Un
beau jour, l’indignation se transforme en colère, de simple
citoyen on devient militant, lanceur d’alerte, et on se retrouve
face à un bulldozer, un policier ou un milicien armé.
(Élisabeth
Schneiter, Les héros de l’environnement, Seuil, 2018)
J’avoue
qu’après avoir lu ce livre, je suis encore plus admiratif devant tous
ces humbles héros, Berta Flores Cáceres, José Flores, Silmer George
(Honduras), Isidro Baldonegro (Mexique), Wayne Lotter (Tanzanie),
Chico Mendes (Brésil), Ken Saro-Wiwa (Nigéria), Chut Wutty
(Cambodge), et d'autres, "qu'ils luttent contre la déforestation,
l'agriculture intensive, l'industrie minière ou pétrolière
[Chevron ex-Texaco, particulièrement toxique en Équateur], ces
héros se heurtent presque tous à un ennemi double : l'appât du
gain du secteur privé, renforcé, au mieux par la négligence, au
pire par la corruption des pouvoirs publics".
Les
héros de l’environnement sont semblables au pot de terre qui lutte
contre le pot de fer : les multinationales sont extrêmement
oppressives, au moins autant que les états qui, le plus souvent, les
appuient. Elles arment des milices chargées d’éloigner, voire
d’éliminer tous les gêneurs, c’est-à-dire parfois des peuples
autochtones au grand complet qui n’acceptent pas de voir leurs
forêts détruites, leurs rivières détournées, leur flore et
leur faune appauvries : or, ces "petits"
défenseurs des territoires ne travaillent pas seulement pour assurer
leur survie, mais pour le bien de l’humanité
(Berta Cáceres affirmait en 2015 : "Donner
nos vies pour la protection des rivières, c'est aussi la donner pour
le
bien-être
de l'humanité et de la planète").
Élisabeth
Schneiter nous
signale les nombreux crimes commis au Honduras et au Brésil et dans
d’autres pays contre ces modestes héros. Les témoignages
présentés dans ce livre font un tour du monde de cette lutte
inégale des combats environnementaux des "petits"
("Même
si c'est dangereux, je ne peux pas faire autrement !", disait
Chut Wutty, avant d’être assassiné)
contre les puissants de ce monde, presque toujours assurés de
l’impunité. Ça fait froid dans le dos. D’autant plus que tout
ça se passe dans des pays ou des régions pauvres, au nom d’un
prétendu progrès et
d’une mondialisation qui
dissimulent
en fait le profit maximal, la dépossession et l’exploitation abusive,
la
corruption, la collusion entre pays riches et pays pauvres afin de
piller les ressources de ces derniers.
Il
faut donc du
courage pour
se battre contre les moulins à vent du capitalisme triomphant qui va
finir par faire du monde un désert, sous prétexte de continuer à
soutenir notre
mode de vie sans
avenir,
puisqu’il
détruit les milieux naturels que les
populations savaient
respecter.
Impossible
de ne pas penser, en lisant ce livre à nos jeunes Français qui, de
Notre-Dame des Landes à Sivens et à Bure, militaient et militent
encore pour une manière de vivre différente, fondée sur
un lien respectueux de
la terre, de la faune et de la flore, ce que laisse entendre
l’auteur, quand elle dit :"Une
guerre ignorée est en cours sur la planète entre des
entreprises prêtes à tout et des gens qui veulent vivre libres et
indépendants sur leurs territoires, sans nuisances et sans
destructions".
Un livre indispensable,
même pour des vieux comme moi ! Et que tous les jeunes devraient posséder...
