le
dévoiement de l’intellectuel, son abdication en faveur de tous les
pouvoirs, cette trahison de l’idéal qui ne cesse de l’accompagner
tout au long de son existence.
(Olivier
Macaus, postface
de L’indésirable,
de Louis Guilloux, Gallimard, 2019)
Revenons à Venise où, tout de même, j’étais allé principalement pour la Mostra, le festival de cinéma qui fut jusque dans les années 70 le rival de Cannes, et qui a beaucoup perdu de son lustre. Ce qui lui a permis, au contraire de Cannes, de rester à échelle humaine, et de permettre au public de ne pas trop se bousculer pour entrer dans les différentes salles. Et, comme il a fait très chaud cette année, c'était fort agréable de traverser la lagune et d'aller au Lido se réfugier dans les salles obscures presque trop fraîches.
Alors,
parmi la vingtaine de films que j’ai vus, lesquels m’ont frappé ?
J’en parlerai dans l’ordre chronologique de visionnement, sauf
pour les films italiens et français que je regrouperai.
Qiqiu
(Balloon)
de Pema Tseden, représentait un Tibet rustique. Une famille
d’éleveurs de moutons, le père, la mère, et déjà deux garçons,
à l’époque de la politique de l’enfant unique. Donc usage du
préservatif : voilà que les garçonnets en découvrent un sous
l’oreiller des parents, et sans savoir de quoi il s'agit, ils le gonflent et en font un curieux ballon. C’est
une sympathique comédie, très humaine, mélange de traditions et de modernisme, d’un cinéaste dont était
déjà sorti en France l'excellent Tharlo,
le berger tibétain.
Les
épouvantails,
de Nouri Bouzid (Tunisie) est plus sombre : des jeunes femmes
reviennent de Syrie, où elles ont subi la loi des machos du djihad.
Un fils,
autre fils tunisien, de Mehdi Barsaoui, avec Sami Bouajila, montre
aussi l’impact du terrorisme islamique sur la vie d’une famille : ces deux films arriveront-ils chez nous, et seront-ils vus là-bas ? Pas sûr.
All this
victory,
du Libanais Ahmed Ghossein, est une évocation tragique de l’invasion
du Liban par Israël vers 2006 (je n’ai pas retenu la date). La
llorona,
du guatémaltèque Jayro Bustamante, nous plonge dans les récents
conflits du Guatemala, placé sous la coupe de l’oligarchie, avec un zeste de fantastique. The
long walk,
mon premier film laotien, est à la limite du fantastique : les
âmes des défunts rôdent. Nettement moins idiot que les films de fantômes
US.
Le domaine (A herdade),
du portugais Tiago Guedes, est une fresque romanesque qui se déroule dans une latifundia
sur une quarantaine d’années, avec les changements politiques, chute du salazarisme et entrée dans l'Europe : très beau film qui devrait
sortir en France. Ou alors nos distributeurs sont idiots !
le cercueil de Staline croule sous les fleurs
Je
mets à part l’extraordinaire
documentaire du cinéaste ukrainien Sergey Loznitsa, State
funeral,
qui nous fait revivre, comme si on y était, les quatre jours qui mènent
aux grandioses funérailles de Staline en 1953. On y voit le culte de
la personnalité porté à son amplitude maximale. Les gens défilent devant le
cercueil, déposent des gerbes de fleurs : sont-ils téléguidés ou y vont-ils par eux-mêmes ?
Beaucoup pleurent. On se déplace de Moscou en province ou aux bords de la Mer noire, partout la même douleur. Aucun commentaire autre que ceux des radios soviétiques de
l’époque, puis les discours des officiels sur la Place rouge (Beria, Molotov et Cie). Un
témoignage exceptionnel, uniquement en documents d’époque, noir
et blanc et couleurs. Magistral. Et
je mets à part aussi l’éclat de rire de la Mostra (où les
comédies sont souvent rares), La
mort d’un bureaucrate,
film restauré, réalisé par Tomás Guttiérez Alea en 1966, ou les
tribulations du cercueil d’un mort qu’on avait enterré avec sa
carte de travail, qu’il a fallu déterrer pour récupérer la dite
carte dont la veuve avait besoin pour toucher sa pension de veuve, et
qu’on n’arrive plus à remettre en terre, faute de papiers en règle… La bureaucratie
cubaine, à peine pire que la nôtre, mais dans toute sa splendeur !
Parmi
les films français, une comédie également, Mes
jours de gloire,
où l’on voit le héros (joué par Vincent Lacoste), toujours en
quête à 27 ans d’une aventure amoureuse qui puisse se conclure : car
le malheureux perd tous ses moyens à chaque fois qu’il touche au but. Et
ce n’est pas sa mère psychiatre (Emmanuelle Devos), à qui il ne
peut parler de ça, qui risque d’arranger les choses. La première
moitié est hilarante. Puis la sensation du Festival (il obtient le
Lion d’argent), le J’accuse,
de Roman Polanski, qui
raconte l’Affaire Dreyfus, vue par le colonel Picquard, d’après
un roman anglais de Robert Harris. Je dois être le seul à avoir trouvé le
film empoté, empesé, ressemblant plus à un défilé de têtes au Musée Grévin qu’à un film vraiment vivant. Et
quelle drôle d’idée d’avoir confié de nombreux rôles à des
acteurs connus ? On ne voit que les acteurs, rarement les
personnages. Polanski baisse bien, à mon avis. Dans les films
restaurés, Le
passage du Rhin
de Cayatte (1960, où il obtint le Lion d’or, contre Visconti), est
un des premiers
films de Charles Aznavour : le pendant de La Grande
illusion
(en moins bien que le film de Renoir, mais ça reste très honorable) mais on passe ici de la guerre de 14 à la guerre de 39-45. Enfin, j'ai vu aussi et beaucoup aimé le nouveau Guédiguian, Gloria mundi, sorte d'hommage au Victor Hugo des Misérables (le héros, au début du film, sort de prison, et va trouver sa rédemption, différente de celle de Jean Valjean), qui valut à Ariane Ascaride le prix d'interprétation féminine : un concentré des obsessions du réalisateur et un beau portrait de Marseille. Mais beaucoup ont détesté !
Deux
cinéastes français ont fait des films à l'étranger et les ont présentés à
Venise : Olivier Assayas
raconte, d’après un roman brésilien, dans Wasp
network
(titre non définitif pour sa sortie en France) l’infiltration
d’espions cubains dans la communauté anti-castriste de Miami pour
démasquer les groupes terroristes fomentant des attentats à Cuba.
Un bon thriller basé sur des faits réels. Costa-Gavras, lui,
réédite le coup de Z :
d’après un
livre de Yánis Varoufákis, il nous propose dans Adults
in the room,
les vains efforts du ministre Varoufákis en 2015 pour sortir la Grèce de la
crise : le
moins qu’on puisse dire, c’est que l’Union européenne ne sort
pas grandie de ce film, et même j'en suis sorti presque farouchement anti-Bruxelles. À 86 ans comme Polanski, et sur un sujet
tout aussi brûlant, Costa-Gavras se montre nettement plus
percutant !
Du
côté des films italiens, j’ai vu une adaptation d’une pièce de
théâtre de l’auteur napolitain Eduardo de Filippo,
Il sindaco del Rione Sanità,
réalisation de Mario Martone qui m’a paru intéressante, bien que
ne connaissant pas les arcanes de la vie politique locale. Autre
adaptation, Martin
Eden
(d’après Jack London) faite par Pietro Marcello, et qui se passe à
Naples aussi, dans une époque indéterminée : Luca Marinelli, dans le rôle-titre, a obtenu le prix d'interprétation masculine. Sortira en France, vraisemblablement. Un
formidable documentaire aussi, celui des cinéastes Federico Ferrone
et Michele Marizolini, Il
varco,
nous
plonge
dans l’hiver ukrainien de 1941, quand les troupes italiennes, à la
suite des nazis, se lancèrent à l’assaut de l’URSS. Un
film bien ficelé avec des documents d’époque, et en voix off des
textes de très bons écrivains (comme Mario Rigoni Stern) qui ont participé à
cette mascarade guerrière et meurtrière. Enfin, j’ai revu en
copie restaurée le premier film de Bertolucci, La
commare secca (1960),
sur un sujet de Pasolini, à qui il avait servi d’assistant pour
Accatone.
Au
total, un festival plutôt moyen, mais pas désagréable... Avec un curieux Lion d'or attribué à un blockbuster américain, Joker (pas vu) !
1 commentaire:
Merci pour ce panorama très complet Jean-Pierre.
Comme tu le sais nous ne sommes pas d'accord sur tout....heureusement.
Bon retour sur terre !
Amicalement
Paul
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