Nous
sommes tous des exilés de notre enfance. C'est pour cela que nous
avons recours aux histoires, entre autres palliatifs.
(Mohsin
Hamid, Comment
s'en mettre plein les poches en Asie mutante,
trad. Bernard Cohen, Grasset, 2014)
Mohsin
Hamid, auteur inconnu de moi, est mon premier auteur pakistanais !
Une sacrée réussite et un livre qui m'a bien plu, emprunté à mon
excellente bibliothèque de quartier qui, heureusement, ne se limite
pas aux best-sellers français et américains, même si c'est ce que
préfère le public. Comment s'en mettre
plein les poches en Asie mutante se
présente comme un livre de développement personnel, mais il s'agit,
bien entendu, d'un roman, et écrit à la deuxième personne du
singulier, histoire de mettre le lecteur dans le coup, comme si
l'écrivain s'adressait personnellement à lui !
Il
raconte la vie édifiante
et surprenante d'un héros né très pauvre, dans la
campagne arriérée, et qui a la chance d'être le petit dernier de la famille,
et donc les parents vont vouloir qu'il suive des études pour ne pas subir la vie misérable qui est la leur. Il va lui falloir se battre, quitter la
campagne pour la ville, améliorer peu à peu sa condition, découvrir
l’amour pur de l'adolescent (qu'il va conserver toute sa vie, alors
même que "la jolie fille" reste en fait sa "princesse lointaine", et qu'il
ne finira par la retrouver qu'à la fin de sa vie), et même faire
fortune dans le commerce de l'eau en bouteille, avant d'être
dépouillé par son beau-frère, et réduit à la gêne, ce qui ne le
trouble que modérément, car au départ, il n'avait rien pour lui.
Mais cette fable exemplaire, sorte de Grandeur
et décadence d'un César Birotteau pakistanais,
nous fait percevoir la manière dont
la réussite sociale peut arriver dans un pays de non-droit, où il
faut payer des bakchichs aussi bien aux policiers qu'aux
sous-ministres et chefs de cabinet. Mais est-ce tellement différent
chez nous ; je n'ai jamais rencontré en France quelqu'un qui ait réussi sans avoir beaucoup magouillé ? Il fallait beaucoup légèreté, beaucoup d’humour
pour rendre agréable la vie d'un tel héros.
Le
procédé narratif permet à l'auteur d'impliquer le lecteur qui,
s’il se prête au jeu, fait sienne la vie du personnage. Sous
l'humour omniprésent, on trouvera une satire assez véhémente de la
corruption du pays, jamais nommé, mais qui doit être le Pakistan et pourrait être tout autre pays du tiers-monde, aussi bien que du monde développé et soi-disant civilisé.
Le héros, jamais nommé non plus, accepte au fond de participer à cette corruption généralisée, car les magouilles de toutes sortes sont le
seul moyen de sortir de la pauvreté. On a donc affaire, aussi bien
chez le héros que chez "la jolie fille" (jamais nommée autrement), à une course au trésor
effrénée. Seule la fin de leur vie les ramène ensemble à se réunir dans un
bonheur calme et désintéressé. En douze chapitres, on suit
l'évolution du héros, et en parallèle de sa famille, aussi bien
que de "la jolie fille", dans un pays saisi par la mondialisation et la modernité à marche forcée, avec les
attentats en arrière-plan. L'histoire d'amour est une sorte de fil
conducteur, ce qui rend le roman attachant. Le héros a rencontré "la jolie fille"
vers ses quinze ans, quand il travaillait comme livreur de dvd
piratés, et qu'elle tentait de se faire un nom comme mannequin et
actrice.
Après lecture, saura-t-on s'y prendre pour s'en mettre
plein les poches ? Ou même, en a-t-on envie, quand on voit
toutes les magouilles nécessaires pour y arriver ? J'en doute,
mais on aura passé un bon moment, riche d'humanité, de cette pauvre
humanité qui est bien la même sous toutes les latitudes, à la
recherche du Veau d'or !
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