lundi 25 novembre 2019

25 novembre 2019 : le racisme colonial. 1


Bolivia libre : SI, Bolivia yankee : NO (cri du peuple des "Indios" boliviens qui manifestent)
(Icíar Bollaín, Même la pluie : film, scénario de Paul Laverty)

Décidément, le festival de Pessac 2019, malgré ses défauts (trop de films et de débats à la même heure, trop de films qui débutent en retard, sans compter la pluie qui, pour le vieux cycliste que je suis, constitue un handicap, mais là ils ne sont pas responsables), aura eu au moins l’effet de nous faire prendre conscience – si tant est que j'en avais encore besoin – que notre confort (dont nous sommes si fiers, et qui contribue beaucoup à notre allongement de notre espérance de vie) repose largement sur l’exploitation des miséreux d’Amérique latine (et aussi d'Afrique et d'Asie), et tout particulièrement des descendants des premiers natifs, les "Indios". Que ce soit au Brésil (film La terre des hommes rouges), au Nicaragua (documentaire État de guerre), à Cuba (Soy Cuba qui évoque le Cuba des années 50) ou en Bolivie (les films de Sanjinés ou Même la pluie), enfin à peu près toute l’Amérique latine était bien représentée. Et derrière cette exploitation, on trouve, comme par hasard, les yankees, à l’affût des richesses minières et autres, et leurs valets-potiches-Quisling au pouvoir. À peine un Indien a-t-il réussi à être élu président (Evo Morales), on le déconsidère à tout va : la presse et les médias (largement aux mains de l’oligarchie, comme en France, tiens, comme c’est curieux !) se comportent en chiens de garde (et on se demande pourquoi je n’aime pas tellement les chiens !), et la droite revancharde ont réussi à l’obliger à s’enfuir - heureusement, d’ailleurs, car il aurait été assassiné, comme le sont actuellement ses nombreux soutiens, paysans et pauvres Indios. La répression y bat son plein, au Chili aussi : comme c’est étrange, on ne parle que de celle des Hong-Kongais ; c'est qu'il y a de bons et de mauvais révoltés. Deux poids deux mesures, la répression des, allons au hasard, Indiens d'Amérique, Palestiniens, migrants, gilets jaunes, Yémenites, Kurdes, passe à la trappe. Mais Hong Kong, ah, Hong Kong ! Passons…

Revenons au cinéma. La Bolivie, dis-je, était à l’honneur. J’ai donc vu un autre film de Sanjinés, Le courage du peuple (1971) qui raconte la lutte des mineurs d’étain en 1967 (certains d’entre eux voulaient rejoindre la guérilla menée par Che Guevara), surexploités par l’oligarchie bolivienne (et derrière elle, les USA), voulant obtenir une augmentation de leur déjà maigre salaire qui venait encore d’être divisé par deux, et la sanglante répression qui eut lieu pendant la nuit de la St Jean 1967… Jorge Sanjinés ne cache pas qu'il aime cette fronde, même si elle se termine par un massacre odieux. Et les femmes sont aussi protagonistes de l'Histoire, car ce sont elles qui n’arrivent plus à nourrir leurs enfants ni leurs maris mineurs. Elles débarquent à la coopérative pour exiger du sucre, de la farine, du riz (j’ai repensé à Anna Magnani, fer de lance de la fronde des femmes dans L’honorable Angelina, vu à Venise, les opprimés sont les mêmes partout). La première et longue scène voit les manifestants (hommes, femmes, enfants, vieillards) descendre de la montagne en un long groupe avec en contrechamp les militaires qui les attendent de pied ferme (musique martiale) et finissent par leur tirer dessus avant de les ensevelir dans des fosses communes. Pas de dialogue, puis suit une séquence d’images fixes avec en surimpression le rappel des nombreux massacres opérés depuis 1942, avec leurs responsables nommés (présidents-dictateurs du pays, généraux). Puis on passe aux protagonistes du film, la lutte des femmes, la négation de tout problème par les autorités, la répression d'une férocité inouïe (pensez, ce ne sont que des Indiens, donc des sous-hommes) et enfin l’autre massacre, celui de la nuit de la Saint Jean. Enfin, la séquence du début reprend, mais cette fois l’armée a disparu, on voit la longue file des manifestants heureux et joyeux, comme s’ils avaient été vainqueurs : ils songent à un autre avenir possible avec en surimpression « Le peuple luttera jusqu’à la victoire. » Un film engagé, puissant, concret, antiraciste, militant. Nos gilets jaunes adoreraient !






 



Autre film tourné en Bolivie : Même la pluie. Là, ça se passe dans les années 2000 : une troupe espagnole de cinéma vient tourner un film à grand spectacle sur Christophe Colomb et Bartolomé de Las Casas. Ils ont besoin d’Indiens pour la figuration, même si ce ne sont pas les Indiens d’époque : on va donc leur mettre un pagne et leur peinturlurer le visage et ça devrait faire l’affaire. Mais acteurs, techniciens, producteur, metteur en scène sont vite confrontés au racisme ambiant. Et surtout à la multinationale qui veut s’emparer de l’eau, alors que les Indiens avaient creusé des puits et des tranchées pour amener l’eau (gratuite) dans leurs quartiers périphériques de Cochabamba. Voilà qu’on arrache les cadenas qui fermaient leurs puits pour les remplacer par ceux de la multinationale. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La communauté indienne manifeste, promet le blocus de la ville : répression immédiate et violente, comme en 1967 dans le film précédent. L’équipe de tournage, d’abord indécise et divisée, voit leur "acteur" Indien, devenu meneur de la contestation, battu, torturé et emprisonné. Le tournage du film est donc interrompu. Je n’en raconte pas plus. Mais là encore, on voit le fossé qui sépare les oligarques et les classes moyennes blanches, qui tirent les marrons du feu, des Indiens qui, au mieux, sont domestiques, paysans et ouvriers, au pire, sont réprimés avec sauvagerie par la police et l'armée. La haine de l’Indien dans toute sa splendeur. Nos cinéastes, acteurs et techniciens, venus d’Espagne, n’en croient pas leurs yeux. Nous non plus ! Comme quoi il suffit d'aller là-bas pour les ouvrir, nos yeux !

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