Bolivia
libre : SI, Bolivia yankee : NO (cri
du peuple des "Indios" boliviens qui manifestent)
(Icíar
Bollaín, Même la pluie :
film, scénario de Paul Laverty)
Décidément,
le festival de Pessac 2019, malgré ses défauts (trop de films et de
débats à la même heure, trop de films qui débutent en retard,
sans compter la pluie qui, pour le vieux cycliste que je suis,
constitue un handicap, mais là ils ne sont pas responsables), aura
eu au moins l’effet de nous faire prendre conscience – si tant
est que j'en avais encore besoin – que notre confort (dont nous
sommes si fiers, et qui contribue beaucoup à notre allongement de notre espérance de vie) repose largement sur l’exploitation des
miséreux d’Amérique latine (et aussi d'Afrique et d'Asie), et tout particulièrement des descendants
des premiers natifs, les "Indios". Que ce soit au Brésil
(film La terre des hommes rouges), au Nicaragua (documentaire
État de guerre), à Cuba (Soy Cuba qui évoque le Cuba des années 50) ou en Bolivie (les films de Sanjinés ou Même
la pluie), enfin à peu près toute l’Amérique latine était
bien représentée. Et derrière cette exploitation, on trouve, comme
par hasard, les yankees, à l’affût des richesses minières et autres, et
leurs valets-potiches-Quisling au pouvoir. À peine un Indien a-t-il réussi à être
élu président (Evo Morales), on le déconsidère à tout va : la presse
et les médias (largement aux mains de l’oligarchie, comme en
France, tiens, comme c’est curieux !) se comportent en chiens de
garde (et on se demande pourquoi je n’aime pas tellement les chiens !), et la droite revancharde ont
réussi à l’obliger à s’enfuir - heureusement, d’ailleurs,
car il aurait été assassiné, comme le sont actuellement ses
nombreux soutiens, paysans et pauvres Indios. La répression y bat son
plein, au Chili aussi : comme c’est étrange, on ne parle que
de celle des Hong-Kongais ; c'est qu'il y a de bons et de mauvais
révoltés. Deux poids deux mesures, la répression des, allons au
hasard, Indiens d'Amérique, Palestiniens, migrants, gilets jaunes, Yémenites,
Kurdes, passe à la trappe. Mais Hong Kong, ah, Hong Kong !
Passons…
Revenons
au cinéma. La Bolivie, dis-je, était à l’honneur. J’ai donc vu
un autre film de Sanjinés, Le courage du peuple (1971) qui
raconte la lutte des
mineurs d’étain en 1967 (certains d’entre eux voulaient
rejoindre la guérilla menée par Che Guevara), surexploités par
l’oligarchie bolivienne (et derrière elle, les USA), voulant
obtenir une augmentation de leur déjà maigre salaire qui venait encore
d’être divisé par deux, et la
sanglante répression qui
eut lieu pendant
la nuit de la St Jean 1967…
Jorge Sanjinés ne
cache pas qu'il aime cette
fronde, même si elle se termine par un massacre odieux.
Et les femmes sont aussi
protagonistes de l'Histoire, car
ce sont elles qui n’arrivent plus à nourrir leurs enfants ni leurs
maris mineurs. Elles
débarquent à la coopérative pour exiger du sucre, de la farine, du
riz (j’ai repensé à Anna Magnani, fer de lance de la fronde des
femmes dans L’honorable
Angelina, vu à Venise, les opprimés sont les mêmes partout).
La première et longue scène
voit les manifestants (hommes, femmes, enfants, vieillards) descendre
de la montagne en un long groupe avec en contrechamp les
militaires qui les attendent de pied ferme (musique martiale) et finissent par leur
tirer dessus avant de les ensevelir dans des fosses communes. Pas de dialogue,
puis suit une séquence d’images fixes avec en surimpression le rappel
des nombreux massacres opérés depuis 1942, avec leurs responsables
nommés (présidents-dictateurs du pays, généraux). Puis on passe
aux protagonistes du film, la lutte des femmes, la négation de tout
problème par les autorités, la répression d'une férocité inouïe (pensez, ce ne sont que des Indiens, donc des sous-hommes) et enfin l’autre massacre, celui de
la nuit de la Saint Jean. Enfin, la séquence du début reprend, mais
cette fois l’armée a disparu, on voit la longue file des manifestants
heureux et joyeux, comme s’ils avaient été vainqueurs : ils songent à un
autre avenir possible avec en surimpression « Le peuple luttera
jusqu’à la victoire. » Un film engagé, puissant, concret,
antiraciste, militant. Nos gilets jaunes adoreraient !
Autre film tourné en Bolivie : Même la pluie. Là, ça se passe dans les années 2000 : une troupe espagnole de cinéma vient tourner un film à grand spectacle sur Christophe Colomb et Bartolomé de Las Casas. Ils ont besoin d’Indiens pour la figuration, même si ce ne sont pas les Indiens d’époque : on va donc leur mettre un pagne et leur peinturlurer le visage et ça devrait faire l’affaire. Mais acteurs, techniciens, producteur, metteur en scène sont vite confrontés au racisme ambiant. Et surtout à la multinationale qui veut s’emparer de l’eau, alors que les Indiens avaient creusé des puits et des tranchées pour amener l’eau (gratuite) dans leurs quartiers périphériques de Cochabamba. Voilà qu’on arrache les cadenas qui fermaient leurs puits pour les remplacer par ceux de la multinationale. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La communauté indienne manifeste, promet le blocus de la ville : répression immédiate et violente, comme en 1967 dans le film précédent. L’équipe de tournage, d’abord indécise et divisée, voit leur "acteur" Indien, devenu meneur de la contestation, battu, torturé et emprisonné. Le tournage du film est donc interrompu. Je n’en raconte pas plus. Mais là encore, on voit le fossé qui sépare les oligarques et les classes moyennes blanches, qui tirent les marrons du feu, des Indiens qui, au mieux, sont domestiques, paysans et ouvriers, au pire, sont réprimés avec sauvagerie par la police et l'armée. La haine de l’Indien dans toute sa splendeur. Nos cinéastes, acteurs et techniciens, venus d’Espagne, n’en croient pas leurs yeux. Nous non plus ! Comme quoi il suffit d'aller là-bas pour les ouvrir, nos yeux !
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