« Il t’aime, dit le roi, pourtant, il est ton fils. »
(Victor Hugo, Le roi de Perse, in La légende des siècles)
On pourrait pasticher Simone de Beauvoir et affirmer péremptoirement, et sans doute avec plus de certitude : «on ne naît pas père, on le devient». Et j’ajouterais, on ne cesse jamais de l’être !
Je songeais à cela en me réveillant ce matin très tôt, en pensant à la place énorme qu’aura eu la paternité dans ma vie : non seulement parce que j’ai fait effectivement des enfants qui auront occupé une place importante dans la seconde moitié de ma vie, mais j’avais préalablement joué un rôle non négligeable dans l’éducation de mes plus jeunes sœurs (je dis toujours en rigolant que j’ai attendu que les dernières atteignent leur majorité pour fonder mon propre foyer, mais c’est tout à fait exact : les jumelles ont eu dix-huit ans le 25 mai 1979, et je me suis marié le 26 mai !). J’ai aussi assuré longtemps des fonctions de formateur professionnel, ayant toujours souhaité partager mes connaissances, ce qui me semble aussi relever d’un rôle paternel. Et je me suis lié d’amitié le plus souvent avec des hommes bien plus jeunes que moi : étais-je à la recherche de fils ou étaient-ils en quête d’un père ? Nos jeunes protégés colombiens ne m’ont-ils pas surnommé le papa de Poitiers ? J’espère toutefois avoir échappé au reproche de paternalisme, car dans tous les cas, je me suis efforcé de laisser tous ces jeunes (sœurs, enfants, amis…) libres de trouver leur voie et de vivre leur vie.
Or, ces derniers temps, plusieurs livres et films m’ont rappelé que je ne suis pas seul à porter la paternité. Au moins cinq films, l’un ancien, Il était un père, d’Ozu, et quatre très récents, El cielito, Versailles, Comme les autres et Mamma mia, en explorent différentes faces : l’absence du père, l’adoption et la paternité assumée. Dans La chambre de Jacob, j’ai été frappé par l’absence du père, et dans L’avare, par sa présence oppressante.
Je ne m’attarderai pas longuement sur l’aimable – et pas si mal, en dépit des critiques – pochade, superbement kitchissime qu’est Mamma mia, sorte de musical sur des chansons du groupe Abba (qui m’ont beaucoup plu, mais décidément j’aime les films musicaux). Une jeune fille qui a déniché le carnet intime de jeunesse de sa mère, découvre que son père, qu’elle n’a jamais connu, pourrait un des trois hommes aimés par sa mère lors d’un été «chaud» vingt ans auparavant. Et elle a besoin de savoir qui est son père ! Tout le monde en a besoin. On se demande parfois si on est bien l’enfant de son père. Surtout quand on est si différent de lui. En tout cas, je me suis souvent posé la question. Mais n’avoir pas connu son père, ça doit être terrible !
El cielito et Versailles, eux, proposent le portrait de deux jeunes hommes (très jeune même, pas vraiment sorti de l’adolescence, dans le film argentin) qui se découvrent à la faveur de circonstances fortuites la fibre paternelle, un peu comme Charlot dans The kid. Ces anti-héros sont déboussolés, marginaux, inadaptés dans notre société, sans doute en manque affectif, et les enfants recueillis leur redonnent une dimension d’homme. C’est très beau. Même si le héros de Versailles disparaît en laissant tout en plan, probablement parce que lui aussi a eu un père désastreux .
Comme les autres explore un aspect sociétal tout à fait contemporain : l’homoparentalité. A-t-on écrit suffisamment de bêtises sur ce thème ! A partir du moment ou l’homosexualité est admise comme une des possibilités de l’individu (ce qu’elle est en fait), et c’est le postulat du film – Emmanuel et Philippe vivent un amour partagé et accepté dans les familles (où même on s’étonne quand on ne les voit plus ensemble) – pourquoi diable des hommes ne pourraient-ils pas être pères ? Le film reste à mon avis un peu trop raisonnable sur ce plan, notamment en leur donnant comme enfant une petite fille et non un petit garçon, ce qui aurait été nettement plus percutant et subversif. Puisque la grande peur cachée derrière le refus actuel de l’homoparentalité et de l’adoption d’enfants par des homos est celle de la pédophilie. Peur d’autant plus risible quand on sait que les cas d’inceste et de pédophilie sont généralement le fait de familles normales (?). Mais dans l’ensemble, ce film apporte une nouvelle pierre à la construction d’une société plus humaine, et fera, peut-être, évoluer les mentalités, puis la loi.
Tout le monde sait qu’Ozu, l’immense cinéaste japonais – peut-être mon préféré, Voyage àTokyo reste mon film fétiche – n’a jamais traité qu’un seul thème : la famille. Et les risques de dissolution de la dite famille dans le monde contemporain. Dans Il était un père, un instituteur veuf élève seul son fils. Pendant un voyage scolaire, un des élèves dont il a la charge se noie. Il se sent responsable, démissionne, et part chercher du travail à Tokyo, et place son fils dans un internat. Désormais, le père et l’enfant ne se voient que rarement, bien qu’ayant souvent le projet de vivre de nouveau ensemble. Ce n’est que bien plus tard que père et fils passent une semaine ensemble, juste avant la mort brusque du père. Le fils, qui a épousé la fille d’un ancien collègue de son père, avoue à sa jeune femme que ces jours-là ont été les plus beaux de sa vie. On le voit, c’est très simple. La séparation, le sens du devoir (paternel, mais aussi filial, au point que le fils se marie selon les vœux du père), le temps qui s’enfuit (le film se déroule sur une vingtaine d’années), tout concourt à nous rendre proche de ce film, malgré l’exotisme dans le temps et dans l’espace. Au fond, les problèmes humains sont les mêmes, dans le Japon impérial de l’avant-guerre comme dans la France d’aujourd’hui. Comment être père ? Comment être fils ?
Oui, et comment être fils en l’absence du père ? La chambre de Jacob ne répond pas à la question. Mais on voit bien que Virginia Woolf y a tout de même pensé. Et en relisant L’avare, je suis sidéré par la violence avec laquelle Molière aborde le problème. Pourtant là, le père est présent, c’est la mère qui est absente. Mais il est faussement présent, puisque prisonnier de l’argent, il ne pense qu’à lui. Harpagon et son fils Cléante sont visiblement deux ennemis. Et ce n’est pas la pirouette finale (si fréquente chez Molière pour dénouer ses «comédies» qui sont en fait des tragédies masquées) qui va les réconcilier, le fils étant allé jusqu’à voler le père, après que celui-ci, l’ayant odieusement trompé pour découvrir la vérité sur l’amour que Cléante porte à Marianne, l’ait maudit ! Quant à sa fille, Harpagon n’hésite pas à la marier à un homme âgé, sans tenir compte le moins du monde de ses désirs à elle. Situation fréquente d’ailleurs chez Molière, où il semble que la toute-puissance des parents (et surtout du père) s’accommode mal de la vie personnelle des enfants. Est-ce que ça a tellement changé depuis Molière ?
Je m’interroge, et je reviens sur l’homoparentalité. Des parents de même sexe feront-ils plus mal ? Quand on voit les désastres que produisent de nombreuses familles «normales» dans l’éducation de leurs enfants, et ceci en dépit des prétendus «modèles» masculin et féminin qu’apportent les dites familles, non seulement je ne pense pas que des couples d’homosexuel(le)s feront pire, mais je pense qu’en assumant une parentalité consciente, ils ou elles créeront de nouveaux modèles de vie. Accordons-leur le droit d’être parents.
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