Que tout ce bonheur matériel est fragile ! et que que le souvenir de l’amour, au contraire, est solide !
(Pierre Dupouey, Lettres du lieutenant de vaisseau Dupouey, Gallimard, 1922)
Me voici douze ans après, espérant tenir comme Les trois mousquetaires jusqu’à Vingt ans après, mûrissant (devrais-je dire flétrissant ?), mélancolique, fatigué, sans illusion comme eux, et pourtant essayant encore de me battre, d’être un "serviteur" (au sens chrétien du terme : "je suis au milieu de vous comme celui qui sert", parole de Jésus, Luc, 22, 27) capable de donner et de se donner (un peu comme d’Artagnan), aux amis, à mes deux tribus (la mienne et celle de Claire), à celles et ceux qui sont dans le besoin, d’être dans le partage et la fraternité, comme Claire me l’a enseigné. Et de me souvenir.
Je me croyais capable d’oubli, comme tout le monde : il est vrai que j’ai un penchant (naturel ?) à oublier les quelques malheurs qui ont ombragé ma vie. Mais impossible d’oublier les années heureuses, les moments enchanteurs, les petits bonheurs (chers à Félix Leclerc), les joies indicibles. J’y pense souvent, et aussi à la manière dont Claire m’a aidé à donner du sens aux dernières années de sa vie : depuis, je ne redoute ni le vieillissement ni la mort ; elle m’a donné l’endurance pour affronter l’épreuve de ses cinq dernières années de vie et l’y accompagner avec courage et détermination, le cran d’apprendre à mourir, c’est-à-dire en somme d’apprendre à vivre, puisque la mort fait partie de la vie, ce que notre époque néglige, peut-être par absence de spiritualité.
Je vous propose ces deux poèmes, écrits à la mémoire de Claire.
Deux poèmes
1
c'était une fête, un vingt-trois février
tu avais accepté de chanter sur le pouce
comme
l'oiseau de Noël chante
dans l'étable entre l'âne et le bœuf
j'étais, je crois, tiré à quatre épingles
pour t'honorer dans ce moment crucial
bel accompagnateur de ta douleur,
j'espérais dérouter la mort
homme, voilà, je n'étais qu'un homme
homme de rien dans la nuit sombre
mais j'allais allumer le phare de la poésie
pour qu'il illumine ta voix
et, sous la pluie battante des lumignons
tu as trouvé tes feux de route
tu as chanté – j'ai entendu – pour moi tout seul
je n'ai pas oublié les larmes de tes yeux
2
l’eau
du ruisseau fredonne dans le vent
l’abeille baise le nectar de la fleur
vois mes mains qui tremblent
la brume enroule ses écharpes
une frêle rosée se pose sous mes pas
vois ma bouche qui s’ouvre
le soleil pâle perce l’air
les signes indiquent le destin
vois mon œil qui étincelle
notre vie, ce fil coupé
l’arbre le sent, l’arbre le voit
vois mon ouïe qui écoute
le monde s’est bien caché
tout au long de ton agonie
vois mon nez qui frémit
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire