Existe-t-il
en ce monde une personne aussi gentille que vous ?
(Jacques
Poulin, La tournée d'automne)
Où
pourrait-on rencontrer un employé de bibliothèque qui lit les
livres nouveaux qu'il reçoit, afin d'être capable d'en parler aux
lecteurs, qui ne craint pas que les livres ne soient pas retournés
par les lecteurs ("les livres
sont comme les chats, on ne peut pas toujours les garder"),
qui tient à garder une place aux "vieux
livres", parce que "ceux-ci,
même s'ils n'étaient empruntés qu'une fois par-ci par-là, étaient
aussi importants à ses yeux que les livres récents" ?
D'ailleurs, ne pense-t-il pas, comme devraient le penser tous les
bibliothécaires, qu'il ne faut "pas
oublier que, nouveaux ou anciens, les livres passaient de main en
main, ce qui avait permis de créer des réseaux de lecteurs".
Où ? Eh bien, dans un petit roman jubilatoire, La tournée d'automne, nimbé de
poésie, qui nous entraîne en tournée de bibliobus sur les routes
de la côte nord du Québec. Car le héros est le chauffeur du
bibliobus, jamais nommé autrement. Et c'est lui qui pense tout ça :
inutile de dire à quel point un tel personnage me plaît ! À
se demander si l'auteur ne s'est pas inspiré de moi ?
On
suit donc le chauffeur au milieu de ses livres, dans son camion,
ancien camion laitier reconverti en bibliobus par ses soins. Il a
lui-même organisé son système de réseau de lecteurs, des
personnes qui prennent un lot de livres et les font circuler auprès
d'autres lecteurs. Plus de fiches, les livres sont rendus à la
tournée suivante ou renvoyés par la poste (ou pas, tant pis !). Mais le chauffeur est
devenu vieux, il n'envisage pas de continuer, la tournée d'été
sera sa dernière. Il broie du noir, craint la vieillesse et son
cortège de solitude et de déchéance. Mais voilà, il rencontre
Marie, une Française venue au Québec accompagner une fanfare,
bande d'artistes, comprenant des musiciens, une chanteuse, une funambule, tous jongleurs ou
acrobates, qui se produisent en spectacle en plein air. C'est Marie
qui gère les détails matériels de la troupe. Elle-même est
peintre d'oiseaux. Une amitié naît ("C'est
étrange qu'on ait fait un si long chemin avant de se rencontrer"),
le chauffeur suit leur tournée, et peu à peu, ils sentent que
quelque chose arrive. Les petits bonheurs chers à Félix Leclerc,
peut-être : l'amitié des chats attirés par l'odeur du lait qui imprègne
toujours le camion, les petits chocolats chauds, les promenades au
rythme lent, le partage des lectures et des mots. Et puis l'amour,
qui illumine, et qui s'ajoute à celui des chats, du fleuve, des
livres (des écrivains, comme Hemingway, Carver ou les Québécois
Gabrielle Roy et Anne Hébert) et des oiseaux.
Avec
Marie, le chauffeur reprend goût à la vie et décide de poursuivre
sa tâche, d'entamer la tournée d'automne, d'où le titre du livre.
Après L'enfant maudit, voici un nouveau roman sur la douceur
du sentiment, sur la délicatesse et la pudeur (ça nous change de la
brutalité de tant de romans!), sur l'enthousiasme aussi et la
passion, et l'émotion. Au fond, par son goût pour les bons livres,
le chauffeur est prêt à l'émerveillement de la découverte de
l'amour, même à son âge avancé. Bien sûr, je suis en lectures
québécoises pour préparer mon prochain séjour là-bas, et
franchement ça me donne très envie de visiter la côte nord et la
Gaspésie. Je crois que l'ami québécois Marc m'a concocté une virée d'une
semaine par là-bas. Je vais m'y plaire, même s'il faut s'attendre à
de la pluie (d'après La tournée d'automne).
Et
comme un bonheur ne vient jamais seul, j'ai regardé hier soir un des
films que j'ai le plus vus (vingt fois au moins, je pense), et
toujours avec la même jubilation : Les demoiselles de
Rochefort. Je sais que certains n'aiment pas ce film, soit que la
musique ne leur plaît pas, soit qu'ils n'aiment pas les films où l'on
chante, soit qu'ils n'aiment pas les films (et les romans)
sentimentaux. Tant pis pour eux ! Moi, j'aime tout là, les
acteurs (Danielle Darrieux est sublime), les danseurs, les chansons,
les sentiments, les couleurs et les décors, et cette belle ville de Rochefort que le
réalisateur a magnifiée.
Et
j'avais bien besoin de ces pauses jubilatoires (en lecture et en
films) car, et c'est un sacré boulot, j'ai mis au point mon recueil
de poèmes (une bonne centaine, écrits ces dernières années, dont douze déjà publiés dans des revues) que
je vais polygraphier et relier en quatre exemplaires cet après-midi
avant de l'envoyer à des éditeurs... Titre : Le temps
écorché. Affaire à suivre.
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