La majorité de nos contemporains sont devenus analphabètes en matière de religion.
(Jean-Paul Willaime, Réforme, n° 2887, 25 février 2021)
Ce qui est vrai de la religion va devenir encore plus vrai pour ce qui est dé la culture. Avec la fermeture de tous les établissements culturels (cinémas, théâtres, opéras, cirques, salles de spectacles de toutes sortes – cafés-théâtres, musique, humour, danse – et même salles de culture physique), on voit bien le drame pour toutes les générations d’être privés de la culture vivante, et contraints de se reporter sur l’usage quasi exclusif des écrans personnels (smartphones, tablettes, ordinateurs et autres téléviseurs) devenus addictifs et qui font des analphabètes de la culture. En particulier pour les jeunes : si les bibliothèques sont ouvertes, on n’y voit guère cette catégorie de la population.
En revanche, les commerces et les marchands se frottent les mains, le consumérisme bat son plein, les plates-formes de vente en ligne achèvent d’abattre ce qui reste encore de culture.
Je n’ai toujours pas de smartphone, et plus j’en vois les usagers (je pense qu’ils dorment avec, tant ils ont l’air de ne pas pouvoir s’en passer), moins j’ai envie de devenir comme eux, indiscrets et incivils (ils l’ont sur la table quand ils mangent, ils mettent le haut-parleur pour que nul n’ignore la qualité et l’intérêt exceptionnels de leur conversation et de leur langage), dérangés à tout moment par leurs nombreux amis sur face de bouc et autres réseaux sociaux… J’ai de plus en plus horreur de cet engin !
Heureusement, il nous reste les livres, personnels ou empruntés et, en ce qui me concerne, la pratique du vélo. En ces temps de confinement, de couvre-feu (que ne vont-ils pas inventer encore pour nous empêcher de sortir, de nous réunir, de nous rencontrer, d’apprendre ensemble à douter, à chercher et à s’instruire, à manifester aussi), d’enfermement, le vélo, comme la lecture, nous réapprennent à sortir de chez soi et à sortir de soi, pour mieux être.
Ainsi, dans son roman Encabanée, la Québecoise Gabrielle Filteau-Chiba relate du 2 au 10 janvier, quelques jours d'un hiver froid de la vie en solo de la narratrice, Anouk, qui a quitté Montréal pour s'installer en pleine forêt dans la région de Kamouraska, dans une tentative de fuir une vie devenue superficielle et consumériste : "toutes ces choses qui font le mirage d’une vie réussie. Consommer pour combler un vide tellement profond qu’il donne le vertige".
Mais comment survivre dans un froid intense, comment se prouver à soi-même que la solitude et la précarité peuvent lui sauver la vie ? Elle médite, elle écrit, elle lit, elle va chercher du bois pour chauffer la cabane et faire fondre les chaudières (seaux) de neige pour avoir de l’eau chaude : qu’est-ce "qui t'a poussée à t'encabaner loin de tout", note-t-elle dans les listes qu’elle dresse pour reprendre prise avec elle-même. Son "rêve de toujours: vivre de ma plume au fond des bois". L'arrivée d’un gros chat, puis de Rio, un métis fuyant la police et cherchant refuge (je vous laisse découvrir la cause qu’il défend), va lui permettre de trouver une chaleur sociale bienvenue… Malgré leur séparation définitive, "Ma vie reprend du sens dans ma forêt", écrit Anouk dans son journal.
Voilà donc un roman, écrit dans une langue québécoise savoureuse, qui nous éclaire encore sur le confinement, même s’il s’agit d’un confinement volontaire, mais quelque peu subi aussi. À la fin, la narratrice trouve du sens à sa vie : " Enfin, j’avais découvert le sens à ma vie de féministe rurale : me dévouer à la protection de la nature, corps et âme".
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire