parlé de vengeance, mais
éduqué dans l'esprit de tolérance, d'acceptation des différences,
avec aussi : plus jamais ça ! C'est cela,
être protestant.
Aussi,
adolescent, suis-je devenu d'un antiracisme forcené, effrayé par
les guerres coloniales (et les crimes qui allaient avec,
n'avions-nous rien retenu des années de guerre ?), et ai-je compris
par la manière dont on désignait les peuples colonisés (je ne
reproduirai pas ici les termes utilisés par certains de mes
camarades lycéens, tant ça me fait honte pour eux, aujourd'hui
encore) que nous n'avions jamais accepté l'égalité, et que la
fameuse Union française de notre école primaire était de la
foutaise. Étudiant,
j'ai évidemment manifesté contre la guerre au Vietnam. Et, encore
aujourd'hui, je ne puis encourager "le
désir d'imposer « notre » civilisation ou « notre »
domination aux autres peuples", comme l'écrivait Virginia
Woolf dans son bel essai Trois
guinées (elle soulignait que les femmes en tout cas ne le feraient pas, que c'était très masculin).
Plus tard, après mai 68, j'ai regardé avec beaucoup d'attention les
différents mouvements de libération qui agitaient notre société,
le MLF (Mouvement de Libération des Femmes), le FHAR (Front
Homosexuel d'Action Révolutionnaire), les luttes pour le droit à la
contraception puis à la libéralisation de l'avortement, les luttes
contre les diverses discriminations. C'est cela aussi, être
protestant.
Martin Luther : aux sources du protestantisme
Martin Luther : aux sources du protestantisme
Aujourd'hui,
quand internet et les réseaux sociaux résonnent des trompettes
éclatantes de l'homophobie triomphante (et combien régressive,
preuve que ce que nous prenions depuis quarante ans pour une
acceptation n'était en fait qu'une vague tolérance, derrière
laquelle la haine refoulée était prête à surgir), je ne peux que m'élever contre ces blagues imbéciles, cette connerie rétrograde,
hypocrite, souvent anonyme, et qui fait mal. Être protestant,
maintenant, comme toujours, c'est se mettre du côté des persécutés,
des humiliés, des exclus, des offensés. La loi ouvre de nouveaux
droits, je la salue. Comme j'ai salué en leur temps la loi
autorisant l'Interruption Volontaire de Grossesse ou celle abolissant
la peine de mort.
La fierté des hommes politiques, c'est justement
d'aller à contre-courant, de faire passer des lois impopulaires :
l'édit de Nantes, croyez-vous que les Catholiques, largement
majoritaires, étaient pour ? L'abolition de l'esclavage par la
Révolution française en 1794, croyez-vous que les riches planteurs
des Antilles étaient pour ? Il y a encore des gens (peut-être
bien une majorité ?) pour manifester contre la liberté
d'interruption de grossesse. Et certainement une majorité pour le
rétablissement de la peine de mort. Ne laissons ces majorités
rétrogrades empiéter sur les décisions politiques. Les vieilleries
doivent rentrer au rencart : "D'où
surgira-t-il, cet homme neuf ? Non du dehors. Camarade, sache le
découvrir en toi-même, et comme du minéral l'on extrait un pur
métal sans scories, exige-le de toi cet homme attendu. Obtiens-le de
toi. Ose devenir qui tu es",
nous disait André
Gide, dans Les
nouvelles nourritures,
il y a plus de cent ans. On a encore du progrès à faire.
Les
protestants ont, en France, toujours été minoritaires. C'est en partie pour
cela qu'ils ont été persécutés fort longtemps. Ils ont
généralement pris le parti des minorités quand le besoin s'en
faisait sentir, en tout cas en France. La persécution, l'humiliation d'autrui, ne peuvent ou ne doivent pas
être de notre fait. En tout cas, pas du mien ! Nous n'avons pas à hurler avec les loups !
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