mercredi 12 décembre 2018

12 décembre 2018 : de la violence


Les enfants des pauvres, on le sait, doivent apprendre très vite à sentir les duretés de la vie.
(Luigi Pirandello, Ignorantes, in Nouvelles pour une année, Gallimard)


Ah ! La violence ! On en avait de vagues échos au Maroc sur les chaînes d’infos en continu captées, soit Cnews et Euronews. Il n’y était question que de la violence des manifestants et des casseurs. Je ne nie pas celle des casseurs, mais je comprends celle des manifestants si vraiment elle a existé. Car ce que je voyais surtout sur ces chaînes et ce que je vois sur internet, c’est la violence sadique insensée de la répression policière : des femmes âgées en gilets jaunes aspergées à bout portant de lacrymo, des vieux hommes traînés à terre et tabassés avec une férocité stupéfiante par la police, mais aussi bien des jeunes battus ou recevant des tirs quasi à bout portant dans le visage et sur les mains, enfin bref une répression en règle qui a mobilisé presque 90000 policiers samedi dernier. Je ne doute pas que ceux qui devaient s’en réjouir le plus, c’était les terroristes qui, pendant ce temps-là, avaient le champ libre pour nous rappeler leur existence, comme je le disais à quelques-uns. Bingo, puisqu’on ne s’occupait plus guère de les surveiller, et pour cause.


La violence d’État dans toute sa splendeur. Car on oublie trop souvent que l’État est hyper-violent : que peut faire un manifestant désarmé contre des hommes hyperarmés (style robocop) et surentraînés (surtout, reconnaissons-le contre les classes populaires, jamais contre les richissimes évadés fiscaux et patrons voyous), contre des canons à eau (on doit penser, en haut lieu que ça doit être plaisant de recevoir ça sur la tronche au mois de décembre, et bravo pour le gaspillage de cette matière qui deviendra rare, l'eau), des tirs de flashball et de grenades de toutes sortes (à moins d’avoir un supercasque, un gilet pare-balles, un masque à gaz, des oreillettes anti-bruit, des gants matelassés, des genouillères et protections diverses, on peut se retrouver avec un œil crevé, une main arrachée et autres joyeusetés), etc ?
Il est vrai qu’on n’a pas entendu notre gouvernement protester contre les destructions d’écoles, de maisons, d’hôpitaux, les massacres et mutilations perpétrés par l’armée israélienne à Gaza, ni contre les bombardements du Yemen par l’aviation saoudienne avec du matériel français, ni contre les raids aériens en Syrie (il est vrai qu’ils sont censés être chirurgicaux et tant pis pour les dommages humains collatéraux) ou ailleurs. On entend peu sur ces sujets nos grands médias télévisuels ni nos hommes politiques non plus. Cette violence d’État leur semble légitime : il faut bien qu’on vende nos armes de destruction massive, mon brave monsieur, et tant qu’à faire, qu'on les teste en grandeur nature. Les Américains nous avaient bien montré l’exemple à Hiroshima et Nagasaki, puis en dévastant les forêts vietnamiennes à grands coups de défoliants.
La violence d’État, c’est aussi faire traîner des dossiers de demande d’asile ou de visas, laisser des enseignants pourrir la vie d’enfants en les traitant de nuls dès l’école maternelle (j'ai plusieurs témoignages), faire languir des patients dans les couloirs des urgences pendant une journée entière (Claire a bien connu ça), taxer au maximum les pauvres et détaxer les riches (j’aimerais bien, moi, payer un impôt sur la grande fortune : si je possédais un yacht, des villas dans l’île de Ré, à Saint-Trop et à Saint-Barth, un manoir en Corrèze, un appartement à Paris et un autre à Megève, une Rolls Royce et un jet privé, je trouverais ça normal, et vous aussi, je pense ; et au contraire, le Sénat vient de voter l'allègement de l'exit tax le 10 décembre, une heure avant l'allocution du président, bravo pour la lutte contre l'évasion fiscale !), etc., etc.



Que peut-on contre cette violence-là ? Faire des sit-in sur la voie publique (finalement, c’est ce que font les gilets jaunes aux ronds-points pour bloquer la circulation, et il y faut bien du courage, car il y a des automobilistes, des motards et des camionneurs irascibles capables de leur foncer dessus) ; pratiquer la grève de la faim ; s’exercer à l’objection de conscience (y compris par le non-vote et la décroissance de notre consommation) ; s’appliquer à la résistance passive (ne regardons plus la télévision, n’écoutons plus la radio et refusons la publicité) ; défendre le pacifisme absolu ; refuser le nationalisme imbécile ; se battre contre l’exploitation des êtres humains et la surexploitation des ressources naturelles ; rechercher la sobriété et la mesure ; bref, changer le monde en soi et autour de soi.

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