C'était
un pistolet de provocateur, un de ceux que, pendant les
manifestations et les soulèvements, les agents glissent dans la
poche des manifestants non armés pour pouvoir ensuite, après leur
arrestation, les accuser de port d'arme prohibée.
(Alberto
Moravia, Le quadrille des masques, Gallimard, 2005)
En
tant que vieux parpaillot, qui n'a pas la mémoire courte, me
souvenant du massacre de la Saint-Barthélémy, des dragonnades de Louis XIV, des galériens de Louis XV,
des massacres en Languedoc sous la Terreur blanche de Louis XVIII, je
suis et reste un insurgé, à tout moment. Notre état d'urgence
actuel n'est autre qu'un état d'exception, que n'auraient pas renié
nos deux Napoléon, le grand et le petit, ni le nabot Thiers,
fossoyeur de la Commune, ni le fourbe Pétain, fusilleur pour l'exemple et assassin de la 3ème République.
C'est dire à quel point j'ai été ravi de lire le rapport d'Amnesty
international consacré à notre fameux état d'urgence et à
l'arbitraire massif qui s'en est suivi : du terrorisme d'État,
tout simplement. Maintenant, nous sommes bien en peine de condamner
certains états que nous qualifions autrefois de voyous, avec la morgue qui nous a toujours caractérisés. Nous agissons de
même. Il est vrai qu'il y a aussi, et de plus en plus, des patrons
voyous : aujourd'hui, toute entreprise qui réalise d'énormes
bénéfices licencie massivement. Et les ouvriers qui osent s'y
opposer sont condamnés ! Je ne pensais pas que je verrais ça de
mon vivant, moi qui croyais dans ma jeunesse, naïvement, au progrès
social continu, à la fin du racisme et des injustices. Je tombe de
haut ; et sous un gouvernement prétendument de gauche !
À
télécharger et à lire :
http://www.amnesty.fr/sites/default/files/eur2133642016french_final.pdf
Extraits :
"J’ai
cru qu'il s'agissait d'une attaque islamophobe, une vengeance aux
attentats de Paris [Sa femme Sophie, alors enceinte de huit mois, et
son fils âgé de 10 ans se sont réveillés. Ils téléphonent à
deux reprises à la police, et se réfugient dans la salle de bains.
Pendant ce temps, la police tente de forcer la porte d’entrée, puis a
commencé à forcer celle de la salle de bains]. J’ai cru qu’on
était perdus. Ils disaient que c’était la police
mais on ne les a pas crus. Ma femme et mon enfant paniquaient. Puis,
dès que j’ai ouvert la porte, ils m’ont donné un coup au visage
et ils nous ont menottés, moi et ma femme." Marc, dont le
domicile a été perquisitionné dans la nuit
du 17 novembre 2015
Claire
a été assignée à résidence
dans une ville de la région du Mans, à l'ouest de la
France, où elle vit. Dans l'arrêté d'assignation à résidence, le
ministère de l'Intérieur a justifié cette mesure en indiquant
qu'elle portait le voile intégral, qu'elle était une « salafiste
radicale » et qu'elle avait créé une association salafiste. Les
autorités ont également souligné qu'elle était mariée à un
prédicateur religieux et qu'elle avait fait un voyage au Yémen.
Elle a déclaré à Amnesty International : "Au début, j'ai cru
que c'était une blague. Je n'ai jamais porté le voile intégral et
je ne suis pas mariée à cet homme. Il est le père de ma fille,
mais on ne vit plus ensemble. La police avait perquisitionné ma
maison en novembre, ils le cherchaient, mais il vit dans une autre
région de France. Le plus absurde, c'est que moi je suis assignée à
résidence, mais pas lui !"
Karim
est conseiller free-lance en organisation et vit
en région parisienne. Le 15 novembre, la police s'est présentée à
son domicile et l'a informé qu'il allait faire l'objet d'une
assignation à résidence. Les autorités ont justifié cette mesure
en invoquant ses liens présumés avec des personnes qualifiées de "musulmans radicaux" et des personnes qui s'étaient rendues en
Syrie. Au début de l'application de la mesure, il devait pointer au
commissariat quatre fois par jour. "Ma vie a été bouleversée... J'avais des
engagements professionnels dans un autre département la semaine du 5
décembre. J’avais déjà fait mes plans, réservé un endroit.
Après avoir été assigné à résidence, j’ai écrit à plusieurs
autorités pour leur expliquer ma situation et demander une
permission pour au moins pouvoir aller au séminaire que j’avais
déjà prévu. Le 4 décembre, ils ont rejeté ma demande et ils
m’ont envoyé un nouveau document avec plus d’informations qui
justifieraient mon assignation à résidence. Ils ont mentionné une
longue liste de personnes avec qui j’étais censé être en
contact. Franchement, je n’en connaissais qu’une. J’ai
perdu beaucoup d’argent, car j’ai dû annuler tous mes engagements
professionnels, j’ai trois enfants et mon épouse ne travaille pas."
Orlando,
qui vit dans une petite ville du nord de la France et dont le
domicile a été perquisitionné le 1er décembre, raconte : "J'habite dans un village de 5 000 habitants. Depuis, j'ai
l'impression d'être vu comme "un terroriste". Pas mal de
gens m'ont soutenu, mais la perquisition a changé le regard sur moi.
En plus, certains médias locaux ont parlé de la perquisition. Une
journaliste a appelé mon ex-femme sur son lieu de travail et lui a
demandé ce qu'elle pensait de moi, si elle n'avait pas peur pour nos
enfants, comment je pratiquais ma religion... Je suis furieux pour
cela, elle n'avait pas le droit de faire ça."
Le
2 décembre, la police aurait mené 22 perquisitions à
Lagny-sur-Marne (région parisienne), en perquisitionnant notamment
la mosquée, mais également les domiciles de certains des principaux
membres du bureau, à savoir le président, le secrétaire et le
trésorier. Le président de la mosquée nous a raconté : "Ils sont venus à 5 heures du matin pour perquisitionner ma maison
et en même temps ils m'ont demandé de signer l'arrêté de
fermeture de la mosquée jusqu'à la fin de l'état d'urgence. Ils
ont perquisitionné la mosquée après avoir perquisitionné la
maison. Donc ils avaient décidé de fermer la mosquée avant la
perquisition."
J'arrête
là les exemples cités dans le rapport, ce serait fastidieux de voir
combien dans beaucoup de cas, les fameuses perquisitions (et tant
qu'à faire, on casse tout !) et les assignations à résidence qui
ont suivi (et tant pis si les gens assignés n'ont plus qu'à crever
de faim, ne pouvant plus aller travailler, ou ayant perdu leur emploi
– car, cerise sur le gâteau, "on" se charge de prévenir les
employeurs – ou crever de maladie, pour peu qu'ils aient un suivi
médical dans une autre ville), sont souvent le signe d'une délation
préalable. Et notons qu'une bonne partie de cet arbitraire concerne
des militants écologistes ou des protestataires, en gros des gens
comme vous et moi.
Mais,
nom de Dieu, n'y a-t-il pas lieu de protester contre ces
interpellations musclées, d'une brutalité et d'une sauvagerie
inouïes – enfoncement de portes en pleine nuit, menottes mises aux
parents devant des petits enfants médusés – contraires à notre
soi-disant état de droit ? Le terrorisme a bon dos. Si je
n'étais pas si vieux, je finirais par entrer en résistance !
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