« Le
rire est le sel de la vie, petite mère. —
Eh bien, tu sales trop ! Ça décape la joie. »
(Driss
Chraïbi, La
civilisation, ma mère !,
Gallimard, 1989)
notre hôtel et, derrière, le Palais des congrès
Huit
jours à Marrakech, loin des bruits du jour, je dois dire que ça
décape, ça remet aussi les pendules à l’heure, surtout quand
nous apprenons que les fameux gilets jaunes, du moins certains
d’entre eux, s’en prennent aux migrants en plein milieu de la
conférence internationale de Marrakech sur le sujet, qui débutait
hier, jour de notre retour. On en arrivait à regretter de ne pas
être totalement déconnecté, et de ne pas être hébergé dans un
hôtel bon marché ne proposant pas un téléviseur dans chaque
chambre.
dans la vallée de l'Ourika
Il
nous restait, heureusement, à nous promener en ville, à discuter
avec les autochtones (souvent jeunes), d’approfondir
la connaissance des membres du groupe (dix-huit
femmes, six hommes),
à découvrir la vallée de l’Ourika et aussi, puisque nous étions
venus pour ça, à visionner quelques films. Comme les années
précédentes (2014 et 2015), il y avait trois salles de projection :
deux au Palais des Congrès (la salle des Ministres, où étaient
projetés les films en compétition, en présence du jury présidé
par James Gray, et la salle des Ambassadeurs, que j’ai boycotté,
car pour des problèmes techniques, les films n’y étaient pas
sous-titrés en français), et à 1,5 km environ à pied en allant
vers le centre ville, le Colisée, salle de cinéma ordinaire,
fréquentée par un public plus populaire.
le Ciné-Palace, un ancien cinéma de Marrakech, à l'abandon,
découvert lors de mes promenades
J’ai
vu dix-huit films, dont onze sur les quatorze en compétition. Petit
aperçu de la compétition où les films n’étaient pas très
gais, traitant en grande partie de problèmes sociaux.
Le
film soudanais Akasha
est le seul qui m’a mis en joie : il montre l’absurdité de
la guerre à travers le portrait d’un déserteur un peu barjot.
Magnifiques paysages, belle interprétation, j’ai beaucoup ri. Dans
le film allemand Tout
va bien,
l’héroïne (prix d’interprétation féminine), victime d’une
relation sexuelle non désirée, s’enfonce dans le non-dit et voit
sa vie détruite. Le film mexicain La
camarista
(prix du jury) décrit le quotidien d’une femme de chambre dans un
grand hôtel de Mexico. L’envers du décor en quelque sorte. Diane
(USA) raconte les difficultés d’une femme qui pratique la
compassion et l’altruisme à outrance,au risque de s’oublier
elle-même. La
girafe
(film égyptien) étale la face nocturne du Caire, du machisme et de
la douleur des femmes. Irina,
magnifique film bulgare, nous met en présence d’une femme qui
tente de sortir de la misère en devenant mère porteuse : on
n’a pas fini de parler de ce sujet.
Regarde-moi, de Mohcine Besri
Regarde-moi
montre un père tunisien (prix d’interprétation masculine) peu
attentif jusque-là à son fils autiste (l’enfant acteur qui joue
le rôle aurait tout autant mérité le prix !), qui doit le prendre
en charge après le décès de sa femme. Très émouvant. Red
snow
est un polar japonais : vingt ans après un fait divers, un
journaliste tente de comprendre les faits en retrouvant les
protagonistes qui semblent avoir tout oublié (cf l’affaire Gregory
dans les Vosges, à laquelle on pense). Rojo est un beau film argentin sur les prémices
de la dictature des généraux au milieu des années 70. Une
urgence ordinaire
(sans doute mon préféré) conte les affres d’une famille
marocaine aux prises avec le système corrompu des hôpitaux
publics : très prenant. Le film chinois Vanishing
days
montre l’intrusion de la fiction dans la réalité d’une
collégienne : un peu obscur !
Parmi
les films qui n’étaient pas en compétition, soulignons la qualité
de quelques-uns dont certains devraient sortir prochainement en
France. L’Américain Green
book, sur les routes du Sud (sortie
le 23 janvier), nous montre la réalité du racisme aux USA en 1962 :
cet excellent film nous indique que rien n’avait changé depuis la
Guerre de sécession, un siècle plus tôt. Le très bon film italien
Euforia
met en présence deux frères dont l’un a une tumeur au cerveau :
inutile de dire que le sujet et son traitement m’ont passionné.
Deux films marocains, Ultime
révolte
(un sculpteur vieillissant retrouve une seconde jeunesse) et We
could be heroes
(ce documentaire traite des handicapés qui participent aux jeux
paralympiques et des difficultés qu’ils doivent surmonter) donnent
un aperçu de la variété des thématiques de ce jeune cinéma. Le
superbe film colombien Les
oiseaux de passage
(sortie le 10 avril prochain) montre les dégâts du trafic de drogue
chez les tribus indiennes : à ne pas rater ! Capharnaüm,
film libanais déjà sorti en France (et que j'avais raté), est également exceptionnel :
le monde des adultes vu par un enfant de douze ans.
En
résumé, un festival plutôt moyen, où les meilleurs films
n’étaient pas en compétition. Ceci étant, je n’ai pas vu Joy
(sur
la prostitution africaine à Vienne en Autriche),
qui a obtenu l’Étoile
d’or, ni le film serbe La
charge
(la guerre des années 90) qui a eu le prix de la mise en scène…
Et
j’ai lu aussi les écrivains marocains que j’avais emportés :
Driss Chraïbi, Mahi Binedine et Tahar Ben Jelloun, histoire de me
sentir dans le bain. Ce qui m’a fait regarder autour de moi avec un
œil différent.
et toujours, les chats du Maroc
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