Moi j‘étais en plein roman.
(Anne-Marie Garat, Les mal famées)
Il faut dire que ça commence bien : un soleil magnifique qui dore la route, et qui me laisse me prélasser sur une pelouse à l’ombre sur une aire de la RN 10, à une trentaine de km de Tours. J’ai laissé la radio allumée, car sur France culture, dans l’émission L’Atelier littéraire, je viens de reconnaître la voix de Xavier Person, ancien directeur de l’Office du livre en Poitou-Charentes, du temps que j’étais à la DRAC. Et ça discute doctement sur des œuvres de littérature pure, de littérature de recherche, qui n’est pas ma tasse de thé, mais dont je reconnais la nécessité aussi : il faut de tout pour faire de la littérature. Y est notamment longuement commenté L’Homme qui tua Roland Barthes, un recueil de nouvelles commençant toutes par L’homme qui tua (allusion sans doute au film de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valance). Je reprends la route, mais à peine arrivé chez ma belle-sœur, au moment de passer à table, je m’aperçois en préparant mon sac que j’ai oublié un élément essentiel sans lequel je ne saurai partir dans le Doubs. Je n’en dis pas plus et vous laisse imaginer : argent, papiers, vélo, médicaments, textes à lire, bouchons auriculaires pour la nuit… La liste est longue, choisissez !
Annie, après un repas écourté, me ramène à la gare, d’où je rentre à Poitiers : faux départ. Et à 22 h 30, je suis de nouveau à l’appartement, marri. J’ai réalisé, en y rentrant, que depuis trente ans, je n’avais plus eu de logement proprement à moi, comme si j’avais été placé ailleurs, dans le nomans’land du mariage, comme si pendant toutes ces années, j’avais vécu chez les autres, hors de moi-même. Impression étrange. Comme si la clé que j’enfonçais dans la serrure ouvrait une caverne d’Ali Baba qui signerait ma (nouvelle) venue au monde.
Et ce matin, levé tôt, j’étais éreinté, brisé, moulu, je me suis traîné à pieds jusqu’à la gare, en prenant bien soin de ne pas oublier ce que j’étais venu chercher. Et d’ailleurs de récupérer au passage quelques autres babioles. Et pourtant cette fois, j’ai appliqué les consignes de ma globe-trotteuse. Tout rentre dans un sac, aucun vêtement inutile (un pari sur le beau temps, même pas pris un pull, des affaires de pluie quand même), plus le petit sac à dos qui contient mon indispensable note-book pour tenir mon journal.
Retour chez Annie, avec qui je mange et à 13 h 15, je suis en gare de Tours, équipé de pied en cap pour un départ prévu à 13 h 31. Le train est là, une de ces belles machines Alsthom où l’on peut positionner les vélos. Oui, sauf que… Le train n’est pas ouvert et les gens - nombreux - poireautent. Mais que font-ils ? Sous la verrière de la gare, c’est la fournaise ! Le contrôleur passe, constate que rien n’est ouvert. Il va de long en large, son téléphone portable à la main. Enfin, 13 h 50, les portes s’ouvrent, et on entend le ronronnement du moteur. Je place mon vélo, m’installe, commence à somnoler. 14 h 10, réveil en fanfare : nous sommes priés d’évacuer ce train, qui est en panne et de nous diriger vers le point information, où on en saura plus. Ledit point est pris d’assaut. Je prête mon téléphone portable à une vieille dame pour qu’elle signale le retard probable à sa famille. On nous annonce finalement que nous devons prendre la navette de 14 h 25 pour Saint-Pierre des Corps, où un nouveau train sera mis à notre disposition. Branle-bas de combat avec mon vélo. Une jeune fille est surchargée de paquets (sac à dos énorme, valise, plus trois ou quatre sacs), son fiancé qui l’avait accompagnée n’est plus là, elle en pleure, et, hélas, je ne peux guère l’aider. J’avise deux jeunes sans paquets et la remets entre leurs mains robustes et leurs bras musclés, ils l’aident sans barguigner !
