Je dis : les chrétiens. Mais qui sont-ils au juste ? À la ronde, je ne vois que des pseudo-chrétiens, qui vivent exactement comme des incroyants. Or, être chrétien, cela signifie vivre autrement. Cela signifie suivre la route du Christ, imiter le Christ. Cela signifie se détacher des intérêts particuliers, du bien-être et du pouvoir personnel, se tourner vers les pauvres, les humiliés, vers ceux qui souffrent.
(Milan Kundera, La Plaisanterie, trad. Marcel Aymonin, Gallimard, 1985)
Je n’avais pas lu de roman un peu long depuis longtemps. Mais je savais que je n’avais qu’à tendre les bras sur les rayons de ma bibliothèque personnelle. Il était là, il m’attendait, un roman sur les vieux en EHPAD, à la fois réaliste, émouvant mais sans pathos, et plein d’humour : Richard Guérin nous conte dans Adieu l’EHPAD, vive les Tropiques (L’Harmattan, 2023) une sorte de sociologie-fiction qui se passe dans un avenir proche où le gouvernement français a décidé de créer en Afrique des EHPAD de qualité mais qui reviendront beaucoup moins cher en personnel, restauration, etc., qu’en France.
Et c’est dans la ville de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, que l’expérimentation va se faire. Une quinzaine de résidents d’un EHPAD français, accompagnés pour deux mois par leur infirmière Aïcha et l’aide-soignant Dimitri (qui, d'ailleurs, y restera), sont volontaires pour quitter la Résidence des Landes fleuries en Vendée et prennent l’avion (la plupart pour la première fois de leur vie) avec pour destination la Résidence les Tisserins, que l’État français vient d’offrir au Burkina. Ils et elles sont en plus ou moins grande forme.
Si Dave Morgan (78 ans) est presque autonome, d’autres souffrent de différentes carences ; la mémoire, les difficultés de marcher voire de parler, ils ont des tocs et des tics. Mais peu à peu, ils et elles font connaissance avec le personnel burkinabé (médecin-directeur, infirmières dont la jeune Fatoumata qu’Aïcha va former à s’adapter à ces vielles personnes bien différentes des Africaines), avec la cuisine exotique, avec la chaleur du climat, avec la population locale. Certains sont saisis d’une fringale de sortir de l’EHPAD : ainsi Dave Morgan, en voulant visiter la ville, fait la connaissance d’un gamin qui va lui servir de guide et de sa famille, qu’il va finir par choisir comme famille d’accueil et qu'il va aider. D’autres vont trouver à s’employer à l’aéro-club local, une même qui se promène pourtant avec un déambulateur va se lancer dans la vente sur les marchés, avec des femmes africaines.
Au final, la liberté dont ils disposent leur permet de sortir du carcan et de la dépendance des EHPAD, de retrouver un peu d’autonomie, de goût de vivre. Inutile de dire que ça ne va pas plaire à la contrôleuse du Ministère français chargée de l’affaire, et qui vient faire un séjour sur place. L’essai va-t-il être transformé ? L’économie financière espérée par le ministère français de la Santé, et qui est source de revenus pour les locaux, malgré les difficultés de mise en œuvre, tournera-t-elle en échec ? Ce vent de liberté qui souffle sur nos vieux, au contact des autochtones, sera-t-il interdit par les institutions ?
Vous le saurez en lisant ce beau livre, aux personnages attachants, aussi bien les vieillards déracinés que le personnel soignant, les Africains et Africaines qui vont les aider à retrouver une humanité vivante dans leurs vieux jours : oui, un EHPAD peut être un carcan où toute initiative est interdite, mais aussi un lieu de vie où l’on peut rire, pleurer, danser même. Le livre est assez cru, ne cache rien de l’affaiblissement mental ou physique de nos héros, mais les personnages sonnent vrai, ils peuvent être délicieux ou désagréables, gentils ou méchants comme dans la vie. Mais leur reste de vie, on la leur souhaite longue dans leur nouvel environnement, tellement plus séduisant qu’une réclusion dans une maison de retraite traditionnelle, où beaucoup d'entre nous se débarrassent de leurs aînés.
Un livre roboratif, vivant, jouissif, qu'on ne lâche pas.
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