Donne
toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie
Telle
est la voie sacrée.
(René
Char, Le nu perdu,
Gallimard, 1971)
Trois
jours à Poitiers. Assemblée générale des sociétaires de la
librairie – j'apprends qu'elle va mieux en 2015 qu'en 2014, mais
qu'elle reste fragile. Puis rencontre de mes amis poètes, Georges
Bonnet d'abord, que je trouve en bonne forme, à bientôt 97 ans, tout
content de savoir que son dernier recueil sera prochainement publié
au Temps qu'il fait, éditeur régional mais prestigieux. J'avais
préparé le repas que nous avons mangé ensemble, mais probablement,
il y a quelque chose qui m'a reproché, car j'ai eu des aigreurs et
des renvois pendant l'après-midi. J'ai même cru, sur le trottoir
que j'allais vomir, mais non, j'ai expectoré, raclé ma gorge et
évacué un mollard bien frappé, faisant sursauter un grand noir qui
me dépassait. Il avait à sa main gauche son smartphone ; je
l'ai suivi quelques minutes, tous les cent mètres environ, il
portait sa main à la hauteur des yeux pour voir s'il était toujours
bien connecté ! Mais comme il marchait bien plus vite que moi, il a fini par me distancer.
J'ai
revu aussi mes collègues de la Bibliothèque universitaire, ce qui
m'a donné l'occasion de donner mon obole à un groupe d'étudiants
qui faisait une cuisine roulante sur le parvis, avec tracts d'opposition résolue à l'aéroport de Notre-Dame des
Landes ; j'ai mangé sur
le pouce leur excellent couscous végétal, ça m'a rappelé trop ma jeunesse, le militantisme et la contestation pré-soixante-huitardes ; je me suis que tout
n'était pas perdu ! J'ai revu aussi mes collègues de la DRAC
qui ne savent pas sur quel pied danser après le remaniement
régional : resteront-ils à Poitiers ou non ? Merci pour leur accueil chaleureux (surtout Corine, chez
qui j'ai dîné et dormi à 20 km de Poitiers). L'ami Jean-Marc Proust, quant à lui, m'a
offert son nouvel opus, Foutaisez-vous,
dont je parlerai un prochain jour.
Et
puis, jeudi soir, c'était l'amie Odile Caradec qui était à
l'honneur. Un concert (intitulé Hymne
à la nuit romantique : Schubertiade pour voix, violoncelles et
piano)
à l'auditorium du Conservatoire, où quelques élèves du
conservatoire ont joué des pièces de Brahms et Schubert (avec des
lieder du Winter Reise,
le Voyage d'hiver)
et en hommage à la poétesse, une composition contemporaine
de Gilles Schuemacher, Veilleuse
d'automne, pour récitant, voix
de soprano et petit orchestre de cinq violoncelles, dirigé par le
directeur du Conservatoire. Bien entendu, je connaissais les textes
d'Odile, mais les entendre admirablement dits par la voix d'un jeune
comédien et chantés par la soprano, m'a fait prendre une conscience
accrue de leur beauté.
Lire
des poèmes à l'heure tangente
entre
veille et sommeil
c'est
plonger tout à coup dans les secrets du monde
Une
soirée grandiose, ponctuée par les vers magnifiques d'Odile :
Tous
les poèmes vrais ont quelque chose à voir avec la mort
et
nous mordons dedans à pleines dents /
Dormir enfin dans toute l'amplitude du monde /
Dormir enfin dans toute l'amplitude du monde /
Et
puis, voir de vrais musiciens, de vrais chanteurs, de vrais diseurs,
sans hauts-parleurs, sans baffles, sans micros, ça fait du bien. Ça
nettoie nos oreilles, ça nous déconnecte de la charge sonore
ambiante généralisée (jusque dans la rue, les commerces, les galeries commerciales, les restaurants). Ça crée le silence dont la poésie a besoin - et la musique aussi, sans doute. C'est tout bonnement merveilleux : ce fut pour moi une
soirée enchanteresse. Longue vie encore, Odile, pour nous faire
vibrer encore et nous faire devenir comme un vitrail
dans la nuit.
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