vendredi 15 janvier 2016

15 janvier 2016 : vous avez dit classique ?


Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie
Telle est la voie sacrée.
(René Char, Le nu perdu, Gallimard, 1971)


Trois jours à Poitiers. Assemblée générale des sociétaires de la librairie – j'apprends qu'elle va mieux en 2015 qu'en 2014, mais qu'elle reste fragile. Puis rencontre de mes amis poètes, Georges Bonnet d'abord, que je trouve en bonne forme, à bientôt 97 ans, tout content de savoir que son dernier recueil sera prochainement publié au Temps qu'il fait, éditeur régional mais prestigieux. J'avais préparé le repas que nous avons mangé ensemble, mais probablement, il y a quelque chose qui m'a reproché, car j'ai eu des aigreurs et des renvois pendant l'après-midi. J'ai même cru, sur le trottoir que j'allais vomir, mais non, j'ai expectoré, raclé ma gorge et évacué un mollard bien frappé, faisant sursauter un grand noir qui me dépassait. Il avait à sa main gauche son smartphone ; je l'ai suivi quelques minutes, tous les cent mètres environ, il portait sa main à la hauteur des yeux pour voir s'il était toujours bien connecté ! Mais comme il marchait bien plus vite que moi, il a fini par me distancer.
J'ai revu aussi mes collègues de la Bibliothèque universitaire, ce qui m'a donné l'occasion de donner mon obole à un groupe d'étudiants qui faisait une cuisine roulante sur le parvis, avec tracts d'opposition résolue à l'aéroport de Notre-Dame des Landes ; j'ai mangé sur le pouce leur excellent couscous végétal, ça m'a rappelé trop ma jeunesse, le militantisme et la contestation pré-soixante-huitardes ; je me suis que tout n'était pas perdu ! J'ai revu aussi mes collègues de la DRAC qui ne savent pas sur quel pied danser après le remaniement régional : resteront-ils à Poitiers ou non ? Merci pour leur accueil chaleureux (surtout Corine, chez qui j'ai dîné et dormi à 20 km de Poitiers). L'ami Jean-Marc Proust, quant à lui, m'a offert son nouvel opus, Foutaisez-vous, dont je parlerai un prochain jour.

 
Et puis, jeudi soir, c'était l'amie Odile Caradec qui était à l'honneur. Un concert (intitulé Hymne à la nuit romantique : Schubertiade pour voix, violoncelles et piano) à l'auditorium du Conservatoire, où quelques élèves du conservatoire ont joué des pièces de Brahms et Schubert (avec des lieder du Winter Reise, le Voyage d'hiver) et en hommage à la poétesse, une composition contemporaine de Gilles Schuemacher, Veilleuse d'automne, pour récitant, voix de soprano et petit orchestre de cinq violoncelles, dirigé par le directeur du Conservatoire. Bien entendu, je connaissais les textes d'Odile, mais les entendre admirablement dits par la voix d'un jeune comédien et chantés par la soprano, m'a fait prendre une conscience accrue de leur beauté.
Lire des poèmes à l'heure tangente
entre veille et sommeil
c'est plonger tout à coup dans les secrets du monde
être prêt pour la grande croisière de la nuit

(extraits de Le ciel, le coeur)



Une soirée grandiose, ponctuée par les vers magnifiques d'Odile :

Tous les poèmes vrais ont quelque chose à voir avec la mort
et nous mordons dedans à pleines dents /
Dormir enfin dans toute l'amplitude du monde /
mes morts sont ma couronne de lumière

(Cette fois, extraits de En belle terre noire)

 
Et puis, voir de vrais musiciens, de vrais chanteurs, de vrais diseurs, sans hauts-parleurs, sans baffles, sans micros, ça fait du bien. Ça nettoie nos oreilles, ça nous déconnecte de la charge sonore ambiante généralisée (jusque dans la rue, les commerces, les galeries commerciales, les restaurants). Ça crée le silence dont la poésie a besoin - et la musique aussi, sans doute. C'est tout bonnement merveilleux : ce fut pour moi une soirée enchanteresse. Longue vie encore, Odile, pour nous faire vibrer encore et nous faire devenir comme un vitrail dans la nuit.

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