mardi 22 avril 2014

22 avril 2014 : des êtres candides



comme si j'avais encore vingt ans et l'illusion de changer le monde.

(Alfredo Noriega, Mourir, la belle affaire, trad. Nathalie Lalisse-Delcourt, Ombres noires, 2013)



Quito, capitale de l'Équateur, à près de 3000 mètres d'altitude, est une agglomération immense, mélange de cité moderne et de bidonvilles, où la mort fait partie du quotidien, dans une violence inouïe, qui est d'ailleurs autant celle du climat, avec les pluies diluviennes qui inondent rues et gens chaque jour, provoquant des glissements de terrain, que celle des hommes. D'ailleurs, les deux héros de ce roman, Heriberto Gonzaga et Arturo Fernandez, ont directement affaire à la mort, puisque le premier est inspecteur de police et le second médecin légiste. Au tout début, un banal accident de la route. Un frère et une sœur meurent, leur amie Maria de Carmen n'est que légèrement blessée. Le 4x4 Cherokee qui leur est rentré dedans a pris la fuite. L'affaire est rapidement classée. Sauf que deux ans plus tard, Maria de Carmen est retrouvée morte : suicide ? Ça relance l'enquête : Heriberto retrouve un témoin de l'accident et découvre que l'architecte Ortiz pourrait être le chauffard. Connaissant les lenteurs policières, soupçonnant que derrière tout ça, il y a peut-être autre chose (blanchiment d'argent), Heriberto n'hésite pas à abattre froidement Ortiz, mort dont sa fille Paulina, curieusement, semble soulagée. Mais le policier est désormais la cible des sbires d'Ortiz, qui remontent jusqu'à lui à partir de son passage chez le médecin légiste.

Roman « policier » hors norme, tout autant roman social et roman de mœurs, dans un cadre pour moi nouveau, dont on pourrait dire que la ville de Quito est le personnage principal. Ce roman d'une noirceur terrible décrit un Équateur moite et fantomatique, à la fois religieux et fataliste : "personne ne sert à rien, nous ne faisons que passer le temps. Le reste n'est que pure invention". Car aucun des personnages ne parvient (ni ne cherche ?) vraiment à démêler l'écheveau complexe du destin. Chacun se pose la même question que le légiste : "Pour être tranquille, je ne devrais peut-être pas faire d'hypothèses sur ce que les autres imaginent". Un des policiers se demande : "C'est peut-être ça la vie, recommencer pour se faire croire que ça vaut la peine de vivre..." Les personnages secondaires, nombreux, sont souvent truculents, tels le chauffeur de taxi ou la grand-mère du policier, ou mystérieux, telle Paulina, dont on ne comprend qu'à la fin le fil de sa propre tragédie. Pourtant, beaucoup font preuve d'une bonne volonté candide, mais rappelle le médecin légiste, qui ne s'est jamais remis du décès accidentel de sa mère : "La bonne volonté, comme aurait dit ma mère, est le seul bonheur que possèdent les crétins."
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Cette candeur, que d'aucuns trouvent crétine, est aussi la caractéristique des deux personnages principaux de Nebraska, un père et son fils. Le père, Woody Grant, septuagénaire un peu gâteux, a eu dans son courrier l'annonce d'un gain de 1 000 000 de $, il pense avoir gagné le gros lot. Il veut aller récupérer cet argent, bien que tout le monde lui dise que c'est une arnaque, puisque le gain est affecté au numéro gagnant, et que des millions de personnes ont reçu le même courrier. Bien sûr, sa femme le traite de vieux fou et voudrait bien le mettre en maison de retraite. Son fils David, lui, comprend son désespoir et décide de l'emmener jusqu'au Nebraska en voiture, ne serait-ce que pour le détromper. 

C'est le début d'une équipée à la fois burlesque et dramatique dans l'Amérique profonde, que la crise économique a frappé de plein fouet, et où les seules distractions sont de s'affaler devant la télévision ou de picoler au bistrot. Et une Amérique qui croit au miracle du gros lot (au rêve américain, en somme) : quand le vieux Woody a annoncé qu'il est venu pour chercher son gain, personne ne met en doute sa certitude ; quand David cherche à les détromper, il est traité de menteur ! C'est filmé en noir et blanc, car tout simplement la couleur est devenue impossible, tant la vie est devenue terne et gris, plate et sans espoir... 
La candeur pleine de fêlures du père et du fils s'oppose à la dureté, à la roublardise ou à la méchanceté de la plupart des autres personnages, eux aussi souvent truculents, tels les deux cousins de David ou la femme de Woody. Le père a été un loser ? Et alors ! Leurs retrouvailles n'en sont que plus fortes – au fond, le père et le fils ne se connaissaient pas. Et la fin, d'un bel idéalisme (comme chez John Ford) m'a laissé pantois. Un très beau film, que je recommande vivement. 
 

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