mardi 6 juillet 2021

6 juillet 2021 : le poème du mois, Victor Hugo

 

 

ICI, en plein milieu de la rue, l’on ne cache rien. La richesse comme la pauvreté. Elle est même exaltée, Madame la Pauvreté ! Elle est nue ! Elle est humaine ! Elle est sensuelle ! Elle est simple ! Elle a le sourire ! Pas comme Madame la Richesse qui stresse ! Qui a peur de tout perdre ! Madame le Pauvreté n’a pas peur de perdre quoi que ce soit ! Elle a la richesse de son âme, Madame, Votre Pauvreté ! Et l’âme, ça ne se perd pas !

(Jean-Luc Raharimanana, Revenir, Rivages, 2018)



Revenu de Paris, puis de La Rochelle et de Poitiers, j’ai découvert une belle quantité de sans abri, de SDF, de mendiants, quelle que soit la dénomination qu’on leur donne. Le covid a bon dos, je ne sache pas que les richards qui nous dominent et nous dirigent aient vu leurs revenus baisser à ce point. Sans doute j’ai beaucoup marché, j’ai peu pris le métro, et je n’avais pas les yeux dans ma poche. Et j’ai repensé à ce formidable poème de Victor Hugo, publié après sa mort, et qui fut écrit au moment de la guerre (euh, la grève, lapsus révélateur) des mineurs d’Aubin (6 octobre 1869) et de sa sévère répression par l’armée (14 morts dont une femme et un enfant de sept ans et 22 blessés) : un an plus tard, cette même armée fut moins efficace contre les Prussiens qui, eux étaient équipés pour se battre, pas comme les manifestants. On ne peut que penser aux gilets jaunes et à la répression policière d’aujourd’hui : le monde de change pas. Je vous laisse déguster ce texte de notre grand Victor, très proche ici de son épopée, Les Misérables :


Ode à la misère

 

" - Quel âge as-tu ? - Seize ans. - De quel pays es-tu ?

- D’Aubin. - N’est-ce pas là, dis-moi, qu’on s’est battu ?

- On ne s’est pas battu, l’on a tué. - La mine

Prospérait. - Quel était son produit ? - La famine.

- Oui, je sais, le mineur vit sous terre, et n’a rien.

Avec la nuit de plus, il est galérien.

Mais toi, faisais-tu donc ce travail, jeune fille ? -

- Avec tout mon village et toute ma famille,

Oui. Pour chaque hottée on me donnait un sou.

Mon grand-père était mort, tué du feu grisou.

Mon petit frère était boiteux d’un coup de pierre.

Nous étions tous mineurs - lui, mon père, ma mère,

Moi. L’ouvrage était dur, le chef n’était pas bon.

Comme on manquait de pain, on mâchait du charbon.

Aussi, vous le voyez, monsieur, je suis très maigre ;

Ce qui me fait du tort - Le mineur, c’est le nègre.

Hélas, oui ! Dans la mine on descend, on descend.

On travaille à genoux dans le puits. C’est glissant.

Il pleut, quoiqu’on n’ait pas de ciel. On est sous l’arche

D’un caveau bas, et tant qu’on peut marcher, on marche ;

Après on rampe ; on est dans une eau noire ; il faut

Étayer le plafond, s’il a quelque défaut ;

La mort fait un grand bruit quand tout à coup elle entre ;

C’est comme le tonnerre. On se couche à plat ventre.

Ceux qui ne sont pas morts se relèvent. Pas d’air.

Chaque sape est un trou dont un homme est le ver.

Quand la veine est en long, c’est bien ; quand elle est droite,

Alors la tâche est rude et la sape est étroite :

On sue, on gèle, on tousse ; on a chaud, on a froid.

On n’est pas sûr si c’est vivant tout ce qu’on voit.

Sitôt qu’on est sous terre on devient des fantômes.

- Les pauvres paysans qui vivent sous les chaumes

Respirent du moins l’air des cieux. - On étouffait.

- Pourquoi ne pas vous plaindre aussi ? - Nous l’avons fait.

Nous avons demandé, ne croyant pas déplaire,

Un peu moins de travail, un peu plus de salaire.

- Et l’on vous a donné, quoi ? - Des coups de fusil.

Je m’en souviens, le maître a froncé le sourcil.

Mon père est mort frappé d’une balle. - Et ta mère ?

- Folle. - Et tu n’as plus rien ? - Si. J’ai mon petit frère.

Il est infirme, il faut qu’il vive de façon

Que j’ai mendié, mais on m’a mise en prison.

Je ne sais pas les lois, mais on me les applique.

Que fais-tu donc alors ? - Je suis fille publique."

 


une formidable adaptation cinéma  : le film de Raymond Bernard (1934)

 

 

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