lundi 20 février 2017

20 février 2017 : des femmes et des hommes sauvent notre honneur (1)


Enfin, toutes les frontières sont fermées et comme on sait, ou finit par le savoir, quand on ne peut pas passer on passe quand même mais on passe avec les risques de passer.
(Marie Cosnay, Jours de répit à Baigorri, Créaphis, 2016)


C'est un tout petit livre, mais comme les bons livres, il a du poids !
Baigorri est un village du pays basque français, un peu plus de mille habitants, qui a accepté de recevoir un groupe de cinquante jeunes migrants venant de Calais, exclusivement masculins, pendant trois mois de l'hiver 2015-2016. Ils viennent d'Irak, de Syrie, du Soudan, d'Afghanistan, d'Érythrée... Ils sont invités, dans le cadre d'un dispositif officiel mis en place par la Préfecture, à vivre un moment de répit ("Les critères, pour le séjour de répit : la vulnérabilité. La solitude, l'âge. L'un des garçons du Soudan est parti de chez lui tout seul, à l'âge de douze ans"). avant d'être ensuite dispersés dans différents centres d'accueil en France. On les encourage à renoncer à leur rêve d'Angleterre, par le partage et l'accueil, l'apprentissage de la langue française, la vie en communauté, aidés par de nombreux bénévoles et habitants du village. C'était loin d'être évident. Mais Baigorri a une longue tradition d'accueil : aussi bien des Belges réfugiés pendant les guerres mondiales, ou des Espagnols ayant fui le franquisme. Ici, ces jeunes vont trouver une espérance. 
 
L'écrivain Marie Cosnay (que j'avais eu le plaisir de rencontrer aux Lectures sous l'arbre de Chambon-sur-le Lignon) a participé à cette formidable aventure. Elle a pris des notes, elle a accompagné, donné des cours, partagé cette hospitalité joyeuse : cette "joie que le projet suscitait était communicative, peut-être devait-on tenir à ça, se tenir à ça, à la joie qui se répandait, une joie contre les terreurs et les resserrements". Peu à peu, rapporte-t-elle, "notre espérance, au niveau d'un village, d'un groupe, se construisait. C'est peu, c'était peu, mais ça change et ça changeait tout". Désormais, il était "possible de regarder l'autre et d'être regardé, de se laisser, sous le regard, transformer un peu". Et, au bout du compte, et de l'expérience : "Ce qu'on entend aujourd'hui ? Que c'est bon de penser aux autres. Que ça empêche de déprimer. Et puis on a cette impression qu'on fait un bon truc. Qu'on vit dans un monde". Et que ce monde, grâce à cette modeste ouverture qui est d'avoir accepté cet accueil, devient un monde meilleur.
Le maire, Jean-Daniel Élichiry, dit : "il faut trois conditions pour que l'expérience fonctionne. Une mairie consentante. Des locaux dignes. La dernière condition : l'ancrage dans un lieu, avec habitude de bénévolat et de solidarités". Ici, il a ouvert le VVF aux jeunes migrants. Comme le rapporte l'auteur, "personne ne savait encore comment se passerait l'aventure mais voilà, c'était possible. Ce n'était pas facile, mais c'était possible qu'un village dise : oui, nous pouvons offrir un moment de répit à des personnes qui sont sur les routes depuis des années, avec un but – qui est d'ailleurs plus un nom qu'un but : Angleterre. Qu'un village propose : ils sont dehors, on a ici de quoi loger, alors oui, bien sûr, les peurs, vécues de loin, bien sûr. Mais quoi, dans le réel ? Comment ça marche, en vrai ?"
Marie Cosnay rentrait d'un endroit (une petite ville touristique où s'était créé autour des migrants accueillis un climat délétère) "où la peur défigurait les personnes qui se plaignaient qu'elles avaient accueilli et que voilà le résultat. J'étais effrayée du constat fait par ceux que la peur défigurait, et par les autres, qui se servaient politiquement de la peur des premiers". Elle a été d'autant plus heureuse de voir qu'ici tout le monde y avait mis du sien : "Les personnes, bénévoles ou pas, jusqu'à l'hôpital de Bayonne sollicité, avaient fait preuve de ferveur. Je ne sais pas vous, mais le mot ferveur, dans le débat public, je ne l'ai pas entendu souvent". Et elle insiste, en écrivain, sur ce mot : "La ferveur est communicative. La ferveur, un affect qui ne trompe pas son monde, est communicative. Elle se vit dans la présence. Elle est le contraire de la peur. Elle est donnée par le réel, par ce qui se passe de bon quand nous sommes ensemble. Dans le réel qui dépasse les fantasmes".
À Baigorri, bénévoles, jeunes et vieux, se soudent dans le désir commun de servir, d'accueillir, de créer de la solidarité d'être tout simplement humain, et Nora, par exemple, finit par poser la question : "est-ce un groupe qui accueille, qui peut ou sait accueillir, ou bien est-ce parce qu'on accueille qu'on finit par faire groupe ?"
Oui, le partage a du bon, celui de la nourriture, mais aussi bien que celui de l'hospitalité et de l'amitié, de la danse et du chant, de l'enseignement aussi : "Quelqu'un est garant de ce qu'on partage. Parce qu'on n'apprend pas, ne répète pas, ne partage pas n'importe quoi. Il y a quelque chose qui garantit ce qui va être appris, su, répété". Et des choses nouvelles adviennent. On s'aperçoit, soudain, que "les migrants n'étaient plus un problème, ils étaient des visages, ils étaient des ressources, ils parlaient. Ces rencontres comptent beaucoup". Qu'on est capable de tenir, "quand on fait des choses humbles et concrètes, là où on est. Sinon on ne tient pas". Et même qu'un sentiment nouveau finit par apparaître : "Les échanges, les petits moments doux et forts, les questions, les rires, les larmes. Apprendre à se connaître, à s'apprécier, quel nom donner à ce sentiment qui naît de la même façon quand on voyage ?" Et aussi que "l'émotion peut surgir, par surprise. De surcroît. Elle surgit d'autant plus ou d'autant mieux qu'elle a été encadrée, elle ne déferle pas, elle ne crée pas de dépendances".
Ce qui a horripilé l'auteur, c''est que "le ministère de l'Intérieur ne demande rien, toujours rien à ce jour, à l'association Atherbea, qui a organisé l'installation des gars au VVF de Baigorri – alors que celle-ci a quelque chose à partager de l'expérience réussie qu'elle a faite". On préfère parler de ce qui ne va pas et ne pas s'inspirer de ce qui marche. Et pourtant, conclut-elle, "des mairies, des conseils municipaux, considèrent comme une chance d'accueillir une cinquantaine de jeunes gens".
S'il y avait une justice, ce livre devrait être un best-seller ! Car il parle des héros de notre temps, de ceux qui sauvent notre honneur ! 
À suivre...




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