Le
Capitaine : Oui,
je pleure, bien que je sois un homme.
(August
Strindberg, Père)
Ça
fait un moment que je ne me suis pas livré à quelques réflexions
personnelles, sauf en filigrane, à propos de livres et de films, et
aussi de mes voyages ou de mon état de santé. Aujourd'hui, j'ai
envie de faire un petit bilan de mes joies et de mes peines.
Commençons
par les peines, les joies qui, heureusement les effacent avec
efficacité, ce sera pour un autre jour.
Et
d'abord par l'inconscience de Charlie
hebdo,
qui joue avec la vie de nos ressortissants et même des otages. "Il
y a autant de fanatisme dans le dogmatisme religieux que dans
l'athéisme étriqué",
nous rappelle Alexandre Jollien dans La
construction de soi,
et le rationalisme étroit des dessinateurs de Charlie les rend peu
aptes à saisir la situation de certains peuples. Je pense par
exemple à La
Vierge, les Coptes et moi,
film que les auteurs de Charlie
hebdo
auraient dû voir, pour essayer de comprendre le contexte local,
avant de dessiner des insanités, d'ailleurs d'une laideur
agressive : franchement, tout le monde est d'accord pour dire
que le film sur Mahomet à l'origine des événements est nul, laid
et ennuyeux. Pourquoi ne pas dire que les dessins de Charlie
consacrés
au sujet sont tout aussi nuls, et ne font rire que leurs auteurs ?
Je les ai regardés, pour ne pas qu'on m'accuse d'en dire du mal sans
les avoir vus ! Heureusement, je n'ai pas eu à acheter le
numéro, je l'ai feuilleté en allant à l'Utopia voir Après
la bataille,
autre film égyptien qui nous en apprend cent fois plus sur la
mentalité locale que ces dessins ineptes. Et qui, lui, est beau !
Les ventes de Charlie
hebdo
étaient-elles tombées si bas qu'ils avaient besoin d'un énième
scandale pour les faire remonter ? On se le demande ! Et
qu'on ne vienne pas me parler de liberté de la presse : je
croyais qu'elle était destinée à élever les lecteurs. Sans doute
ai-je trop lu, Patrick Chamoiseau, par exemple : "la
vie d'un homme n'a de sens que s'il vit sous l'exigence la plus
élevée possible"
(L'empreinte
à Crusoé).
C'est valable pour les journalistes aussi. Je ne supporte pas qu'on
rabaisse.
Par
la violence qui règne quasiment partout : verbale (incivilités,
propos grossiers et orduriers entendus partout, dans la rue,
dans les bus, à la télévision, heureusement que je la regarde
rarement), écrite (pamphlets imbéciles – il en est de bons aussi,
tags et graffiti orduriers – il en est de beaux, je vous rassure),
physique (machisme ou féminisme dominateur, coups, viols),
financière (coups bas en tous genres, spéculation), politique
(mettez-y ce que vous voulez) et guerrière : ah ! ces
fameuses ventes d'armes ! On les dénonce parfois, mais du bout
des lèvres, car toute notre économie repose sur elles.
Supprimons-les, et la crise de 1929 deviendra une bluette inoffensive
à côté de celle qui arrivera. Mais qui le dit, qui proteste ?
À
part quelques associations, du type Handicap international ?
Par
les murs qui se dressent : celui qui sépare Israël de la
Cisjordanie, surtout, qui fait du pseudo-état palestinien un immense
camp fermé. Il faut savoir qu'Israël continue à interdire l'entrée
en Cisjordanie de nombreuses personnes, pourtant pacifistes, qui ne
lui plaisent pas. Le seul fait que j'écrive ça sur ce blog me rend
persona non grata. Quand je pense à tout le mal qui était écrit
pendant des années sur le mur de Berlin, et le silence qui est fait
contre ce mur tout aussi ignoble ! Non, on ne me fera pas dire
qu'Israël est une démocratie ! De toute façon, j'étais et
reste farouchement anti-colonialiste. Et un état qui pratique la
colonisation à grande échelle, avec expulsions de gens de leurs
terres sans compensation, je ne supporte pas.
Par
l'Occident qui se comporte en pays conquis un peu partout dans le
monde (Irak, Afghanistan, etc.) et qui s'étonne des réactions
violentes qu'il suscite. Quand on a des drones qui vous surveillent
en permanence, des armées étrangères qui occupent le pays et
fanfaronnent, des "Quisling"
collaborateurs imposés par l'occupant pour vous diriger, soi-disant
élus par des élections bidon, il y a forcément un retour de bâton.
