vendredi 26 mai 2017

26 mai 2017 : "la vie est misérablement courte"



DOMIN : Que pensez-vous ? Quel est le meilleur ouvrier possible ?
HÉLÈNE : Le meilleur ? Probablement celui qui... qui... est honnête... et dévoué.
DOMIN : Non. Celui qui coûte le moins cher. Celui qui exige le moins.
(Karel Čapek, R.U.R. Rossum’s Universal Robots, trad. Jan Rubel, La Différence, 2011)

Voilà, je suis rentré de Paris, j’ai réussi à me dépatouiller avec internet pour faire ma déclaration de revenus, et grâce à mes dons nombreux en 2016, je ne devrais presque pas payer d’impôt sur le revenu... Par contre, il faudra que j’économise pour l’année suivante, où ça va barder pour mon matricule (ce sera multiplié par 10 au moins, peut-être par 15)...

j'ai eu une pensée émue vers mes amis antillais en passant sur ce quai, près des Tuileries

Outre la Palestine, dont je vous causais hier, mais qui, comme la Grèce (pour des raisons finalement pas si différentes : les deux peuples sont opprimés), me tient beaucoup à cœur, j’ai profité de mon passage de quelques jours pour me balader à pied ou à vélo (parfois en métro aussi), découvrir quelques coins curieux (il suffit d’ouvrir les yeux), voir quelques amies, faire une exposition, et même acheter des bouquins ou aller au cinéma.

une étrange devanture, rue du Jardinet
 
Je suis donc allé au Musée d’Orsay, en compagnie de C., ma condisciple de l’École nationale supérieure des bibliothèques, qui est très férue de musées et d’expositions. Elle m’avait donné Rendez-vous gare Saint-Lazare, devant la sculpture des horloges entassées. Nous sommes allés manger dans un des derniers (dixit le Guide du Routard) restaurants "routiers" parisiens, très chargé en semaine, mais presque vide le samedi. C’était fort bon. 

devant la gare, la fameuse sculpture d'horloges (artiste : Aman)

Puis direction Orsay par bus. l’exposition s’intitule : Au-delà des étoiles, le paysage mystique, de Monet à Kandinsky, qui par le partenariat avec le Musée de Toronto, nous fait découvrir quelques toiles de l’École canadienne des années 20. Il faut avouer que l’ensemble fait un peu disparate, mais a trouvé pas mal d’échos en moi, surtout avec le thème de la nuit. Quelques tableaux connus, beaucoup de découvertes, ça sert aussi à ça, les expositions. En sortant, on a admiré quelques Courbet et quelques sculptures. Un bel après-midi bien frais, alors qu’il faisait chaud dehors...

dans les jardins du Palais Royal, les corbeaux affectionnent les cuisses de cet éphèbe

J’ai retrouvé l’amie S., une pasteure anglicane aujourd’hui retraitée, mais qui officie encore une fois par mois à Calais et, le reste du temps, aide sa fille et son gendre en gardant leurs enfants. Nous avons déjeuné ensemble lundi au Pain quotidien, un restaurant végétarien qui m’a beaucoup plu, situé juste à côté des jardins du Palais Royal, rue des Petits-Champs. S. a ainsi découvert les galeries et la jardin en question, qu’elle n’avait encore jamais vus. Il est vrai qu’elle n’habite à Paris (Bagnolet) que depuis sa mise à la retraite il y a trois ou quatre ans. Elle avait officié principalement en Italie et en Suisse pour les communautés anglaises, encore pratiquantes (plus que les françaises ?).


Côté cinéma, j’ai complété ma filmographie de Fellini avec Et vogue le navire (1983 : nous étions alors en Guadeloupe, où bien sûr, le film ne fut pas projeté ; il y aurait un livre à écrire sur la distribution des films - et des livres ? Et se demander pourquoi on fait si peu de propositions et pourquoi on préfère passer des tas de bêtises propres à vous dégoûter définitivement du cinéma et à faire croire au public qu'il est forcément idiot). Bref, comme tous les Fellini des années 60 et 70, c’est un film qui subjugue par son côté visuel et grotesque. Ah, ne pas compter sur lui pour se limiter à un plat réalisme. Sa mer en plastique est une merveille qui ouvre l’imagination, son paquebot de studio est un navire plus vrai que les réels, les acteurs (peu connus) sont au top, et en plus c'est un film d’actualité, car le navire est amené à secourir des naufragés serbes en perdition sur la mer, qui tentent de fuir la guerre autrichienne (on est en 1914). C’est magnifique, nous eûmes du mal à sortir de notre fauteuil, tant nous étions dans le film...


Et puis, puisqu’il y avait Cannes, pourquoi ne pas aller voir un des films projetés là-bas ? Ce fut Les fantômes d’Ismaël, le nouveau film de Desplechin, avec un Mathieu Amalrik en très grande forme, entouré d’une pléiade d’acteurs où se distinguaient particulièrement Louis Garrel, Charlotte Gainsbourg et Marion Cotillard, un peu moins gourde que d’habitude (j’avoue mon aversion pour cette actrice, je n’y peux rien !), mais cantonnée dans un rôle désagréable qui lui allait comme un gant. Ça raconte les affres d’un fabricant de films, dont la femme a mystérieusement disparu depuis plus de vingt ans (elle s'appelle Carlotta, allusion à l’héroïne du Vertigo d’Hitchcock ?). Il a refait sa vie récemment avec une femme non moins mystérieuse, Sylvia. Mais il doute, et le retour impossible de sa première femme va le mettre en plein désarroi, au point qu’il décide d’arrêter le tournage de son nouveau film et de se retrancher dans la maison familiale de Roubaix, d’où il va falloir l’extraire. Le scénario pêche un peu par sa complexité (peut-être aussi parce qu’il y a eu vingt-cinq minutes de coupures), on s’y perd un peu, mais ça m’a bien plu. 

Le semeur, de Van Gogh, qui sert de phare pour l'exposition sur le paysage mystique
 
À propos de cinéma, je me suis rendu compte que le nombre de vrais cinémas (ceux dits indépendants ou d’art et d’essai) s’amenuise comme une peau de chagrin, même à Paris. Les grands groupes sont en train de les bouffer complètement. Je suis quand même content, j’aurais connu la merveilleuse époque de la grande diversité des salles obscures. Quand il n’y aura plus que les grands complexes, les spectateurs comme moi pourront dire adieu à leur 7ème art, qui ne sera plus que du divertissement (entertainment ou machine à décerveler, n’est-ce pas, Alfred Jarry ?), parfois de qualité, mais le plus souvent médiocre et sans intérêt autre que de nous faire perdre notre temps, alors que la vie est si "misérablement courte", comme disait un certain Blaise Pascal ! Il est vrai que la planète entière est en train de se transformer en parc d'attractions (pour les riches) et en mouroir (pour les pauvres).

sous les verrières de l'ancienne gare d'Orsay, les faunes dansent


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