Chaque mot contenait une intention, chaque mouvement son utilité. Il était économe de son âme. Mais son âme était là.
(Henri Bosco, L’enfant et la rivière)
25 mai : J'y suis !
Aucun problème de train ce matin, et arrivée à Dôle dans la joie. J’ai somnolé, gardé les yeux fermés, écoutant d’une oreille indiscrète deux jeunes de dix-sept ans environ qui, pendant deux heures, n’ont pas arrêté de parler jeux vidéo (alors là, un langage encore plus abscons que la poésie contemporaine ou que la philosophie kantienne!), études (ils sont en BEP, et le conseiller d’orientation leur a dit que le BEP était beaucoup plus important sur un CV que le Bac pro !!!), filles et ordinateur. Finalement, ça m’a plutôt réjoui, ils ne sont pas pessimistes (moins que le fameux orientateur), très cools.
Je devais rallier Saint-Vit par la vélo-route qui longe le Doubs et le canal. Sauf que c’est un vrai jeu de piste pour la trouver, qu’elle était en partie fermée pour travaux et que j’ai donc dû faire des détours, voire rebrousser chemin sur des culs-de-sac. Bon, je suis bien arrivé, accueilli par Yves, de la Médiathèque départementale, et par la bibliothécaire locale, Odile, chez qui je suis hébergé. J’espère être à la hauteur, car voici le nouveau type de lecture que j’inaugure ce jour : je débute un livre, en lis quarante ou cinquante pages, et ensuite le donne au public (ou à la bibliothèque d’accueil, si elle ne le possède pas). On verra ce que ça donne.
J’ai donc lu, à l’extérieur, vu le beau temps, sous l’arbre, quelques poèmes d’Odile Caradec, puis j’ai commencé le roman d’Anne-Marie Garat, Les mal famées, dont j’ai lu une bonne quarantaine de pages, de quoi donner envie de connaître la suite… aux lecteurs de Saint-Vit, puisque j’offre le livre à la Médiathèque Les Mots passants (admirons le mot-valise littéraire au passage). Puis, comme il y a quelques enfants (et qu’ils ont dû s’ennuyer quelque peu), je leur sors ma munition préférée, Nulman de Christophe Lemoine. Après discussion, signature, nous rentrons at home, où la pluie me réveille à quatre heures du matin.
26 mai : l’irrésistible attrait du vide
Me voici de nouveau chevauchant Pégase. Moi qui ai très peu pédalé ces derniers mois, pour cause de voyages et de déménagement, j’avais oublié à quel point on peut avoir mal aux fesses, au périnée, au fondement, en un mot au "cul", puisqu’il est convenu aujourd’hui qu’on ne saurait parler français sans être un peu trivial. Au bout d’une quinzaine de kilomètres sur la vélo-route - cette fois-ci, plus de jeu de piste, je la trouve rapidement - je passe mon temps à gigoter, à soulever mon derrière pour le soulager. D’ici quelques jours, il n’y paraîtra plus : voilà ce que c’est que de manquer de pratique.
Par contre, le paysage est magnifique, je suis le Doubs, que redoublent, au moment des rapides, des tronçons de canaux de traverse et des écluses, j’aperçois quelques bateaux et péniches de plaisance, j’écoute le cri des oiseaux de proie (je débusque une belle buse presque devant moi), regarde le vol élancé du héron, me gargarise du bruissement des rapides (du Doubs, pas des trains), et le temps est gris, idéal pour ne pas suer. Et je prends garde de bien rouler du côté opposé à la rive, car moi qui suis souvent perdu dans mon monde intérieur, je serais bien capable de piquer une tête dans le canal, la bordure étant souvent assez étroite : ah ! L’attrait du vide, quel rôle il aura joué dans ma vie (jusqu'à vouloir habiter au neuvième étage) !
J’arrive à Besançon, où Christian m’a donné rendez-vous à la sortie du tunnel ! Ou à l’entrée ? Comme je suis en avance, je traverse le tunnel, essaie de téléphoner, et m’aperçois que je n’ai plus de batterie. Diable, comment va-t-on se retrouver ? J’avise un café, demande si je peux recharger ma batterie. Un "oui" du bout des lèvres, la patronne est revêche. Encore heureux que je ne me sois pas enquis des toilettes, car elle envoie sur les roses un couple qui en fait la demande.
Finalement, mon vélo est suffisamment reconnaissable pour qu’Alain, un copain de Christian, qui doit nous voiturer à l’aéroport, me découvre. Christian qui m’attendait - évidemment - de l’autre côté du tunnel, arrive à son tour. Nous sommes dans les temps pour partir à la rencontre du ciel bisontin et des paysages vus du ciel. c’est Alain qui nous pilote dans un Cessna quadriplace, un instructeur prend place à côté de lui. Nous survolons les collines, puis la vallée et les gorges de la Loue (que je ferai à vélo la semaine prochaine) jusqu’à la résurgence de la Loue, qui, vue du ciel, est un très beau spectacle. Retour vers Besançon, où nous survolons la citadelle.
Puis repas au restaurant. Et on me repositionne à l’emplacement de mon arrivée (sortie du tunnel) pour continuer la vélo-route (il s’agit en fait de l’euro-vélo-route Nantes-Budapest, que mon amie Louise et son compagnon ont faite l’an passé de Nantes à Bâle, les veinards…). On longe le Doubs. Un nombre de hérons ahurissant. Et peu sauvages, l’un attend que j’arrive à trois mètres de lui pour daigner s’envoler dans une moue des ailes.
Arrivée à Roche-lez-Beaupré, où je suis reçu par Thérèse, une des bénévoles (trésorière) de l’association Les accroche-livres (tout un programme), qui gère la bibliothèque municipale. Demain matin, je prendrai mon petit déjeuner anglais chez elle. Ce soir, je dors chez la présidente, Elke, qui a épousé un Doubiste.
Je me balade un peu, explore le village, photographie le clocher, typique de la région, fais un tour à la Bibliothèque municipale, où je vais officier tout à l’heure. Très jolie bibliothèque. 18 h, je suis là, et ô surprise, le public arrive avant l’heure. Tant mieux. Et tant pis pour les retardataires, je vais commence pile à 18 h 30 cette fois. Je leur lis Odile Caradec, Christian Bobin (le début de La Folle allure), Anne Viazemski (le début de Mon enfant de Berlin, interrompu sur ce livre à deux reprises par une auditrice, faisant partie du groupe venant de l’hôpital psychiatrique voisin), un extrait de mon Journal d’un lecteur, et Nulman de nouveau.
Un pot clôture la rencontre, avec cakes et tartes salés, gâteaux. Je discute avec les psychotiques venus. Puis je laisse Pégase à la bibliothèque et rentre avec Elke. Je fais connaissance de son mari et de leur fils Rüdiger. Nous prenons une soupe, succulente, et au lit !
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