14 h 40, le nouveau train est là, nous montons. Tout à fait semblable au précédent, pourvu que… 16 h, nous arrivons à Bourges, quand j’entends : « Tout le monde descend ! » Nouvelle panne. Et alors là, il faut que je me coltine le vélo dans les escaliers et les souterrains pour rejoindre le fameux point d’information. Le pauvre chef de gare en perd son latin devant les récriminations nombreuses de ceux qui ont des correspondances à Nevers. Il souffle, il rougit, il souffre, le pauvre homme. Il commence par nous annoncer un remplacement par des cars. A 16 h 30, le contrôleur, toujours avec nous (et qui tient à rentrer à Nevers, sa ville), nous annonce qu’un nouveau train est commandé, car en ce jour férié, les cars n’existent pas (les compagnies de cars font le gros dos et ne répondent pas à l’appel). Je finis par lui demander comment s’expliquent ces pannes. Paraîtrait que ces machines d’apparence toutes neuves, ont des moteurs anciens qui font de la surchauffe par grosse chaleur, ce qui est le cas aujourd’hui.
16 h 45, le nouveau train est annoncé, faut reprendre les escaliers et les souterrains, je joue à Monsieur Hulot, je suis hilare, je plaisante avec le chef de gare (« Ah ! Monsieur, si tout le monde était comme vous ! » me dit-il, lui qui s’est fait copieusement incendié). Je savais que ce serait costaud, ces vacances, mais c’est vraiment super.
Et j’arrive à Nevers avec seulement une heure quarante de retard, content d’avoir consolé la jeune fille avec mes deux malabars (je crois que le fiancé était oublié, ça papotait fort dans le train !), et je suis à l’hôtel que j’avais réservé. J’espère simplement que le voyage de retour sera moins mouvementé. Je suis quand même surpris de mes réactions. Hier au soir, j’étais assommé, et ce matin encore, d’avoir été obligé de revenir à Poitiers, et ce soir, je suis guilleret, comme si j’avais abattu « les montagnes, qu‘on croit si grandes et qui sont si petites », comme le note Anne-Marie Garat, dans son roman Les mal famées, que je vais tenter de lire (en partie) au public du Doubs : mais comment diable appelle-t-on les habitants du Doubs ? Damned, j’ai oublié de regarder avant de partir dans mon encyclopédie, qui n’est pourtant pas partie à Emmaüs.
Le temps a l’air très beau, on annonce des orages pour mercredi, ça ne pourra pas être pire que dans le Gers il y a deux ans, avec quatre jours de pluie consécutifs ! On verra bien.
Et hier, pour me mettre en humeur "spirituelle", je suis allé au temple, où le sermon portait cette fois sur la parabole des ouvriers de la dernière heure, et sur la gratuité absolue du don de Dieu (qui donne la même chose à tous, et rend les hommes égaux), avec le fameux « Les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers. » Ce passage vient de l’évangile de Mathieu, au chapitre 20. Mais j’ai surtout retenu ce verset : « Ne m’est-il pas permis de faire de mes biens ce que je veux ? Ou es-tu jaloux que je sois bon ? » (autre traduction : Ou vois-tu d’un mauvais œil que je sois bon ?). Affermissons nos âmes et la jalousie n’y entrera pas. Et on acceptera de telles paroles, même si c’est difficile, comme le rappelle Christian Bobin dans Autoportrait au radiateur : « Certaines paroles du Christ en qui je crois me sont insupportables. Je ne peux pas y entrer. Je refuse d’y entrer car je sais qu’alors il me faudrait quitter beaucoup de choses. C’est à ce signe que je reconnais la vérité de ces paroles : à ce qui, en elles, ne me "convient" absolument pas. »
J’en aurais vu, des signes, hier et aujourd’hui !
