Ceux
qui ont appris à échanger des mots ont moins envie de s’échanger
des coups.
(Régis
Debray, L’obscénité
démocratique,
Flammarion, 2007)
Ma
meilleure amie m’ayant conseillé ce film (« il va te
plaire » : comme elle me connaît bien !), je me suis empressé
de trouver un créneau dans mon emploi du temps surchargé et d’aller
voir Yomeddine,
avant qu'il ne disparaisse des écrans de Bordeaux.
C'est
un film que notre grand Victor Hugo (et tant pis pour ceux qui n'ont
pas lu ou aimé Notre-Dame
de Paris
et
L’homme qui rit,
avec la création des personnages extraordinaires de Quasimodo et de
Gwynplaine, et l'alliance du grotesque et du sublime) n’aurait pas
renié et aurait à coup sûr apprécié. « Je suis un être
humain » clame Beshay
le
lépreux (joué, semble-t-il, par un authentique lépreux - y a rien
de pire au cinéma que ces maquillages absurdes ou ces images
synthétiques -, comme on trouve aussi parmi les autres acteurs un
cul-de-jatte et un nain). Ce qui renvoie à un de mes films préférés,
le fameux Freaks
de
Todd Browning, que j’ai vu pour la première fois à Paris pendant
mon année d’études à l’École Nationale Supérieure des
Bibliothèques (ENSB). Et si j’ajoute que Yomeddine
ne
pâtit pas de la comparaison avec les romans de Hugo et avec ce grand
classique du cinéma, on voit que pour moi, c’est quasiment le film
de l’année, injustement oublié au palmarès du Festival de Cannes
: cachez ces "monstres" que je ne saurais voir, semble nous
dire le jury.
Revenant
de Madagascar où j’ai pu apercevoir quelques "épaves"
humaines (j’appose des guillemets, car effectivement je les ai vus
comme des êtres humains et non pas des monstres, mais ils sont aussi
mal considérés dans ce pays très pauvres que chez nous), je
n’étais donc pas dépaysé.
Ici,
nous sommes en Égypte, aux abords d’une léproserie, d’une
montagne de détritus (que Beshay le lépreux trie) et d’un
orphelinat. Il se fait aider par un des orphelins surnommé Obama.
Beshay est marié, mais sa femme, internée dans un hospice pour
malades mentaux, meurt. En fait, Beshay a été placé à la
léproserie par son père quand il était petit. Il est maintenant
guéri, donc non-contagieux, mais son visage et ses mains sont
terriblement déformés par la maladie et l’excluent de la société
ordinaire. Seule l’amitié d’Obama lui permet de ne pas sombrer
dans la morosité. Avec son âne et sa charrette, Beshay se met en
tête de partir retrouver sa famille d’origine, et l’orphelin
nubien (donc noir, autre forme d’ostracisme ici) décide le suivre.
Tous deux vont donc être confrontés à diverses attitudes de rejet,
avant de découvrir que l’Égypte offre aussi des plages de
solidarité entre les exclus et proscrits divers :
handicapés
et mendiants en particulier. Si l’on ajoute que Beshay est chrétien
(copte ?), donc minoritaire dans cette société musulmane, son
odyssée
prend valeur d’exemplarité sur la tolérance et même sur le sens
de la vie.
Je
n’en raconte pas plus. J'entends déjà ceux qui vont me taxer de
masochisme d'aller voir de tels films (comme ceux qui parlent de la
maladie, de la vieillesse et de la mort : mais j'aime regarder la
réalité en face, après tout, je suis aussi un être humain et
j'aime découvrir l'humanité dans toutes ses composantes). Si donc vous n’avez pas peur de vous
confronter à des personnes hors de la norme (et, au demeurant, qui
sommes-nous pour en juger, de cette norme prétendue), vous finirez
par trouver les héros beaux, comme dans "Freaks", où ce
sont in
fine
les "normaux" qui nous montrent la noirceur de l’âme.
Ici, c’est peut-être plus subtil : il y a du bon et du
mauvais partout.
En
ces temps de recul de la tolérance (vis-à-vis des migrants, de la
pauvreté, des mendiants, des SDF, des chômeurs même) et de regain
du racisme, le film nous offre un enseignement (je sais, ça aussi,
c'est devenu un "gros mot" à bannir du vocabulaire !)
salutaire qui mériterait plusieurs visions, tant le réalisateur
brouille un peu les pistes : communautarisme versus
universalisme par exemple. Il laisse au spectateur le choix de
s’interroger et de se dire : "Qu'est-ce qu'être un être
humain" ? On en sort renforcé. Courrez voir Yomeddine
quand il passera par chez vous, quand on le projettera à la télé,
et n'oubliez pas de découvrir Freaks,
si vous n'avez jamais vu cet extraordinaire film de 1932 (rappelons
que le titre français en était La
monstrueuse parade !!!)
; ces deux films nous donnent aussi une superbe leçon de vie (en particulier parce qu'ils ne prétendent pas nous asséner une "leçon" !), comme
le fut, à certains égards, mon voyage à Madagascar et comme
devrait l’être tout voyage, dès qu’on sort d’un cadre
conventionnel.
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