Enfin,
toutes les frontières sont fermées et comme on sait, ou finit par
le savoir, quand on ne peut pas passer
on passe quand même mais on passe avec les risques de passer.
(Marie
Cosnay, Jours
de répit à Baigorri,
Créaphis, 2016)
C'est un tout petit livre, mais comme les bons livres, il a du poids !
Baigorri
est un village du pays basque français, un peu plus de mille
habitants, qui a accepté de recevoir un groupe de cinquante jeunes
migrants venant de Calais, exclusivement masculins, pendant trois
mois de l'hiver 2015-2016. Ils viennent d'Irak, de Syrie, du Soudan,
d'Afghanistan, d'Érythrée...
Ils sont invités, dans le cadre d'un dispositif officiel mis en
place par la Préfecture, à vivre un moment de répit ("Les
critères, pour le séjour de répit : la vulnérabilité. La
solitude, l'âge. L'un des garçons du Soudan est parti de chez lui
tout seul, à l'âge de douze ans"). avant d'être ensuite
dispersés dans différents centres d'accueil en France. On les
encourage à renoncer à leur rêve d'Angleterre, par le partage et
l'accueil, l'apprentissage de la langue française, la vie en communauté, aidés
par de nombreux bénévoles et habitants du village. C'était loin d'être évident. Mais
Baigorri a une longue tradition d'accueil : aussi bien des Belges
réfugiés pendant les guerres mondiales, ou des Espagnols ayant fui le
franquisme. Ici, ces jeunes vont trouver une espérance.
L'écrivain
Marie Cosnay (que j'avais eu le plaisir de rencontrer aux Lectures sous l'arbre de Chambon-sur-le Lignon) a participé à cette formidable aventure. Elle a pris
des notes, elle a accompagné, donné des cours, partagé cette
hospitalité joyeuse : cette "joie que le projet suscitait était
communicative, peut-être devait-on tenir à ça, se tenir à ça, à
la joie qui se répandait, une joie contre les terreurs et les
resserrements". Peu à peu, rapporte-t-elle, "notre
espérance, au niveau d'un village, d'un groupe, se construisait.
C'est peu, c'était peu, mais ça change et ça changeait tout".
Désormais, il était "possible de regarder l'autre et d'être
regardé, de se laisser, sous le regard, transformer un peu".
Et, au bout du compte, et de l'expérience : "Ce qu'on entend
aujourd'hui ? Que c'est bon de penser aux autres. Que ça empêche de
déprimer. Et puis on a cette impression qu'on fait un bon truc.
Qu'on vit dans un monde". Et que ce monde, grâce à cette
modeste ouverture qui est d'avoir accepté cet accueil, devient un
monde meilleur.
Le
maire, Jean-Daniel Élichiry, dit : "il faut trois conditions pour que l'expérience
fonctionne. Une mairie consentante. Des locaux dignes. La dernière
condition : l'ancrage dans un lieu, avec habitude de bénévolat et
de solidarités". Ici, il a ouvert le VVF aux jeunes migrants.
Comme le rapporte l'auteur, "personne ne savait encore comment
se passerait l'aventure mais voilà, c'était possible. Ce n'était
pas facile, mais c'était possible qu'un village dise : oui, nous
pouvons offrir un moment de répit à des personnes qui sont sur les
routes depuis des années, avec un but – qui est d'ailleurs plus un
nom qu'un but : Angleterre. Qu'un village propose : ils sont dehors,
on a ici de quoi loger, alors oui, bien sûr, les peurs, vécues de
loin, bien sûr. Mais quoi, dans le réel ? Comment ça marche, en
vrai ?"
Marie
Cosnay rentrait d'un endroit (une petite ville touristique où
s'était créé autour des migrants accueillis un climat délétère)
"où la peur défigurait les personnes qui se plaignaient qu'elles
avaient accueilli et que voilà le résultat. J'étais
effrayée du constat fait par ceux que la peur défigurait, et par
les autres, qui se servaient politiquement de la peur des premiers".
Elle a été d'autant plus heureuse de voir qu'ici tout le monde y
avait mis du sien : "Les personnes, bénévoles ou pas, jusqu'à
l'hôpital de Bayonne sollicité, avaient fait preuve de ferveur.
Je ne sais pas vous, mais le mot ferveur, dans le débat public, je
ne l'ai pas entendu souvent". Et elle insiste, en écrivain, sur
ce mot : "La ferveur est communicative. La ferveur, un affect
qui ne trompe pas son monde, est communicative. Elle se vit dans la
présence. Elle est le contraire de la peur. Elle est donnée par le
réel, par ce qui se passe de bon quand nous sommes ensemble. Dans le
réel qui dépasse les fantasmes".
À
Baigorri, bénévoles, jeunes et vieux, se soudent dans le désir
commun de servir, d'accueillir, de créer de la solidarité d'être
tout simplement humain, et Nora, par exemple, finit par poser la
question : "est-ce un groupe qui accueille, qui peut ou sait
accueillir, ou bien est-ce parce qu'on accueille qu'on finit par
faire groupe ?"
Oui,
le partage a du bon, celui de la nourriture, mais aussi bien que celui de
l'hospitalité et de l'amitié, de la danse et du chant, de
l'enseignement aussi : "Quelqu'un est garant de ce qu'on
partage. Parce qu'on n'apprend pas, ne répète pas, ne partage pas
n'importe quoi. Il y a quelque chose qui garantit ce qui va être
appris, su, répété". Et des choses nouvelles adviennent. On
s'aperçoit, soudain, que "les migrants n'étaient plus un
problème, ils étaient des visages, ils étaient des ressources, ils
parlaient. Ces rencontres comptent beaucoup". Qu'on est capable
de tenir, "quand on fait des choses humbles et concrètes, là
où on est. Sinon on ne tient pas". Et même qu'un sentiment
nouveau finit par apparaître : "Les échanges, les petits
moments doux et forts, les questions, les rires, les larmes.
Apprendre à se connaître, à s'apprécier, quel nom donner à ce
sentiment qui naît de la même façon quand on voyage ?" Et
aussi que "l'émotion peut surgir, par surprise. De surcroît.
Elle surgit d'autant plus ou d'autant mieux qu'elle a été encadrée,
elle ne déferle pas, elle ne crée pas de dépendances".
Ce
qui a horripilé l'auteur, c''est que "le ministère de
l'Intérieur ne demande rien, toujours rien à ce jour, à
l'association Atherbea, qui a organisé l'installation des gars au
VVF de Baigorri – alors que celle-ci a quelque chose à partager de
l'expérience réussie qu'elle a faite". On préfère parler de
ce qui ne va pas et ne pas s'inspirer de ce qui marche. Et pourtant,
conclut-elle, "des mairies, des conseils municipaux, considèrent
comme une chance d'accueillir une cinquantaine de jeunes gens".
S'il y avait une justice, ce livre devrait être un best-seller ! Car il parle des héros de notre temps, de ceux qui sauvent notre honneur !
À
suivre...
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