Mes amis écrivains ont importé pour moi ou importent toujours. Dans ce « toujours », je pense aux morts et à ceux que je rencontrerai encore, car je crois que l’on rencontre tout au long de la vie.
(Jocelyne François, Car vous ne savez ni le jour, ni l’heure, Journal 2008-2018, Les Moments littéraires, 2022)
Je lis en ce moment ce magnifique Journal dont je n’ai pas lu les trois premiers volumes. Je découvre ainsi cette écrivaine de 90 ans. Parmi les diaristes contemporains, c’est la seule avec Charles Juliet qui me parle et dont je me sens proche, presque intime. Ce qu’elle dit des écrivains, morts ou vivants, on peut le dire aussi des chansons qui nous accompagnent toute notre vie. J’avais eu la chance de voir Léo Ferré à Auch juste avant de partir en Guadeloupe, et il avait chanté deux ou trois chansons sur des poèmes d’Aragon. Comme notre cher président a eu l’excellente idée (ça lui arrive) de choisir l’une d’elle pour la panthéonisation des Manouchian, je vous en propose le texte comme chanson du mois.
Et ici chanté par HK, rappeur d’origine immigrée, pour rappeler les FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans - Main d’Oeuvre Immigrée) dont faisaient partie les Manouchian. On trouve sur internet d’innombrables chanteurs et chanteuses l’ayant interprétée également.
L'affiche rouge (Léo Ferré)
sur le texte de Louis Aragon "Strophes pour se souvenir"
Vous
n'avez réclamé la gloire, ni les larmes
Ni l'orgue, ni la
prière aux agonisants
11 ans déjà, que cela passe vite 11
ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort
n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous
aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et
de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de
sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y
cherchait un effet de peur sur les passants
Nul
ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens
allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du
couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos
"morts pour la France"
Et les mornes matins en étaient
différents
Tout
avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos
derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit
calmement
"Bonheur à tous, bonheur à ceux qui vont
survivre"
"Je meurs sans haine en moi pour le peuple
allemand"
Adieu
la peine et le plaisir, adieu les roses
Adieu la vie, adieu la
lumière et le vent
Marie-toi, sois heureuse et pense à moi
souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand
tout sera fini plus tard en Erevan *
Un
grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle
et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas
triomphants
Ma Mélinée, ô mon amour, mon orpheline
Et je
te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils
étaient 20 et 3 quand les fusils fleurirent
20 et 3 qui
donnaient leurs cœurs avant le temps
20 et 3 étrangers et nos
frères pourtant
20 et 3 amoureux de vivre à en mourir
20
et 3 qui criaient la France en s'abattant
chanté par HK
https://www.youtube.com/watch?v=EPK4KwQIHU8
* Je n’ai pas le texte d’Aragon sous le nez, mais il me semble qu’il avait écrit Erivan, graphie du nom de l'époque que je connaissais dans mon enfance, mais qui s’écrit aujourd’hui Erevan, comme le dit le chanteur. Il me semble d'ailleurs que Léo Ferré, comme Marc Ogeret, Francesca Solleville, Isabelle Aubret, Lenny Escudero, tous interprètes dont j'écoutais les versions, disaient Erivan ?
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