Jusqu'où
des faits que nous tenons pour certains le sont-ils ?
(Haruki
Murakami, Au
sud de la frontière, à l'ouest du soleil)
Allons,
un peu de mes dernières lectures et des derniers films vus, sur le
thème : la rencontre des autres et des différences.
Cinéma
d'abord en quelques mots seulement, je n'ai pas le temps de
m'appesantir. Voyez les films s'ils passent près de chez vous. Je
savais que c'était terrible d'être banlieusard, désœuvré,
insatisfait, frustré. Mais Les kaira de Frank Gastambide nous
en prouve la réalité. Certes, on peut détester ce film avec ses
vannes vulgaires et son langage qui nécessiterait presque des
sous-titres, mais j'ai trouvé très juste de nombreuses scènes
(notamment le trio de choc quand ils sont ensemble, rêvant à
d'improbables aventures sexuelles, la rencontre avec le producteur de
films porno, joué par François Damiens, à hurler de rire, les
scènes avec les flics) et on se dit quand même qu'on a vraiment
raté quelque chose en laissant toute une génération démunie non
seulement devant le travail (devenir acteur porno comme unique
horizon !), mais aussi devant le langage, et surtout devant l'amour. Mais
sur ce dernier thème, le film laisse percer un peu d'espoir.
Laurence
anyways
est un film du jeune Québécois Xavier Dolan, Fichtre ! Je vais
avoir du mal à comprendre là-bas si j'en juge par les dialogues
joués par les acteurs québécois et d'ailleurs souvent sous-titrés.
[Marc, mon ami québécois, vient de me téléphoner, pour organiser
mon séjour le mois prochain, j'ai dû le faire répéter plusieurs
fois, soit je deviens dur d'oreille, soit je deviens faible de la
comprenette, soit son accent s'est rudement aggravé]. Là, il s'agit
d'un film-fleuve (2 h 40) dont le héros est un homme qui n'en peut
plus et fait son "coming
out"
à trente-cinq ans : depuis son enfance, il s'est toujours senti
à l'intérieur de lui du sexe opposé au sien. Il décide donc du
jour au lendemain de s'habiller en femme et de parler de lui au
féminin. Il est transgenre, comme on dit aujourd'hui. Attention, il
ne se veut pas homosexuel, mais femme, et il continue d'aimer sa
compagne... Mais comment vivre dans une société qui n'accepte pas
la différence ? Il est viré de son boulot, sa compagne ne
supporte pas et le quitte. Film passionnant (de mon point de vue) sur
les mystères de l'être humain.
Autres
différents : les handicapés, je viens de voir L'été
de Giacomo,
de l'Italien Alessandro Comodin, qui conte les difficultés d'un
jeune homme sourd. C'est d'une finesse, c'est presque documentaire,
en longs plans-séquences, où le jeune Giacomo est transfiguré par
la découverte de l'amour. Un film d'une pudeur exquise. Enfin pas si
facile que ça de parler d'un meurtrier en prison et de sa possible libération : dans Les
Enfants de Belle Ville,
l'Iranien Agshar Fahradi montre ici avec une pudeur rare la
naissance d'un amour et les difficultés du pardon. Un très grand
cinéaste dont La
séparation,
l'an dernier, m'avait subjugué.
En
livres, je viens de lire le dernier recueil paru de Jean Meckert (voir mon blog du 23 juin),
Abîmes,
recueil de trois courts récits inédits, dont les héros sont les
damnés de la terre : les sous-prolétaires. C'est extraordinaire de véracité et de cruauté. Un
meurtre
est d'une noirceur étonnante dans la dénonciation d'une société
qui pousse au meurtre involontaire : "c'est
peut-être depuis ce jour que je sais ce que c'est que de haïr,
c'est peut-être de ce jour que date la façon de rétablissement que
j'ai accompli, que je me suis trouvé un ressort, une raison d'être :
la lutte, l'implacable lutte contre la Société actuelle, contre ce
régime abominable, abject, qui m'a fait tuer un homme, pour trois
cents balles !"
De
Haruki Murakami, je ne connaissais que son fameux Autoportrait
de
l'auteur
en coureur de fond,
livre qui m'avait beaucoup plu, car il contentait en moi aussi bien
l'ancien marathonien que l'amateur de littérature. Je ne sais pas ce
que valent ses gros pavés et best-sellers, mais son petit roman Au
sud de la frontière, à
l'ouest
du soleil,
est un petit bijou de subtilité. Le héros de trente-sept ans mène
une vie comblée entre sa femme, ses deux filles et ses deux
bars-clubs de jazz qu'il gère d'une main de maître. Jusqu'au jour
où il retrouve son ancienne amie d'enfance qu'il avait aimée d'un
amour juvénile demeuré enfoui, mais resté intact. Hajime se sent
coupable, même s'il prétend : "je
me souciais toujours aussi peu de l'opinion des autres".
Lecture lente, étalée sur plusieurs jours, de ce qui pourrait se
lire en deux ou trois heures, mais lecture dense.
Et
pendant ce temps, à Bordeaux, le navire-école mexicain Cuauhtémoc,
magnifique trois-mâts, a fait escale pour quelques jours, et pour la
plus grande joie de mes très jeunes cousins Guilhem et Isabelle
venus me rendre visite. La beauté à l'état pur !
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