N'avons-nous pas eu nous aussi nos "terroristes"
qui luttaient contre les Allemands qui nous occupaient ?
L'histoire se répète...
Par
le capitalisme triomphant qui n'a plus aucun contrepoids (d'où sans
doute la montée de l'islamisme). Et ne nous trompons pas, le
capitalisme est partout. Comme j'entendais ce matin à la radio,
c'est le règne du pognon. Pourquoi condamner les jeunes des
banlieues qui ont envie de gagner de l'argent, et beaucoup, avec leur
économie parallèle ? N'ont-ils pas l'exemple "glorieux"
des traders, des spéculateurs, des grands patrons d'industrie,
souvent marchands d'armes et fomenteurs de guerres et de mort
massive ? Passons...
Par
ce que, faute de mieux, je suis bien obligé d'appeler l'impérialisme
culturel américain : les cinémas, les librairies, les
télévisions de notre pays regorgent de produits américains.
Êtes-vous allé aux USA ? Je peux vous assurer qu'il y a très
peu de films du reste du monde qui y sont projetés, que les
traductions, particulièrement venant de la littérature française,
sont pratiquement inexistantes, et il faut vraiment les chercher en
librairie, qu'il n'y a quasiment aucune émission de télé provenant
de l'étranger. Comment en sommes-nous arrivés là ? Leurs
productions sont-elles meilleures ? Absolument pas. Il y a
d'excellentes productions culturelles dans de nombreux pays du monde
(j'ai vu cette année des films provenant de trente pays différents,
grâce, il faut le dire, aux salles de cinéma indépendantes, et
j'ai lu des livres provenant de plus de vingt pays, merci là aussi
aux librairies indépendantes et aux bibliothèques). Je le regrette,
mais mon imaginaire a besoin de se nourrir de variété, et les
affres de la société américaine ne m'intéressent guère, ou en
tout pas plus que celles des Japonais, des Papous, des Congolais ou
des Brésiliens (etc.).
Par
l'inconscience des scientifiques qui ont œuvré et œuvrent encore
en grande partie pour des recherches mortifères. Il est vrai que nos
apprentis sorciers nous sortent ensuite la contrepartie, tout aussi
scientifique. Ainsi, les cigarettes, dont on savait depuis des
lustres la nocivité, un petit tour de passe-passe, et hop, on va
inventer les systèmes pour arrêter de fumer ! Pour les
centrales nucléaires, je ne sais pas encore quelle sera la
contrepartie. Pour les mines anti-personnel et les bombes à
fragmentation (bravo les savants!), je l'ignore aussi. Pour les OGM,
on verra...
Par
la montée des égoïsmes individualistes qui se généralisent dans
nos sociétés : on ne supporte plus la plus petite contrariété,
sans doute à force de vivre dans trop de confort. On met la radio
des voitures à plein tube, on fait des petits rodéos de motos la
nuit... On ne sait plus dire « bonjour », ni envoyer ces
petits sourires qui font chaud au cœur. Ni céder sa place à des
plus vieux, ou à une femme dans le bus ou le tram : oui, je
sais, la galanterie, c'est dépassé ! Il est vrai que la
connerie, la méchanceté, elles, ne sont pas dépassées.
Par
la morgue et le goût de rapine des propriétaires de logements à
louer (paraît que c'est un "investissement",
les banquiers n'ont que ce mot à la bouche, je vais être grossier
et répondre comme la Zazie de Queneau : « investissement,
mon cul ! Exploitation des autres, oui ! »). Et donc je suis effrayé par la misère que
je vois de plus en plus autour de moi : par moment, je sens le
retour du temps de Victor Hugo et de Zola. Salaires bas, chômage,
désœuvrement, enfants livrés à eux-mêmes, quart-monde désolant
et tiers-monde exploité. Quel écrivain nous écrirait Les
Misérables
aujourd'hui ? Mais à l'échelle du monde...
C'était
mon jour de colère.
2 commentaires:
Bravo
Je suis bien d'accord avec vous.
Sans doute faudrait il ajouter a cela l'irresponsabilité des journalistes qui ont fait de la publicité pour Charlie Hebdo, en annoncant ces caricatures avant meme qu'elles ne soient publiées.
Bien a vous
Namir ABDEL MESSEEH
Réalisateur de "La Vierge, les Coptes et moi"
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