Plus que jamais, je perçois que tout est dans ce principe : ne pas s’appesantir ni s’attarder, ne pas saisir ni refuser, vivre à fond chaque instant. Pas besoin de jouer un rôle, juste se laisser être.
(Alexandre Jollien, Le philosophe nu, Seuil, 2010)
Dieu
est devenu un gros mot aujourd’hui, ou un mot oublié, on n’en
parle plus, ou si rarement : c’est sans doute pourquoi nos
modernes tartufes supportent si mal les sociétés et groupes humains
qui font encore une place à Dieu, d’où leur haine (et le mot est
faible) de l’Islam. J’ai trouvé chez Malraux le paragraphe
suivant : "Un
jour, j’ai employé, pour parler à un soldat incroyant, le mot :
âme. Il m’a répondu, j’aurais dû m’en douter : l’âme,
qu’est-ce que c’est ? J’ai réfléchi. L’âme,
c’est ce qui vous permet de vous adresser à Dieu, comme les yeux
nous permettent de voir les choses"
(Non :
fragments d’un roman sur la Résistance,
Gallimard, 2013). Dans
mon périple autour du monde, comme nous étions au milieu du
Pacifique, je demandais aux marins philippins qui m’avaient invité
dans leur salon : « Et là, au milieu de la mer, vous
n’avez pas peur, avec les typhons, les vagues scélérates et tout
ça ? » [personnellement, je n’avais pas peur du tout,
mais je faisais un voyage d’agrément, ce qui est loin d’être
leur cas] Ils m’ont répondu : « Nous sommes dans la
main de Dieu ! » Phrase presque impensable, voire incompréhensible, dans notre
occident qui s'est presque complètement mis à l’écart de toute spiritualité, en tout
cas religieuse.
Car
tout de même, on peut trouver de la spiritualité ailleurs, dans la
littérature, par exemple.
Parmi mes dernières lectures, j’ai été stimulé par l'essai de Jean-Claude Michéa, Notre ennemi le Capital (Climats, 2017 : "le monde du «doux commerce» et du consumérisme déchaîné – précisément parce qu’il repose sur la réification entre les individus atomisés – s’avère, par ailleurs, infiniment plus déshumanisant (il attaque l’âme humaine dans ses tréfonds les plus intimes) que tous les systèmes, pourtant notoirement plus brutaux, qui l’avaient précédé dans l’histoire". Tiens, revoilà l’âme, et chez un auteur qui se proclame athée ! J'ai été séduit par le petit livre de Michel Ohl, La main qui écrit (Plein chant, 2003, on ne dira jamais assez les mérites de ce petit éditeur) où l’auteur essaie de développer l’idée de décrire sa main en train d’écrite. C’est savoureux et très littéraire, cette manière de tourner autour du pot, tout en convoquant d'autres écrivains aussi bien que des menus faits de sa vie quotidienne. J’ai été enthousiasmé par l’essai de l’Italien Giovanni Macchia, Le silence de Molière où, non content de revisiter avec bonheur les chefs-d’œuvre de notre grand auteur (qui lit encore Molière aujourd'hui, me suis-je demandé ?), notamment Tartuffe, il tente une interview imaginaire de la seule fille de Molière, à qui il fait dire, pour expliquer son refus de devenir comédienne : "j’eus la révélation que le théâtre, le théâtre comique, était dans sa substance essentiellement cruel : cruel et ignoble. Je commençai à découvrir l’ignominie du rire". Phrase que devraient méditer bien de nos amuseurs radio et télé !
Parmi mes dernières lectures, j’ai été stimulé par l'essai de Jean-Claude Michéa, Notre ennemi le Capital (Climats, 2017 : "le monde du «doux commerce» et du consumérisme déchaîné – précisément parce qu’il repose sur la réification entre les individus atomisés – s’avère, par ailleurs, infiniment plus déshumanisant (il attaque l’âme humaine dans ses tréfonds les plus intimes) que tous les systèmes, pourtant notoirement plus brutaux, qui l’avaient précédé dans l’histoire". Tiens, revoilà l’âme, et chez un auteur qui se proclame athée ! J'ai été séduit par le petit livre de Michel Ohl, La main qui écrit (Plein chant, 2003, on ne dira jamais assez les mérites de ce petit éditeur) où l’auteur essaie de développer l’idée de décrire sa main en train d’écrite. C’est savoureux et très littéraire, cette manière de tourner autour du pot, tout en convoquant d'autres écrivains aussi bien que des menus faits de sa vie quotidienne. J’ai été enthousiasmé par l’essai de l’Italien Giovanni Macchia, Le silence de Molière où, non content de revisiter avec bonheur les chefs-d’œuvre de notre grand auteur (qui lit encore Molière aujourd'hui, me suis-je demandé ?), notamment Tartuffe, il tente une interview imaginaire de la seule fille de Molière, à qui il fait dire, pour expliquer son refus de devenir comédienne : "j’eus la révélation que le théâtre, le théâtre comique, était dans sa substance essentiellement cruel : cruel et ignoble. Je commençai à découvrir l’ignominie du rire". Phrase que devraient méditer bien de nos amuseurs radio et télé !
J’ai beaucoup aimé aussi le dernier roman traduit du Suisse
allemand Alain-Claude Sulzer, Post-scriptum,
qui tourne, comme toujours chez cet auteur, autour de l’identité
sexuelle du héros. J’ai pris mon temps pour lire le deuxième et
dernier roman, Révolution
aux Philippines,
du Philippin José Rizal, assassiné par les autorités en 1896 à
l’âge de 35 ans. Description
apocalyptique du colonialisme philippin vers la fin du XIXème.
