la
haine entre les générations et les classes, pour être silencieuse,
n'en était pas moins profonde. […] les beaux quartiers et les
parcs étaient redevables de leur atmosphère feutrée à la
contrepartie menaçante, admise mais contenue, que représentaient
les taudis.
(George
Steiner, Dans le château de
Barbe-Bleue : notes pour une redéfinition de la culture,
trad. Lucienne Lotringer, Gallimard, 1986)
Pour
raconter l'occupation israélienne – dont le caractère odieux
saute aux yeux à chaque instant dans le film – il suffit de se
mettre à hauteur d'un regard d'enfant, ce que Girafada
essaie de montrer avec une grande acuité. Un seul exemple, le
couvre-feu est imposé de 18 h du soir à 6 h du matin par
l'occupant. Mais les gamins n'ont nulle envie de rentrer chez eux si
tôt, alors qu'il fait encore jour. À la soldatesque qui les menace
avec les mitraillettes et qui leur crie : « rentrez chez
vous ! », les gamins, pas sots, répondent : « mais
on est chez nous ! »
Nous sommes vers 2002. Dans
ce beau film qui décrit un pays enfermé, cerné par un mur, on suit
l'histoire de Ziad, un garçon palestinien de dix ans, dont le père est
vétérinaire de l'unique zoo de Palestine, à Qalqilya, à quelques
encablures de Naplouse - mais pour y aller, il y a un check-point, avec toutes les humiliations qui vont avec. Ziad passe la majeure partie de son temps
libre au zoo, il s'est littéralement amouraché d'un couple de
girafes,ce dont ses camarades d'école se moquent. Mais l'Intifada
reprend, et avec elle, les bombardements israéliens. La girafe mâle, affolée par les
explosions, se blesse mortellement. La femelle, désespérément
inconsolable – qui dira encore que les animaux n'ont pas de
sentiments ? – refuse dès lors de manger, et se laisse dépérir.
De plus, Yacine, le vétérinaire, découvre qu'elle est pourtant enceinte.
Ziad, désespéré, disparaît pendant toute une nuit (et on voit les
effets du couvre-feu). Alors, pour sauver la girafe et redonner espoir à Ziad, une idée naît chez Yacine :
utiliser la complicité d'une journaliste française pour convaincre
un de ses amis, un vétérinaire israélien, de faire venir d'un zoo d'Israël
un nouveau mâle qui permettrait de sauver la girafe et le futur
girafon.
Inspirée
d'une histoire vraie, le film raconte dans sa dernière partie – à
suspense – l'équipée extraordinaire de la venue d'une girafe dans
les territoires occupés. Surtout quand on a vu auparavant la
difficulté des franchissements des check-points, où les soldats ont
la gâchette facile et n'ont aucun respect humain. La dureté de la
vie en Palestine est parfaitement bien décrite, y compris la violence des colons,
car vue par les yeux d'un enfant (Ahmed Bayatra, un gamin au clair regard, incarne le rôle
avec maestria) qui ne comprend pas tout, mais qui se sent autorisé à
la résistance, car il y va de son bonheur, alors que les adultes –
dont son père – ont baissé les bras.
Il
y avait des enfants dans la salle quand je l'ai vu, je peux vous dire
qu'ils étaient scotchés. Bien sûr, c'est un film sous-titré
(alors que toutes les merdes nord-américaines sont doublées), et
alors, ne savent-ils pas lire ? Il vaut mieux les emmener voir des films comme celui-là
qui leur montrent la difficulté de vie d'autres enfants, des films
humains, au lieu des sempiternelles giclées d'explosions des
blockbusters ou des dessins animés aseptisés, films qui les
anémient et les anesthésient entre deux goulées de pop-corns.
Ah !
J'oubliais de rappeler l'élégance et la beauté des girafes. Comme
les humains bottés, casqués, fusils en mains, paraissent petits,
laids et mesquins à côté !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire