« Vu
tout ce qu’il y a à lire, pourquoi perdre son temps avec les
nouveautés ? », se justifiait-il.
(Fabio
Morabitó,
Le lecteur à domicile,
trad. Marianne Millon, Corti, 2019)
Vous
me connaissez : pas de voyages sans rencontres : ça peut
être des humains, tel dans le train entre Nantes et Vannes ce
Français habitant Chiloé (nous avons échangé nos cartes), ou le cinéaste malgache Michaël
Andrianaly, après la vision de son beau film
qui dresse le portrait
d’un coiffeur, Nofinofy. D’autres
encore. Mais de plus, j’emporte toujours de la lecture et je fais
aussi des rencontres littéraires. J’ai ainsi lu la magnifique
Lettre au
père
de Kafka que j’aurais fait lire à mon frère si je l’avais lue
avant, petit livre qui l’aurait peut-être aidé à se réconcilier
avec son enfance. Mais j’ai lu également deux curieux romans
latino-américains.
Dans
Le lecteur à
domicile,
de
Fabio
Morabitó
(Mexique),
Eduardo, le narrateur, vit avec son père atteint d’un cancer en
phase terminale et de l’infirmière-gouvernante Céleste qui
s’occupe de lui. Il a pris la succession de son père à la
direction
d’un magasin de meubles, où
il a un employé, Jaime.
Mais
à la suite d’un accident (sans doute grave, mais on n’en saura
pas davantage), le juge l’a condamné
à un
retrait du permis de conduire et à un travail d’intérêt
général : faire
des
lectures
à domicile. C’est
ainsi qu’il fait des rencontres surprenantes : les
frères Jimenez à
qui il lit Dostoïevski,
Buzzati
au
colonel Attariaga, Jules
Verne dans
la famille Vigil, des
sourds qui lisent sur les lèvres ce qu’il dit,
Henry
James à Margó Benitez, une belle femme mûre en fauteuil roulant,
Kafka
chez le couple Reséndiz, etc.
Il
découvre qu’il a du mal à comprendre ce qu’il lit, comme s’il
ne s’y intéressait pas.
Mais
en découvrant dans les papiers de son père un poème d’Isabel
Fraire recopié
à la main, il s’aperçoit qu’il peut donner du sens à ce qu’il
lit. Il recherche chez un libraire d’occasion les œuvres d’Isabel
Fraire et ça le passionne. Comme
les Reséndiz invitent d’autres couples à ses lectures, on finit
par lui demander d’organiser une lecture publique avec divers
lecteurs à la librairie.
Les portraits
des divers personnages
où il doit faire ses
lectures sont toujours surprenants. Il découvre peu à peu les
secrets de leur vie, et se découvre lui-même par la même occasion.
La poésie va
changer sa vie aussi bien que le monde
qui l’entoure. Ce roman
est un véritable hommage au
pouvoir de la littérature et plus
spécifiquement de la
poésie. Parallèlement,
on assiste aussi à la vie de Mexico, au racket des commerçants par
les truands, sous couvert de les protéger. Une belle réussite.
La
raconteuse de films d'Hernán Rivera Letelier (Chili, acheté à la Librairie du FIFIG) se passe dans les mines de salpêtre du désert
d’Atacama au nord du Chili dans les années 50. Maria Margarita est
la seule fille de la maison, elle vit avec son père invalide,
en
fauteuil roulant
depuis un accident du travail, et ses quatre frères. La mère les a
quittés. Ils adorent le cinéma, mais vu leur budget étriqué, quand
un film arrive, ils ne peuvent acheter
qu’un seul billet et chacun des enfants va à tour de rôle
regarder le film et le raconter au reste de la famille en rentrant.
Mais à ce jeu, c’est la petite fille qui se révèle la meilleure.
Elle enregistre les détails, les mimiques, les intonations, les
costumes et Maria Margarita devient la raconteuse de films, prenant
le pseudo de Morgane Féduciné.
Bientôt tout le village de mineurs vient chez elle assister à ses
prestations, trouvant que c’est même mieux qu’au
cinéma. On
se bouscule dans la petite maison, et
ce sont des
jours de relative aisance pour
la famille, jusqu’au
moment de
l'arrivée de la télévision. Le
père meurt, les frères s’en vont l’un après l’autre, la
mine est
désaffectée,
Maria
Margarita devenue adulte met
son talent toujours intact au service des touristes qui viennent de
temps en temps visiter les anciennes mines.
Ça
commence ainsi : "À la maison, comme l’argent courait
plus vite que nous, quand
un film arrivait à la Compagnie et que mon père le trouvait à son
goût - juste d'après le nom de l'actrice ou de l'acteur principal -,
on réunissait une à une les pièces de monnaie pour atteindre le
prix d'un billet et on m'envoyait le voir. Ensuite en revenant du
cinéma, je devais le
raconter
à la famille, réunie au grand complet au milieu de la salle à
manger." Dans
ce triste désert, où tout est régi par la Compagnie, seuls le
cinéma,
et pour
les garçons
le foot, font
diversion. Mais la petite fille devenue jeune fille est bientôt
rattrapée par la réalité, bien éloignée des rêves octroyés par
le cinéma. Une belle histoire aussi, un bel hommage au cinéma et au
pouvoir de la parole et de l'art de raconter. L’auteur, comme son héroïne, est un conteur hors
pair.
Et
sur ce, blog en repos jusqu’à mon retour de Venise.
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