l’homme au cœur noble s’impose de ne jamais humilier personne
(Frédéric Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Geneviève Bianquis, Flammarion, 2020)
On aurait beaucoup à dire sur l’usage intempestif du smartphone, au travail en général, au chantier, dans les réunions professionnelles, associatives ou politiques, dans les bus, les trains ou les trams, à vélo ou deux-roues, à table même, en famille, au restaurant ou au café, et j’ignore ce qui se passe dans les collèges, les lycées ou l’Université, ça doit être exténuant pour les profs.
En tout cas, j’ai été témoin de la scène suivante dans un bus, à Bordeaux. La personne qui m’accompagnait pourrait en témoigner, elle se reconnaîtra peut-être si elle me lit. Excusez-moi pour le langage peu châtié, je crois l'avoir pas mal édulcoré.Quant au protagoniste de l'affaire, que ne s'est-il offert un instrument comme celui-ci pour se protéger du smartphone ?
Dans
le bus
Nous étions dans le bus lorsque deux jeunes d'une vingtaine d'années sont montés. Ils se sont installés deux rangs devant nous, mais du côté opposé. À Tourny, le smartphone de celui qui était côté couloir sonne. Il le sort de sa poche, regarde l'écran, et dit tout haut à son copain : "Encore elle, elle commence à m'emmerder !"
"Allo". On n'entend pas la réponse, il n'a pas mis le haut-parleur. Mais il répond : "Écoute, pour hier, je suis pas venu. Faut pas m'en vouloir, j'avais autre chose à faire." Silence. "Et puis, on n'est pas mariés. Alors, arrête de téléphoner !"
Et il éteint sa machine avec brutalité. Son copain, en train de regarder un manga, ne dit rien. Un moment après, le téléphone ressonne. Le gars interpelle son copain et lui dit : "Elle continue à me faire chier, celle-là !" Mais il décroche quand même : "Allo". On n'entend pas la réponse. Silence. "Je suis dans le bus, là, crie-t-il, furieux. Ça gêne les passagers de m'entendre gueuler ! Et si tu continues, ça va être pire... Lâche-moi les baskets !"
Et il coupe brusquement, sans attendre ce qu'elle va lui répondre. Quelques secondes plus tard, nouvelle sonnerie. Il laisse filer et laisse son engin dans la poche. Mais ça ressonne encore presque aussitôt après.
"Alors là, hurle-t-il, qu'est-ce que tu ME veux encore ?" Silence. "Des esplications, et puis quoi de plus ! J'ai pas à m'escuser, et encore moins à demander pardon. Écoute-moi bien, c'est pas parce que tu m'avais donné un rendez-vous, et que j'avais dit oui que j'étais obligé de venir !" Silence. "Surtout que, comme je viens de te dire, j'avais autre chose à faire." Silence. "Ouais, puisque tu veux toujours tout savoir, j'avais un autre rencart, avec une fille moins collante que toi !"Silence. "J'en ai rien à foutre que tu m'aimes. Tu me l'as déjà dit cent fois. J'avais besoin de nouveauté, et ça a été un vrai bonheur. J'ai passé un super dimanche". Silence. "Ah, parce qu'en plus, tu m'as attendu une heure au lieu de rendez-vous et j'ai gâché ton après-midi ! Mais ma petite, t'étais pas obligée d'attendre, je m'en branle, moi, que tu m'attendes ! Tu me pompes l'air et j'embête tout le monde ici. Arrête de me téléphoner sans arrêt !"
Il coupe de nouveau, alors que nous atteignons le Place de la Victoire. Une ou deux minutes se passent. Il range son machin dans sa poche. Il dit à son copain : "Je crois qu'elle a compris, cette fois." Nouvelle sonnerie.
"Allo, c'est encore toi. Putain, ce que t'es scotcheuse. Je t'avais dit de plus m'appeler !" Silence. "Ouais, peut-être que tu croyais ça de moi, mais je fais ce que je veux, et c'est pas une meuf comme toi, qu'est même pas bonne au lit, qui va me pourrir la vie. Tu me fais chier, là, c'est mon dernier mot, Corinne ! Je veux plus t'entendre."
Et il range rageusement le smartphone dans sa poche. Ça sonne à nouveau, il regarde le numéro qui s'affiche, c'est encore elle. Il se lève, il serre très fort sa machine, et il gueule avec férocité : "PUTAIN, J'EN PEUX PLUS".
Et il jette avec violence l'appareil dans le couloir. Déconfit, il ramasse les morceaux, se remet debout, regarde autour de lui et crie : "Et si quelqu'un trouve à redire, il a qu'à venir me le dire en face !" Il s'assoit furibond et dit à son copain : "Si on ne peut plus être libre, maintenant !"
Et c'est d'un bus où toutes les conversations se sont arrêtées que les deux garçons descendent. J'ai bien vu que le copain lui a posé une main sur son épaule, et qu'il a pas supporté, il a gueulé en l'écartant : "Et toi, me touche pas !"
La portière du bus s'est refermée et nous n'avons pas entendu la suite. S'il y a eu une suite, parce que le type était tellement surexcité qu'il a dû falloir un certain temps pour qu'il se calme !
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