Excellent !
J’avais lu son premier roman sur ma liseuse en Guadeloupe, j'ai déniché celui-ci dans les magasins de la Médiathèque de Bordeaux, dont on ne l'avait pas encore désherbé. Et
enfin, un étonnant roman suédois, Le
chronométreur,
de Pär Thörn, d’un humour dévastateur. Le
héros, engagé par une entreprise, pour faire la chasse au temps
perdu par les ouvriers et employés, finit par se prendre tellement
au jeu, qu’il chronomètre tout dans sa propre vie : une
métaphore du capitalisme actuel ?
Mais
je suis aussi beaucoup allé au cinéma, où je fais aussi mon miel spirituel ; j’ai vu (entre autres) :
Avant-poste
du progrès,
du Portugais Hugo Vieira Da Silva, satire féroce, hilarante et
tragique du colonialisme à la fin du XIXème siècle, d'après une nouvelle de Joseph Conrad.
Trois
films polonais du festival Kinopolska : La
dernière famille
(Matuszewski, 2014) décrit avec acuité la déliquescence d’une
famille de la classe moyenne, les parents coincée entre les deux
grands-mères qu’ils gardent à domicile, et un fils névrosé et
suicidaire. La
nuit de Walpurgis
(Bortkiewicz, 2015), peut-être le plus fort des trois, et le plus
bref, se passe en Suisse en 1969 et raconte l’histoire d’un jeune
homme venu interviewer une cantatrice. Mais au fil de la nuit, les
souvenirs du nazisme et des camps de la mort remontent chez cette
dernière, qui y fut prisonnière, et se concluent par un jeu aux frontières de la perversité, sublimé par un magnifique noir et blanc. Les
sirènes du dancefloor
(Smoczynska, 2015) est un film à la fois fantastique (deux jeunes
femmes sont en réalité des sirènes, leur queue de poisson pousse
si on asperge d’eau leurs jambes) et musical, elles chantent à la
perfection et sont embauchées dans un night-club. Très
beau film tragique qui mériterait aussi une sortie en France.
Le
jour d’après,
du Coréen Hong Sang Sou (encore en noir et blanc, superbe) est
l’histoire d’un homme, écrivain et éditeur, pris entre trois
femmes, la sienne d’abord, son ancienne employée devenue sa
maîtresse et qui a disparu, et sa nouvelle employée qui l’attire
visiblement. Mais elle ne reste qu’un jour, l’ancienne
réapparaissant. Tiens, voilà un film où on parle des croyances, où
on parle de Dieu. J’ai pensé par instants à Ma
nuit chez Maud,
de Rohmer. Ce qui place ce film à un très haut niveau.
Sayonara,
du Japonais Fukada, est un film d’anticipation : quinze
centrales nucléaires ont explosé au japon. Il faut évacuer toute
la population du pays devenu entièrement contaminé. Mais Tania, blanche originaire d’Afrique du sud,
atteinte d’une longue maladie incurable, ne fait partie des prioritaires.
Elle est veillée par Léona, son robot androïde (jouée par un vrai
robot, je me suis posé la question ?). Elle meurt et Léona continue
à la veiller. C‘est assez impressionnant, grand-guignolesque dans
la dernière partie.
Détenu
en attente de jugement,
de l’Italien Nanny Loy, avec Alberto Sordi, datant de 1971, et
inédit en France, démontre, si besoin était, la force du cinéma
italien de la grande époque. Le héros, parti en Suède faire
fortune, revient au pays pour des vacances méritées après huit ans
d’absence, nanti d'une épouse suédoise et de deux enfants. Il
est arrêté à la frontière italienne sans savoir pourquoi. Trimbalé de
prison en prison, il se perd dans les dédales de l’institution
judiciaire et pénitentiaire. Sa femme, par l’intermédiaire du
consulat suédois, contacte un avocat. Il finit par être libéré,
mais il a quasiment perdu la parole (quand on connaît la faconde,
d’Alberto Sordi !) et ressort brisé. On pense là, bien sûr,
au Procès,
de Kafka.
Enfin,
j’ai vu Marie-Francine,
de notre comédienne nationale Valérie Lemercier, qui réussit
l’exploit de faire une comédie assez drôle, touchante et jamais vulgaire. Le
pitch : le même jour, Marie-Francine, 50 ans, apprend le départ
de son mari (joué par Denis Podalydès, à la fois benêt et
odieux) et qu’elle est licenciée parce que le bâtiment où elle
travaille est bourré d’amiante. Elle va se réfugier chez ses
parents, un couple de septuagénaires excentriques. Elle fait
connaissance d’un cuisinier de restaurant, plutôt timide, avec qui se noue une nouvelle
histoire d’amour. C’est plein de petits détails vrais, pas un
grand film, mais à cent coudées au-dessus des franchouillardises
habituelles !
Je
ne peux parler de tout ce que j’ai vu (je suis dans les mêmes
chiffres que l’an passé) ou lu (là, je suis nettement en dessous,
parce que j’ai lu cette année beaucoup d’essais qui nécessitent davantage de
lenteur de lecture que les romans). Je n’emporte que ma liseuse en déplacement en Suisse, ça
va surtout me servir dans les trains, car je crois que la dynamique
du groupe ne permettra pas beaucoup de s’isoler pendant la semaine
suisse.
Je
rentrerai le 27 juin tard dans la soirée.
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