(Anne-Marie Garat, Les mal famées)
Il faut dire que ça commence bien : un soleil magnifique qui dore la route, et qui me laisse me prélasser sur une pelouse à l’ombre sur une aire de la RN 10, à une trentaine de km de Tours. J’ai laissé la radio allumée, car sur France culture, dans l’émission L’Atelier littéraire, je viens de reconnaître la voix de Xavier Person, ancien directeur de l’Office du livre en Poitou-Charentes, du temps que j’étais à la DRAC. Et ça discute doctement sur des œuvres de littérature pure, de littérature de recherche, qui n’est pas ma tasse de thé, mais dont je reconnais la nécessité aussi : il faut de tout pour faire de la littérature. Y est notamment longuement commenté L’Homme qui tua Roland Barthes, un recueil de nouvelles commençant toutes par L’homme qui tua (allusion sans doute au film de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valance). Je reprends la route, mais à peine arrivé chez ma belle-sœur, au moment de passer à table, je m’aperçois en préparant mon sac que j’ai oublié un élément essentiel sans lequel je ne saurai partir dans le Doubs. Je n’en dis pas plus et vous laisse imaginer : argent, papiers, vélo, médicaments, textes à lire, bouchons auriculaires pour la nuit… La liste est longue, choisissez !
Annie, après un repas écourté, me ramène à la gare, d’où je rentre à Poitiers : faux départ. Et à 22 h 30, je suis de nouveau à l’appartement, marri. J’ai réalisé, en y rentrant, que depuis trente ans, je n’avais plus eu de logement proprement à moi, comme si j’avais été placé ailleurs, dans le nomans’land du mariage, comme si pendant toutes ces années, j’avais vécu chez les autres, hors de moi-même. Impression étrange. Comme si la clé que j’enfonçais dans la serrure ouvrait une caverne d’Ali Baba qui signerait ma (nouvelle) venue au monde.
Et ce matin, levé tôt, j’étais éreinté, brisé, moulu, je me suis traîné à pieds jusqu’à la gare, en prenant bien soin de ne pas oublier ce que j’étais venu chercher. Et d’ailleurs de récupérer au passage quelques autres babioles. Et pourtant cette fois, j’ai appliqué les consignes de ma globe-trotteuse. Tout rentre dans un sac, aucun vêtement inutile (un pari sur le beau temps, même pas pris un pull, des affaires de pluie quand même), plus le petit sac à dos qui contient mon indispensable note-book pour tenir mon journal.
Retour chez Annie, avec qui je mange et à 13 h 15, je suis en gare de Tours, équipé de pied en cap pour un départ prévu à 13 h 31. Le train est là, une de ces belles machines Alsthom où l’on peut positionner les vélos. Oui, sauf que… Le train n’est pas ouvert et les gens - nombreux - poireautent. Mais que font-ils ? Sous la verrière de la gare, c’est la fournaise ! Le contrôleur passe, constate que rien n’est ouvert. Il va de long en large, son téléphone portable à la main. Enfin, 13 h 50, les portes s’ouvrent, et on entend le ronronnement du moteur. Je place mon vélo, m’installe, commence à somnoler. 14 h 10, réveil en fanfare : nous sommes priés d’évacuer ce train, qui est en panne et de nous diriger vers le point information, où on en saura plus. Ledit point est pris d’assaut. Je prête mon téléphone portable à une vieille dame pour qu’elle signale le retard probable à sa famille. On nous annonce finalement que nous devons prendre la navette de 14 h 25 pour Saint-Pierre des Corps, où un nouveau train sera mis à notre disposition. Branle-bas de combat avec mon vélo. Une jeune fille est surchargée de paquets (sac à dos énorme, valise, plus trois ou quatre sacs), son fiancé qui l’avait accompagnée n’est plus là, elle en pleure, et, hélas, je ne peux guère l’aider. J’avise deux jeunes sans paquets et la remets entre leurs mains robustes et leurs bras musclés, ils l’aident sans barguigner !
