… le
désir devenu haineux d'exclure et de déposséder celui qui n'est
pas semblable, celui qu'à notre plaisir nous ne pouvons soumettre.
(Françoise
Dolto, Parler
de la solitude)
Alors
que toute la presse célèbre celle qui a mis les Anglais à genoux,
qui a laissé mourir de faim les prisonniers irlandais, qui a fait
tuer neuf mineurs dont trois de moins de dix-huit ans, car il fallait
bien ça pour que leur grève interminable d'un an s'achève, plus de onze
mille arrestations n'ayant pas suffi, j'ai envie de parler d'une
autre femme. La Thatcher confirme l'intuition de Louise Michel :
"Nous
ne valons pas mieux que les hommes, mais le pouvoir ne nous a pas
encore corrompues"
(La
Commune, histoire et souvenirs).
Eh bien, c'est fait, Louise ! Il y a des femmes au pouvoir, et elles ne valent pas mieux que les hommes !
Je
veux donc parler d'une femme selon mon cœur, qui a enchanté mon
séjour angevin du début des années 70, d'Angela Davis, que je
n'exclus pas de rajouter à mon corpus de femmes écrivains, bien
que, comme Louise Michel dont je parlais hier, elle soit avant tout
féministe, révolutionnaire, activiste et militante black, et n'ait
pas davantage que sa consœur du 19ème siècle succombé aux sirènes
du business et du conformisme bourgeois.
Un
film nous la rappelle à notre bon souvenir : Free
Angela and all political prisoners,
film
de Shola Lynch. J'ai passé un excellent moment en compagnie des
Black panthers, des militants contre la ségrégation raciale et de
la contre-culture de l'époque, hélas, bien révolue aujourd'hui. De nos jours, tout est plutôt dans le conformisme et le prêt-à-penser, me semble-t-il, et Angela Davis
doit paraître terriblement datée aux jeunes spectateurs actuels :
pensez donc, elle était communiste,
et
est restée révolutionnaire ! C'est principalement à ce titre,
mais aussi parce qu'elle était noire et n'entendait pas accepter un
destin de sous-citoyenne, femme et ne supportait pas le machisme
ambiant (voir la façon dont le procureur va essayer de la faire
passer pour quelqu'un d'incapable de maîtriser ses pulsions,
puisqu'elle est femme, cqfd), qu'on s'est acharné contre elle, alors
qu'aucune preuve n'a jamais pu être établie dans sa participation à
une prise d'otages qui a tourné mal, le FBI (avec Edgar Hoover à sa
tête et sa phobie des communistes) l'accusant d'avoir fourni les
armes utilisées. Au bout de vingt-deux mois de prison, puis de
libération sous caution (le malheureux qui a versé la caution fut menacé de mort), elle fut triomphalement acquittée.
Le
film jette une lumière noire (c'est le cas de le dire, il suffisait
souvent d'être noir pour être arrêté et condamné le plus souvent
sans preuves à des peines disproportionnées, mais la prison est une
industrie libéralisée au pays de la « libre »
entreprise) sur les goulags américains... Ces prisons sont sans
doute la soupape de sécurité de l'économie américains, qui
permettent d'éviter un chômage équivalent à celui de nos
économies en mettant en prison des tas de gens (à peu près 5% de
la population active en prison, qui dit mieux ?). Et hop, le tour est
joué, ils ne sont plus chômeurs : qu'attendent donc nos
dirigeants pour faire de même ?
Le
film propose en filigrane une lecture très critique de la société
américaine, de sa justice, de l'oppression qui touche principalement
certaines catégories. J'observe que Angela s'est battue pour que son
comité de soutien s'intitule Free Angela and all political
prisoners : en effet, elle était loin d'être la seule, et il y avait à ce moment-là les célèbres frères de Soledad (lire le beau livre de George Jackson). Eh oui, n'en
déplaise aux admirateurs du système américain, il y a là-bas des
prisonniers politiques aussi, bien que la plupart du temps on les camoufle
sous l'étiquette extrêmement commode de criminels ou de terroristes, de manière à
trouver un soutien auprès de l'opinion publique et d'alimenter les peurs
collectives. Et on peut y rester des années sans être jugé. Voir
le camp de Guantanamo, par exemple. Le système carcéral a un lien
direct avec l'esclavage d'autrefois, qu'il perpétue à plus d'un titre :
punitions exorbitantes, torture, assassinats déguisés...
On
se croirait encore, quand on lit les écrits d'un autre prisonnier devenu célèbre, et toujours en prison, Mumia Abu-Jamal, à
l'époque heureusement révolue de l'avant-guerre en France, où l'on mettait
en maisons de redressement et colonies pénitentiaires tous ceux qui
gênaient ou se rebellaient tant soit peu contre l'ordre établi. Lire le beau
roman-témoignage de Auguste Le Breton, Les
hauts
murs :
"Ainsi
tout était consommé ! Jusqu'à sa majorité, on venait de le
condamner à vivre dans une colonie pénitentiaire « Belle-Île »
avait précisé le substitut en essuyant avec un mouchoir brodé, ses
lorgnons à monture d'or. Charmant bonhomme qui s'était même offert
le luxe de lui demander s'il ne regrettait rien. Que lui aurait-il
dit ? Est-ce qu'ils cherchaient seulement à comprendre ?
Pour eux la vie était si simple : ancêtres, foyer, père, mère,
études, licences, diplômes et tout le bordel. Et pour leurs
rejetons, ça serait même tabac. Alors..."
Angela
était belle, elle l'est toujours, à près de soixante-dix ans.
Elle a la beauté et le rayonnement de l'intelligence, de la rebelle. À côté d'elle,
la laideur et la bêtise des dirigeants de l'époque, Nixon, Reagan,
Hoover, n'en est que plus frappante. Il ne me reste plus qu'à lire
les bouquins d'Angela, hélas, difficiles à trouver. Ho, les
éditeurs, plutôt que de publier un énième best-seller débile,
qu'attendez-vous pour rééditer son Autobiographie ?
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