Mais
il est des héros encore plus modestes, les pères et mères de
famille dont la littérature nous parle parfois. Ainsi Guy Boley,
dans son deuxième roman, Quand Dieu boxait en amateur, nous
livre un tableau touchant de René, ce père dont il nous déroule
l’histoire dans les quartiers populaires du Besançon des années
50 et 60. René, élevé à la dure par une mère seule (son père
ayant été écrasé entre deux trains) est ami d'enfance avec Pierrot ;
tous deux se passionnent pour la lecture, mais la mère de René s’en
méfie et pousse son rejeton vers la boxe qu’il va pratiquer en
amateur jusqu’à devenir champion de France poids moyen, tandis que
Pierrot se tourne vers la prêtrise. Leur amitié va survivre cependant :
René exerce le métier de forgeron tout en s’entraînant pour la
boxe, et en jouant les utilités sur la scène du théâtre municipal
ou le chanteur d’opérette dans les réunions de famille. Jusqu’au
jour où l’abbé lui propose de devenir acteur pour le spectacle
annuel de la paroisse et d’endosser le rôle du Christ dans La
passion de notre Seigneur Jésus-Christ. René va mettre dans sa
façon de jouer toute l’ardeur qu’il mettait dans les combats de
boxe, forçant l’admiration de tous et de son propre fils.
Ici,
on est dans le milieu des prolos, formidablement bien recréé par
l’auteur, qui semble être le fils de ce René dont il nous conte
l’histoire. C’est donc à la fois le récit d’une amitié
merveilleuse entre René et Pierrot, et d’une relation père-fils
bien observée. Mon père, ce héros...
Mais
n’oublions pas les mères. Elles aussi peuvent être des héroïnes
hors du commun. Ainsi,
la Mère de
La civilisation, ma mère !
de Driss Chraïbi,
"si
menue, si fragile",
aux
yeux de son fils cadet.
C'est une femme qu’on
a laissée dans l’ignorance
de tout : "Personne
ne lui avait rien appris depuis qu'elle était venue au monde.
Orpheline à six mois. Recueillie par des parents bourgeois à qui
elle avait servi de bonne. À l'âge de treize ans, un autre
bourgeois cousu d'or [le
père du narrateur] l'avait
épousée sans l'avoir jamais vue".
Depuis
le mariage, elle vit recluse, ne sortant jamais de
la maison,
comme une femme marocaine de ce temps-là. Mais
c’est compter sans ses deux films qui, profitant de l’absence
fréquente du père, vont, devenus adolescents, la faire sortir de sa
maison et de sa chrysalide d’ignorance (elle croit qu’il y a un
magicien caché dans la radio). Elle découvre la ville, ils lui
apprennent à lire, l’emmènent au cinéma (un des chapitres les
plus drôles du livre) ; elle se révèle avide d’apprendre,
de comprendre sa vie. Et voilà que de sujette, elle se met comme les
Marocains de l’époque à revendiquer son indépendance, à
l’instar du pays. Elle va en fin du livre quitter le pays pour
rejoindre son fils qui étudie en France.
Formidable
portrait d’une mère innocente, à l’âme pure (on pense à
L’idiot de Dostoïevski), respectueuse des traditions, de la
religion musulmane et des légendes qu’elle a entendues et qu’elle
restitue si bien. Son horizon soudain s’élargit et c’est un
enchantement : d’abord avec l’arrivée de l’électricité
et de la radio, des fers à repasser électriques et de la cuisinière moderne, avec la découverte du
cinéma (à l’entracte entre les deux films, elle réinvente
l’histoire vécue et la raconte aux autres spectateurs, ébahis de
son innocence et de son inventivité). Car, à aucun moment, elle ne
perd tout à fait cette innocence propre aux grandes âmes. Mais, en
s’instruisant, elle développe une intelligence acérée, teintée
de bienveillance et de désir de justice. Un livre bouleversant sur
une héroïne du quotidien, narré avec un humour dévastateur
terriblement efficace. Et une double relation mère-fils admirablement restituée. Un joyau !
Conclusion :
une mère, un père, un défenseur de l’environnement, sont des
héros cent fois plus intéressants que les personnages bodybuildés des
blockbusters américains. Ils nous montrent le vérité de la vie,
ils nous montrent le chemin, rappellent la parole de Jésus rapportée par Jean (chap. 14, 6) : "je suis le Chemin, la Vérité et la Vie".
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