14 h 40, le nouveau train est là, nous montons. Tout à fait semblable au précédent, pourvu que… 16 h, nous arrivons à Bourges, quand j’entends : « Tout le monde descend ! » Nouvelle panne. Et alors là, il faut que je me coltine le vélo dans les escaliers et les souterrains pour rejoindre le fameux point d’information. Le pauvre chef de gare en perd son latin devant les récriminations nombreuses de ceux qui ont des correspondances à Nevers. Il souffle, il rougit, il souffre, le pauvre homme. Il commence par nous annoncer un remplacement par des cars. A 16 h 30, le contrôleur, toujours avec nous (et qui tient à rentrer à Nevers, sa ville), nous annonce qu’un nouveau train est commandé, car en ce jour férié, les cars n’existent pas (les compagnies de cars font le gros dos et ne répondent pas à l’appel). Je finis par lui demander comment s’expliquent ces pannes. Paraîtrait que ces machines d’apparence toutes neuves, ont des moteurs anciens qui font de la surchauffe par grosse chaleur, ce qui est le cas aujourd’hui.
16 h 45, le nouveau train est annoncé, faut reprendre les escaliers et les souterrains, je joue à Monsieur Hulot, je suis hilare, je plaisante avec le chef de gare (« Ah ! Monsieur, si tout le monde était comme vous ! » me dit-il, lui qui s’est fait copieusement incendié). Je savais que ce serait costaud, ces vacances, mais c’est vraiment super.
Et j’arrive à Nevers avec seulement une heure quarante de retard, content d’avoir consolé la jeune fille avec mes deux malabars (je crois que le fiancé était oublié, ça papotait fort dans le train !), et je suis à l’hôtel que j’avais réservé. J’espère simplement que le voyage de retour sera moins mouvementé. Je suis quand même surpris de mes réactions. Hier au soir, j’étais assommé, et ce matin encore, d’avoir été obligé de revenir à Poitiers, et ce soir, je suis guilleret, comme si j’avais abattu « les montagnes, qu‘on croit si grandes et qui sont si petites », comme le note Anne-Marie Garat, dans son roman Les mal famées, que je vais tenter de lire (en partie) au public du Doubs : mais comment diable appelle-t-on les habitants du Doubs ? Damned, j’ai oublié de regarder avant de partir dans mon encyclopédie, qui n’est pourtant pas partie à Emmaüs.
Le temps a l’air très beau, on annonce des orages pour mercredi, ça ne pourra pas être pire que dans le Gers il y a deux ans, avec quatre jours de pluie consécutifs ! On verra bien.
Et hier, pour me mettre en humeur "spirituelle", je suis allé au temple, où le sermon portait cette fois sur la parabole des ouvriers de la dernière heure, et sur la gratuité absolue du don de Dieu (qui donne la même chose à tous, et rend les hommes égaux), avec le fameux « Les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers. » Ce passage vient de l’évangile de Mathieu, au chapitre 20. Mais j’ai surtout retenu ce verset : « Ne m’est-il pas permis de faire de mes biens ce que je veux ? Ou es-tu jaloux que je sois bon ? » (autre traduction : Ou vois-tu d’un mauvais œil que je sois bon ?). Affermissons nos âmes et la jalousie n’y entrera pas. Et on acceptera de telles paroles, même si c’est difficile, comme le rappelle Christian Bobin dans Autoportrait au radiateur : « Certaines paroles du Christ en qui je crois me sont insupportables. Je ne peux pas y entrer. Je refuse d’y entrer car je sais qu’alors il me faudrait quitter beaucoup de choses. C’est à ce signe que je reconnais la vérité de ces paroles : à ce qui, en elles, ne me "convient" absolument pas. »
J’en aurais vu, des signes, hier et aujourd’hui !
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