jeudi 20 septembre 2012

20 septembre 2012 : jour de colère



Le Capitaine : Oui, je pleure, bien que je sois un homme.
(August Strindberg, Père)



Ça fait un moment que je ne me suis pas livré à quelques réflexions personnelles, sauf en filigrane, à propos de livres et de films, et aussi de mes voyages ou de mon état de santé. Aujourd'hui, j'ai envie de faire un petit bilan de mes joies et de mes peines.
Commençons par les peines, les joies qui, heureusement les effacent avec efficacité, ce sera pour un autre jour.
Je suis assez effrayé par la marche du monde. 

 
Et d'abord par l'inconscience de Charlie hebdo, qui joue avec la vie de nos ressortissants et même des otages. "Il y a autant de fanatisme dans le dogmatisme religieux que dans l'athéisme étriqué", nous rappelle Alexandre Jollien dans La construction de soi, et le rationalisme étroit des dessinateurs de Charlie les rend peu aptes à saisir la situation de certains peuples. Je pense par exemple à La Vierge, les Coptes et moi, film que les auteurs de Charlie hebdo auraient dû voir, pour essayer de comprendre le contexte local, avant de dessiner des insanités, d'ailleurs d'une laideur agressive : franchement, tout le monde est d'accord pour dire que le film sur Mahomet à l'origine des événements est nul, laid et ennuyeux. Pourquoi ne pas dire que les dessins de Charlie consacrés au sujet sont tout aussi nuls, et ne font rire que leurs auteurs ? Je les ai regardés, pour ne pas qu'on m'accuse d'en dire du mal sans les avoir vus ! Heureusement, je n'ai pas eu à acheter le numéro, je l'ai feuilleté en allant à l'Utopia voir Après la bataille, autre film égyptien qui nous en apprend cent fois plus sur la mentalité locale que ces dessins ineptes. Et qui, lui, est beau ! Les ventes de Charlie hebdo étaient-elles tombées si bas qu'ils avaient besoin d'un énième scandale pour les faire remonter ? On se le demande ! Et qu'on ne vienne pas me parler de liberté de la presse : je croyais qu'elle était destinée à élever les lecteurs. Sans doute ai-je trop lu, Patrick Chamoiseau, par exemple : "la vie d'un homme n'a de sens que s'il vit sous l'exigence la plus élevée possible" (L'empreinte à Crusoé). C'est valable pour les journalistes aussi. Je ne supporte pas qu'on rabaisse.
Par la violence qui règne quasiment partout : verbale (incivilités, propos grossiers et orduriers entendus partout, dans la rue, dans les bus, à la télévision, heureusement que je la regarde rarement), écrite (pamphlets imbéciles – il en est de bons aussi, tags et graffiti orduriers – il en est de beaux, je vous rassure), physique (machisme ou féminisme dominateur, coups, viols), financière (coups bas en tous genres, spéculation), politique (mettez-y ce que vous voulez) et guerrière : ah ! ces fameuses ventes d'armes ! On les dénonce parfois, mais du bout des lèvres, car toute notre économie repose sur elles. Supprimons-les, et la crise de 1929 deviendra une bluette inoffensive à côté de celle qui arrivera. Mais qui le dit, qui proteste ? À part quelques associations, du type Handicap international ?
Par les murs qui se dressent : celui qui sépare Israël de la Cisjordanie, surtout, qui fait du pseudo-état palestinien un immense camp fermé. Il faut savoir qu'Israël continue à interdire l'entrée en Cisjordanie de nombreuses personnes, pourtant pacifistes, qui ne lui plaisent pas. Le seul fait que j'écrive ça sur ce blog me rend persona non grata. Quand je pense à tout le mal qui était écrit pendant des années sur le mur de Berlin, et le silence qui est fait contre ce mur tout aussi ignoble ! Non, on ne me fera pas dire qu'Israël est une démocratie ! De toute façon, j'étais et reste farouchement anti-colonialiste. Et un état qui pratique la colonisation à grande échelle, avec expulsions de gens de leurs terres sans compensation, je ne supporte pas.
Par l'Occident qui se comporte en pays conquis un peu partout dans le monde (Irak, Afghanistan, etc.) et qui s'étonne des réactions violentes qu'il suscite. Quand on a des drones qui vous surveillent en permanence, des armées étrangères qui occupent le pays et fanfaronnent, des "Quisling" collaborateurs imposés par l'occupant pour vous diriger, soi-disant élus par des élections bidon, il y a forcément un retour de bâton. N'avons-nous pas eu nous aussi nos "terroristes" qui luttaient contre les Allemands qui nous occupaient ? L'histoire se répète...
