Les
vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos
sont fermés.
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter.
Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit,
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit.
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter.
Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit,
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit.
(Jacques
Brel, Les vieux)
Je
reviens de Poitiers, où j’ai commencé à mettre au point ma
nouvelle façon
d’être pour l’année qui vient. Il faut bien prendre des
décisions et s’y tenir : ça prouve qu’on n’est pas
encore assez vieux, si on y
arrive !
Donc,
je vais continuer à aller là-bas en moyenne une fois toutes les
trois semaines pour une durée de deux ou trois jours, et accompagner
en particulier Odile qui, à quatre-vingt-onze ans, a du mal à se
remettre du décès de sa fille Mireille survenu le 22 septembre
2015. J’ai senti, à mon dernier passage, qu’elle avait un grand
besoin d’amitié et de soutien moral et physique.
J’ai
donc commencé, je suis arrivé vendredi matin, suis allé chez
Georges qui, à quatre-vingt-dix-sept ans, ne se débrouille pas
encore trop mal, et surtout a gardé un moral suffisant pour
continuer ce qu’il appelle « non plus une vie, mais une
survie ». J’arrive de mon train vers 10 h 30, je fonce chez
lui, non sans lui avoir téléphoné pour savoir s’il faut que
j’apporte du pain ou autre chose, nous papotons, nous prenons
l’apéro, puis mangeons ensemble, je prépare la salade, fais
réchauffer un plat cuisiné, en dessert un fruit ou du gâteau, puis
le café. Une petite sieste tous deux, puis on papote encore, et je
le quitte, monte en ville prendre le bus pour aller chez Odile.
Elle
m’attend comme le Messie. Je me suis occupé de sa
grande inquiétude, ses
impôts : qui dira le drame de toute cette paperasse
administrative pour ces personnes très âgées ? (J’avais
dû aussi faire une lettre au centre des impôts pour Aline, une dame
de la RPA1
où habite mon frère) Puis nous avons fait un tour dans le parc en
bas de chez elle, sommes passés à la boulangerie, et remontés.
Nous avons pris le thé et goûté (Odile a de temps en temps des
fringales), papoté, lu quelques poèmes de Danse sur les
flots, que je venais de lui
offrir : j’en lisais un, lui passais le livre, et elle le
lisait à son tour ; nous
avions remarqué que c’était une bonne façon de faire découvrir
les poèmes, les lire deux fois, l’un après l’autre.
Puis j’ai préparé le repas du soir : une soupe, une salade
de pommes de terre et d’endives avec des œufs durs. Odile n’a
plus envie de cuisiner, elle est devenue « difficile »,
me dit-elle, ses
goûts ont
changé. Puis on a papoté encore, parlé de sa jeunesse, de la
mienne, de nos lectures. Je relis en ce moment Les
faux-monnayeurs, de Gide (1ère
lecture, à Marmande, en 1969),
au programme du bac d’un de mes petits-neveux ; elle se plaint
de la pauvreté de la bibliothèque municipale de son quartier où,
justement, me dit-elle, « je ne risque de trouver un tel
livre ! »
J’avais
emporté mon sac à viande pour éviter de salir des draps, et j’ai
fort bien dormi dans la chambre d’ami. Elle dort très mal, elle
qui, avant la mort de sa fille, faisait le tour du cadran !
Samedi matin, nous sommes
allés en voiture (j’ai conduit) faire les courses, j’ai acheté
douze bouteilles d’eau au supermarché, et elle a voulu que je
l’emmène chez Picard acheter des plats cuisinés surgelés en
barquettes pour une personne. Le midi, on a mangé un gros couscous
que Rabiha, une Irakienne en exil à Poitiers depuis quarante ans,
lui avait porté. J’ai
mis ce qui restait dans une boîte, ça lui fera un plat à
réchauffer dans les prochains jours. Sieste, puis on a repris la
voiture (je deviens un vrai
chauffeur !) et je l’ai
emmenée en forêt de Moulière : plusieurs années qu’elle
n’y était pas allée. Elle ne conduit plus que pour des petits
trajets. On a dîné avec les nems de chez Picard, puis des fruits.
Et,
rebelote, la voiture pour aller à Migné-Auxances voir une animation
poésie autour de l’œuvre
de Jean-Claude Martin, un de nos amis poètes de Poitiers. Le
malheureux Georges, qui devait venir aussi avec une amie, s’est
trouvé coincé, l’amie en question étant malade, et la trop
petite voiture d’Odile n’aurait pas permis de le voiturer avec
nous. Il s’en faisait fête et en était tout marri, le pauvre !
Belle soirée donc. Sans moi, elle n’y serait pas allée. Il faut
que je gourmande les gens de l’Association Maison de la
Poésie pour leur dire de penser
à venir chercher nos deux « vieux » poètes.
Au
retour, comme elle avait un petit creux, on a sorti le reste de soupe
d’hier soir, et je l’ai accompagnée, bien que n’ayant guère
faim. Et, ce matin, Odile a téléphoné à Rabiha, qui fréquente le
marché proche, pour qu’elle nous rapporte quelque chose :
poulet rôti, humus, petits
beignets orientaux fourrés à la viande hachée, et gâteaux
orientaux. j’y serais bien allé moi-même (Odile se ressentait de
notre marche en forêt d’hier), mais ça fait tellement plaisir à
Rabiha de rendre service que je n’ai pas voulu m’immiscer dans
leurs arrangements. Pendant qu’on attendait, Odile m’a montré
son nouveau manuscrit de poèmes inédits, Tout un monde
fluide, qui devrait paraître
l’an prochain. On a mangé, puis sieste, promenade dans le parc et
elle m’a emmené à la gare pour mon train (j’avoue que je
n’étais pas trop tranquille de la voir conduire, mais il y a, heureusement, très peu
de circulation le dimanche).
J’ai
été saisi, dans ces trois jours, de les voir tous les deux, mes
vieux amis poètes, donnant l’impression, selon les mots de Brel,
de "Traverser
le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin".
Heureusement qu’ils
trouvent un peu d’aide désintéressée, par exemple de Rabiha,
cette femme étonnante, exilée d'Irak depuis quarante ans, qui vit très petitement avec
son mari et qui est pourtant
capable d’ouvrir son cœur tout grand. Elle nous a raconté leur
dernier malheur : la société d’HLM a nettoyé le toit de
leur maison au kärcher,
et le produit chimique
utilisé a détruit tout leur petit jardin (légumes et fleurs) et endommagé le sol pour plusieurs années. J’ai du mal à
comprendre qu’en notre époque d’écologie, on n’utilise pas de
produits « propres » pour ce genre de travail !
Prochain
déplacement à Poitiers : du 11 au 13 octobre.
(1) Résidence
pour Personnes Âgées.
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