ce
que le monde compte de plus vil : l'élite.
(Jean
Genet,
Jean Cocteau,
in
Fragments... et autres textes, Gallimard,
1990)
Depuis
quelque temps, au hasard de mes pérégrinations dans Bordeaux, je
croise des voitures de très grand luxe et des voitures de sport qui
en jettent, sans compter des 4 x 4 hautes sur roues et tout aussi luxueuses... Pour moi qui
désormais n'ai plus de voiture du tout (avis à mes visiteurs, je ne
peux plus les voiturer : pour aller à Arcachon, par exemple ;
pourtant, avec J.-L., en août dernier, nous sommes allés à la dune
du Pyla, par tram jusqu'à la gare, puis en train jusqu'à Arcachon
et par bus, donc on peut se déplacer quand même...), ça ne laisse
pas de me surprendre encore et toujours. Personnellement, le seul
regret de ne plus avoir de voiture, c'est que je ne peux plus prendre
d'auto-stoppeurs au hasard de mes pérégrinations. Mais ceux-ci sont
en France de moins en moins nombreux.
Ça
ne semble pas être le cas en Angleterre, si j'en juge par le film
Hector,
premier long métrage de Jake Gavin. On y retrouve dans le rôle
principal l’écossais Peter Mullan, un des comédiens favoris de
Ken Loach (Riff
Raff
en 1991, My
name is Joe,
pour lequel il fut primé à Cannes en 1998), et devenu lui-même
réalisateur (j'ai vu Orphans).
Ici,
il joue avec une évidence incroyable Hector McAdam, un SDF des
environs de Glasgow. On approche de Noël, il commence à faire
froid. Avec deux compagnons, Dougie et Hazel, il décide de gagner Londres où depuis
plusieurs années, il passe Noël dans un centre d'hébergement. Le
voyage en stop est pénible, mais peut être l'occasion de rencontres
heureuses de gens sympathiques et solidaires (serveuses de bar par exemple) aussi
bien que de voyous prêts à casser du SDF. En cours de route, Dougie
meurt probablement de froid en dormant dehors. À Londres, Hector se
retrouve avec d’autres SDF de tous âges à tenter de fêter Noël
le plus dignement possible dans une sorte de refuge réservé aux hommes ; Hazel devra aller ailleurs. C'est pour nous
l’occasion de découvrir les inégalités terribles et la misère
d'autant plus criante qu'on est à Noël. Peu à peu, on découvre
qui est Hector et comment il en est arrivé là. Fatigué et malade,
il doit être opéré le 3 janvier à Glasgow), il tente de renouer
des liens coupés depuis une douzaine d'années avec sa sœur et son
frère. À ce dernier qui est conducteur de camion de recyclage (le
politiquement correct pour éboueur) et qui l'invite à passer Noël
en famille, il rétorque en parlant de ses compagnons d'infortune :
« Mais ma famille, c'est eux ! » On a donc ici un
portrait à la Loach d’une Angleterre en pleine crise sociale,
victime du libéralisme sauvage et de la spéculation immobilière,
qui jette à la rue les plus démunis. Alors, un conte de Noël ?
Paradoxalement oui, car on a affaire à un film incroyablement
chaleureux. Tout n'est pas perdu : les nombreux gestes de
solidarité (chauffeurs de camions et de voitures qui prennent Hector
en auto-stop, serveuses, personnel du refuge, commerçants
pakistanais) nous montrent la condition humaine à l'ouvrage, et ça
réchauffe le cœur. Une sorte de Raisins
de la colère
de notre temps.
Ça
m'a rappelé le voyage en stop que nous avions fait, Claire et moi,
en novembre 1979 : les paysages sont les mêmes, le froid était
piquant aussi, et la pluie et la neige parfois nous mouillaient également. Mais
enfin, nous ne passions nos nuits dehors sur des cartons !
Petite question que je me posais à l'issue de la séance : les
SDF français font-ils aussi de l'auto-stop ? Oui, peut-être l'été pour quitter Paris et aller vers le sud ?
Et
l'élite
(pour reprendre le mot assez juste de Jean Genet cité en exergue)
dans tout ça ? Elle se prélasse à Davos où, entre deux
cocktails et deux jets privés ou présidentiels, notre fameuse élite, tous crocs découverts, calcule
comment gagner plus de profit en accroissant davantage le nombre de
miséreux... Mais c'est une autre histoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire