samedi 6 février 2016

6 février 2016 : état d'urgence et arbitraire


C'était un pistolet de provocateur, un de ceux que, pendant les manifestations et les soulèvements, les agents glissent dans la poche des manifestants non armés pour pouvoir ensuite, après leur arrestation, les accuser de port d'arme prohibée.
(Alberto Moravia, Le quadrille des masques, Gallimard, 2005)

En tant que vieux parpaillot, qui n'a pas la mémoire courte, me souvenant du massacre de la Saint-Barthélémy, des dragonnades de Louis XIV, des galériens de Louis XV, des massacres en Languedoc sous la Terreur blanche de Louis XVIII, je suis et reste un insurgé, à tout moment. Notre état d'urgence actuel n'est autre qu'un état d'exception, que n'auraient pas renié nos deux Napoléon, le grand et le petit, ni le nabot Thiers, fossoyeur de la Commune, ni le fourbe Pétain, fusilleur pour l'exemple et assassin de la 3ème République. 
C'est dire à quel point j'ai été ravi de lire le rapport d'Amnesty international consacré à notre fameux état d'urgence et à l'arbitraire massif qui s'en est suivi : du terrorisme d'État, tout simplement. Maintenant, nous sommes bien en peine de condamner certains états que nous qualifions autrefois de voyous, avec la morgue qui nous a toujours caractérisés. Nous agissons de même. Il est vrai qu'il y a aussi, et de plus en plus, des patrons voyous : aujourd'hui, toute entreprise qui réalise d'énormes bénéfices licencie massivement. Et les ouvriers qui osent s'y opposer sont condamnés ! Je ne pensais pas que je verrais ça de mon vivant, moi qui croyais dans ma jeunesse, naïvement, au progrès social continu, à la fin du racisme et des injustices. Je tombe de haut ; et sous un gouvernement prétendument de gauche !
À télécharger et à lire :
http://www.amnesty.fr/sites/default/files/eur2133642016french_final.pdf


 Extraits :
"J’ai cru qu'il s'agissait d'une attaque islamophobe, une vengeance aux attentats de Paris [Sa femme Sophie, alors enceinte de huit mois, et son fils âgé de 10 ans se sont réveillés. Ils téléphonent à deux reprises à la police, et se réfugient dans la salle de bains. Pendant ce temps, la police tente de forcer la porte d’entrée, puis a commencé à forcer celle de la salle de bains]. J’ai cru qu’on était perdus. Ils disaient que c’était la police mais on ne les a pas crus. Ma femme et mon enfant paniquaient. Puis, dès que j’ai ouvert la porte, ils m’ont donné un coup au visage et ils nous ont menottés, moi et ma femme." Marc, dont le domicile a été perquisitionné dans la nuit du 17 novembre 2015  
Claire a été assignée à résidence dans une ville de la région du Mans, à l'ouest de la France, où elle vit. Dans l'arrêté d'assignation à résidence, le ministère de l'Intérieur a justifié cette mesure en indiquant qu'elle portait le voile intégral, qu'elle était une « salafiste radicale » et qu'elle avait créé une association salafiste. Les autorités ont également souligné qu'elle était mariée à un prédicateur religieux et qu'elle avait fait un voyage au Yémen. Elle a déclaré à Amnesty International : "Au début, j'ai cru que c'était une blague. Je n'ai jamais porté le voile intégral et je ne suis pas mariée à cet homme. Il est le père de ma fille, mais on ne vit plus ensemble. La police avait perquisitionné ma maison en novembre, ils le cherchaient, mais il vit dans une autre région de France. Le plus absurde, c'est que moi je suis assignée à résidence, mais pas lui !"
Karim est conseiller free-lance en organisation et vit en région parisienne. Le 15 novembre, la police s'est présentée à son domicile et l'a informé qu'il allait faire l'objet d'une assignation à résidence. Les autorités ont justifié cette mesure en invoquant ses liens présumés avec des personnes qualifiées de "musulmans radicaux" et des personnes qui s'étaient rendues en Syrie. Au début de l'application de la mesure, il devait pointer au commissariat quatre fois par jour. "Ma vie a été bouleversée... J'avais des engagements professionnels dans un autre département la semaine du 5 décembre. J’avais déjà fait mes plans, réservé un endroit. Après avoir été assigné à résidence, j’ai écrit à plusieurs autorités pour leur expliquer ma situation et demander une permission pour au moins pouvoir aller au séminaire que j’avais déjà prévu. Le 4 décembre, ils ont rejeté ma demande et ils m’ont envoyé un nouveau document avec plus d’informations qui justifieraient mon assignation à résidence. Ils ont mentionné une longue liste de personnes avec qui j’étais censé être en contact. Franchement, je n’en connaissais qu’une. J’ai perdu beaucoup d’argent, car j’ai dû annuler tous mes engagements professionnels, j’ai trois enfants et mon épouse ne travaille pas."
Orlando, qui vit dans une petite ville du nord de la France et dont le domicile a été perquisitionné le 1er décembre, raconte : "J'habite dans un village de 5 000 habitants. Depuis, j'ai l'impression d'être vu comme "un terroriste". Pas mal de gens m'ont soutenu, mais la perquisition a changé le regard sur moi. En plus, certains médias locaux ont parlé de la perquisition. Une journaliste a appelé mon ex-femme sur son lieu de travail et lui a demandé ce qu'elle pensait de moi, si elle n'avait pas peur pour nos enfants, comment je pratiquais ma religion... Je suis furieux pour cela, elle n'avait pas le droit de faire ça."
Le 2 décembre, la police aurait mené 22 perquisitions à Lagny-sur-Marne (région parisienne), en perquisitionnant notamment la mosquée, mais également les domiciles de certains des principaux membres du bureau, à savoir le président, le secrétaire et le trésorier. Le président de la mosquée nous a raconté : "Ils sont venus à 5 heures du matin pour perquisitionner ma maison et en même temps ils m'ont demandé de signer l'arrêté de fermeture de la mosquée jusqu'à la fin de l'état d'urgence. Ils ont perquisitionné la mosquée après avoir perquisitionné la maison. Donc ils avaient décidé de fermer la mosquée avant la perquisition."

J'arrête là les exemples cités dans le rapport, ce serait fastidieux de voir combien dans beaucoup de cas, les fameuses perquisitions (et tant qu'à faire, on casse tout !) et les assignations à résidence qui ont suivi (et tant pis si les gens assignés n'ont plus qu'à crever de faim, ne pouvant plus aller travailler, ou ayant perdu leur emploi – car, cerise sur le gâteau, "on" se charge de prévenir les employeurs – ou crever de maladie, pour peu qu'ils aient un suivi médical dans une autre ville), sont souvent le signe d'une délation préalable. Et notons qu'une bonne partie de cet arbitraire concerne des militants écologistes ou des protestataires, en gros des gens comme vous et moi.
Mais, nom de Dieu, n'y a-t-il pas lieu de protester contre ces interpellations musclées, d'une brutalité et d'une sauvagerie inouïes – enfoncement de portes en pleine nuit, menottes mises aux parents devant des petits enfants médusés – contraires à notre soi-disant état de droit ? Le terrorisme a bon dos. Si je n'étais pas si vieux, je finirais par entrer en résistance !

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