Par le capitalisme triomphant qui n'a plus aucun contrepoids (d'où sans doute la montée de l'islamisme). Et ne nous trompons pas, le capitalisme est partout. Comme j'entendais ce matin à la radio, c'est le règne du pognon. Pourquoi condamner les jeunes des banlieues qui ont envie de gagner de l'argent, et beaucoup, avec leur économie parallèle ? N'ont-ils pas l'exemple "glorieux" des traders, des spéculateurs, des grands patrons d'industrie, souvent marchands d'armes et fomenteurs de guerres et de mort massive ? Passons...
Par ce que, faute de mieux, je suis bien obligé d'appeler l'impérialisme culturel américain : les cinémas, les librairies, les télévisions de notre pays regorgent de produits américains. Êtes-vous allé aux USA ? Je peux vous assurer qu'il y a très peu de films du reste du monde qui y sont projetés, que les traductions, particulièrement venant de la littérature française, sont pratiquement inexistantes, et il faut vraiment les chercher en librairie, qu'il n'y a quasiment aucune émission de télé provenant de l'étranger. Comment en sommes-nous arrivés là ? Leurs productions sont-elles meilleures ? Absolument pas. Il y a d'excellentes productions culturelles dans de nombreux pays du monde (j'ai vu cette année des films provenant de trente pays différents, grâce, il faut le dire, aux salles de cinéma indépendantes, et j'ai lu des livres provenant de plus de vingt pays, merci là aussi aux librairies indépendantes et aux bibliothèques). Je le regrette, mais mon imaginaire a besoin de se nourrir de variété, et les affres de la société américaine ne m'intéressent guère, ou en tout pas plus que celles des Japonais, des Papous, des Congolais ou des Brésiliens (etc.).
Par l'inconscience des scientifiques qui ont œuvré et œuvrent encore en grande partie pour des recherches mortifères. Il est vrai que nos apprentis sorciers nous sortent ensuite la contrepartie, tout aussi scientifique. Ainsi, les cigarettes, dont on savait depuis des lustres la nocivité, un petit tour de passe-passe, et hop, on va inventer les systèmes pour arrêter de fumer ! Pour les centrales nucléaires, je ne sais pas encore quelle sera la contrepartie. Pour les mines anti-personnel et les bombes à fragmentation (bravo les savants!), je l'ignore aussi. Pour les OGM, on verra...
Par la montée des égoïsmes individualistes qui se généralisent dans nos sociétés : on ne supporte plus la plus petite contrariété, sans doute à force de vivre dans trop de confort. On met la radio des voitures à plein tube, on fait des petits rodéos de motos la nuit... On ne sait plus dire « bonjour », ni envoyer ces petits sourires qui font chaud au cœur. Ni céder sa place à des plus vieux, ou à une femme dans le bus ou le tram : oui, je sais, la galanterie, c'est dépassé ! Il est vrai que la connerie, la méchanceté, elles, ne sont pas dépassées.
Par la morgue et le goût de rapine des propriétaires de logements à louer (paraît que c'est un "investissement", les banquiers n'ont que ce mot à la bouche, je vais être grossier et répondre comme la Zazie de Queneau : « investissement, mon cul ! Exploitation des autres, oui ! »). Et donc je suis effrayé par la misère que je vois de plus en plus autour de moi : par moment, je sens le retour du temps de Victor Hugo et de Zola. Salaires bas, chômage, désœuvrement, enfants livrés à eux-mêmes, quart-monde désolant et tiers-monde exploité. Quel écrivain nous écrirait Les Misérables aujourd'hui ? Mais à l'échelle du monde...
C'était mon jour de colère.

2 commentaires:

Unknown a dit…

Bravo

NAMIR a dit…

Je suis bien d'accord avec vous.
Sans doute faudrait il ajouter a cela l'irresponsabilité des journalistes qui ont fait de la publicité pour Charlie Hebdo, en annoncant ces caricatures avant meme qu'elles ne soient publiées.

Bien a vous
Namir ABDEL MESSEEH
Réalisateur de "La Vierge, les Coptes et moi"