mardi 1 février 2022

1er février 2022 : la chanson du mois : Aragon

 

Je dois rester dans le « maintenant », me nourrir de chaque instant, de chaque sourire, faire de chaque moment une éternité. Je dois être là. L’après me rattrapera bien un jour. Mais pas tout de suite… pas aujourd’hui.

(Rachid Benzine, Ainsi parlait ma mère, Seuil, 2020)


Mise en musique par Léo Ferré, sur un texte d’Aragon, voici une des chansons les plus chantées pat tout un tas d’interprètes féminins ou masculins. J’ai autant aimé Ferré que Ferrat pour la mise en musique des vers d’Aragon, mais j’ai un faible pour cette chanson-ci.



« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » (Louis Aragon, Le roman inachevé, Gallimard, 1956)


Ma version préférée : Catherine Sauvage

https://www.youtube.com/watch?v=8f3cfW9qiek

Autres versions :

Léo Ferré : https://www.youtube.com/watch?v=GJvP9R9otmQ

Bernard Lavilliers : https://www.youtube.com/watch?v=XM9UXYSx8Ok

Yves Montand: https://www.youtube.com/watch?v=fK1RDFUsSzc

Thomas Dutronc : https://www.youtube.com/watch?v=ruur6TMXSNg

Philippe Léotard : https://www.youtube.com/watch?v=Ih1zPbj7iS0

Sapho : https://www.youtube.com/watch?v=_0XfJWctLZA

Marc Ogeret : https://www.youtube.com/watch?v=FyRXYf_xMHM

Laurent Viel : https://www.youtube.com/watch?v=6lNL529AE1g


Tout est affaire de décor,

changer de lit, changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore,

moi qui, moi-même, me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille

et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles,

où j'ai cru trouver un pays


Cœur léger, cœur changeant, cœur lourd,

le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours ?

Que faut-il faire de mes nuits ?
Je n'avais amour, ni demeure,

nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur,

je m'endormais comme le bruit


Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent


C'était un temps déraisonnable,

on avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable,

on prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule,

la pièce était-elle ou non drôle ?
Moi si j'y tenais mal mon rôle,

c'était de n'y comprendre rien


Dans le quartier Hohenzollern,

entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne,

fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d'hirondelle

sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle,

dans les hoquets du pianola


Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent


Le ciel était gris de nuages,

il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage,

au-dessus des maisons, des quais
Je les voyais par la fenêtre,

leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître

du Rainer Maria Rilke


Elle était brune et pourtant blanche,

ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche,

elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence

et travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence

qui n'en est jamais revenu


Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent


Il est d'autres soldats en ville

et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils,

Lola, qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur,

ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton cœur,

un dragon plongea son couteau


Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus.

 


 

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