lundi 6 août 2012

6 août 2012 : les autres


Jusqu'où des faits que nous tenons pour certains le sont-ils ?
(Haruki Murakami, Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil)

Allons, un peu de mes dernières lectures et des derniers films vus, sur le thème : la rencontre des autres et des différences.
Cinéma d'abord en quelques mots seulement, je n'ai pas le temps de m'appesantir. Voyez les films s'ils passent près de chez vous. Je savais que c'était terrible d'être banlieusard, désœuvré, insatisfait, frustré. Mais Les kaira de Frank Gastambide nous en prouve la réalité. Certes, on peut détester ce film avec ses vannes vulgaires et son langage qui nécessiterait presque des sous-titres, mais j'ai trouvé très juste de nombreuses scènes (notamment le trio de choc quand ils sont ensemble, rêvant à d'improbables aventures sexuelles, la rencontre avec le producteur de films porno, joué par François Damiens, à hurler de rire, les scènes avec les flics) et on se dit quand même qu'on a vraiment raté quelque chose en laissant toute une génération démunie non seulement devant le travail (devenir acteur porno comme unique horizon !), mais aussi devant le langage, et surtout devant l'amour. Mais sur ce dernier thème, le film laisse percer un peu d'espoir. 

Laurence anyways est un film du jeune Québécois Xavier Dolan, Fichtre ! Je vais avoir du mal à comprendre là-bas si j'en juge par les dialogues joués par les acteurs québécois et d'ailleurs souvent sous-titrés. [Marc, mon ami québécois, vient de me téléphoner, pour organiser mon séjour le mois prochain, j'ai dû le faire répéter plusieurs fois, soit je deviens dur d'oreille, soit je deviens faible de la comprenette, soit son accent s'est rudement aggravé]. Là, il s'agit d'un film-fleuve (2 h 40) dont le héros est un homme qui n'en peut plus et fait son "coming out" à trente-cinq ans : depuis son enfance, il s'est toujours senti à l'intérieur de lui du sexe opposé au sien. Il décide donc du jour au lendemain de s'habiller en femme et de parler de lui au féminin. Il est transgenre, comme on dit aujourd'hui. Attention, il ne se veut pas homosexuel, mais femme, et il continue d'aimer sa compagne... Mais comment vivre dans une société qui n'accepte pas la différence ? Il est viré de son boulot, sa compagne ne supporte pas et le quitte. Film passionnant (de mon point de vue) sur les mystères de l'être humain.
Autres différents : les handicapés, je viens de voir L'été de Giacomo, de l'Italien Alessandro Comodin, qui conte les difficultés d'un jeune homme sourd. C'est d'une finesse, c'est presque documentaire, en longs plans-séquences, où le jeune Giacomo est transfiguré par la découverte de l'amour. Un film d'une pudeur exquise. Enfin pas si facile que ça de parler d'un meurtrier en prison et de sa possible libération : dans Les Enfants de Belle Ville, l'Iranien Agshar Fahradi montre ici avec une pudeur rare la naissance d'un amour et les difficultés du pardon. Un très grand cinéaste dont La séparation, l'an dernier, m'avait subjugué.
En livres, je viens de lire le dernier recueil paru de Jean Meckert (voir mon blog du 23 juin), Abîmes, recueil de trois courts récits inédits, dont les héros sont les damnés de la terre : les sous-prolétaires. C'est extraordinaire de véracité et de cruauté. Un meurtre est d'une noirceur étonnante dans la dénonciation d'une société qui pousse au meurtre involontaire : "c'est peut-être depuis ce jour que je sais ce que c'est que de haïr, c'est peut-être de ce jour que date la façon de rétablissement que j'ai accompli, que je me suis trouvé un ressort, une raison d'être : la lutte, l'implacable lutte contre la Société actuelle, contre ce régime abominable, abject, qui m'a fait tuer un homme, pour trois cents balles !"
De Haruki Murakami, je ne connaissais que son fameux Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, livre qui m'avait beaucoup plu, car il contentait en moi aussi bien l'ancien marathonien que l'amateur de littérature. Je ne sais pas ce que valent ses gros pavés et best-sellers, mais son petit roman Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, est un petit bijou de subtilité. Le héros de trente-sept ans mène une vie comblée entre sa femme, ses deux filles et ses deux bars-clubs de jazz qu'il gère d'une main de maître. Jusqu'au jour où il retrouve son ancienne amie d'enfance qu'il avait aimée d'un amour juvénile demeuré enfoui, mais resté intact. Hajime se sent coupable, même s'il prétend : "je me souciais toujours aussi peu de l'opinion des autres". Lecture lente, étalée sur plusieurs jours, de ce qui pourrait se lire en deux ou trois heures, mais lecture dense.
Et pendant ce temps, à Bordeaux, le navire-école mexicain Cuauhtémoc, magnifique trois-mâts, a fait escale pour quelques jours, et pour la plus grande joie de mes très jeunes cousins Guilhem et Isabelle venus me rendre visite. La beauté à l'état pur !

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