Pour
que l’état social soit perfectionné, il faut que chacun ait
assez, et qu’aucun n’ait trop.
(Jean-Jacques
Rousseau, Du Contrat social,
1762)
Je
reviens donc de Montpellier où le Cinémed, Festival de cinéma
méditerranéen, m’a paru une nouvelle fois d’excellente facture,
tant en ce qui concerne les films récents et encore inédits
(fiction et documentaires) que les reprises de films plus anciens
dans le cadre de rétrospectives. Le fait que tout (ou presque) se
passe dans un périmètre réduit, autour de la Place de la Comédie
et du Corum, ajoute encore au charme de ce festival, aux yeux des
cinéphiles. Le beau temps, quoique un peu frais cette année, permet
en outre des déambulations dans le quartier, notamment
sur l’esplanade ombragée qui relie la Place au Corum, et des
rencontres souvent passionnantes, y compris quand il s’agit de
quémandeurs qui font la manche et dorment dans la rue. Je suis
toujours curieux de savoir comment et pourquoi ils en sont arrivés
là, c'est souvent édifiant. Et ils sont l’illustration absolue de la phrase de Rousseau
citée en exergue sur l’état d’imperfection de notre état
social : oui, ils n’ont pas assez, alors que certains ont
beaucoup trop (l’exemple le plus criant étant les fameuses
retraites-chapeaux de nos chers dirigeants de grandes entreprises,
dont le plus grand mérite est d’avoir su délocaliser la
production, dégraisser les effectifs et mener à la misère et au
désespoir des familles entières).
Justement,
un des films en compétition, Vent du nord,
du Tunisien Walid Mattar, évoquait le problème : une usine du
Nord de la France est délocalisée en Tunisie. Le héros français,
Hervé, quinquagénaire avancé, tente de se reconstruire une vie
grâce à l’indemnité de licenciement économique, en s’achetant
un bateau et s’improvisant patron-pêcheur, tandis que son
homologue tunisien, Fouad, se fait embaucher, pensant ainsi gagner
assez d’argent pour soigner sa mère et gagner l’amour de sa
belle. Tous deux seront perdants : « Faut pas jouer les
riches, quand on n’a pas le sou », chantait très justement
Jacques Brel dans Ces gens-là.
Film saisissant, au réalisme
puissant.
Autre
film qui a emporté l’Antigone d’or et le prix de la critique, Manuel
(sortie le 14 février),
de l’Italien Dario Albertini. Le héros, dix-huit ans, sort du foyer
éducatif, où on l’a placé quelques années auparavant, quand sa
mère a été mise en prison. Elle doit sortir prochainement, en
liberté conditionnelle avec assignation à résidence. Manuel, qui
voudrait reprendre sa mère dans leur ancien appartement, doit
prouver aux autorités qu’il va être capable de la surveiller,
tout en travaillant. Très beau film sur un adolescent que le malheur
a mûri et sur la résilience. La fin reste ouverte.
Parmi
les autres films en compétition que
j’ai vus, j’ai beaucoup
aimé le film palestinien Wajib (sortie
le 14 février), qui se passe
à Nazareth au moment du
mariage de la fille d’un vieux professeur,
le film géorgien Dede (prix du public),
qui montre la révolte d’une jeune femme contre les traditions
locales (elle préfère un mariage d’amour à un mariage arrangé)
et le film serbe Requiem pour Madame J,
quinquagénaire qui décide de mettre fin à ses jours au moment de
l’anniversaire de la mort de son mari. Deux
autres films sortaient de la Mostra de Venise (Volubilis
et Les bienheureux),
j’en ai déjà parlé. Donc une sélection austère, rude même.
Mais le monde n’est-il pas rude ? Le cinéma n’en est que le
reflet.
Une
autre catégorie de longs métrages de fiction, "Panorama", présentait
aussi de beaux films. Blue silence,
film turc, expose la difficulté de renouer avec sa famille quand on
sort d'un hôpital psychiatrique. Sur un thème voisin, le film italien Il
piu grande sogno, évoque la
tentative de réhabilitation d’un détenu rentrant dans son
quartier après huit ans d’absence. Le film espagnol No
sé décir adíos, nous montre
deux sœurs aux prises avec la fin de vie de leur père. Autre film
espagnol, La meilleure option,
conte la difficile intégration d’un jeune immigré mauritanien. Le
film tunisien L’amour des hommes (sortie
prévue le 28 février),
raconte la difficile émancipation d’une jeune femme photographe, désireuse de
réaliser des photos sensuelles des hommes (cf l'affiche).
Enfin,
l’excellent film franco-marocain, Tazzeka,
un des rares films optimistes, décrit l’apprentissage d’un jeune
cuisinier marocain qui a découvert les plaisirs de faire la cuisine avec
sa grand-mère.
Parmi
les documentaires, j’ai choisi Entre la roca y la ola,
ou la dure vie des percebeiros, pêcheurs galiciens de pouce-pied
(crustacés à pédoncule charnu fixés sur les rochers battus par
les vagues), qu'ils doivent décrocher du rocher au risque de leur vie. Et beaucoup aimé aussi La
danse du soleil, ou « Căluş »,
rituel roumain de danses et de chants venant des temps anciens et qui
se déroule encore chaque année pour la Pentecôte.
Parmi
les rétrospectives, je me suis régalé avec deux films de
l’Algérien Merzak Allouache, Bab el web,
excellente comédie sur l’introduction d’internet en Algérie et
La baie d’Alger, sur
la fin de l’Algérie française. Autre
film algérien, Mascarades,
de Lyes Salem, est aussi une comédie bien enlevée.
J’ai apprécié El baile de la victoria (jamais
sorti en France), de l’Espagnol Fernando Trueba, qui se passe au
Chili à la suite de l’amnistie qui met fin à l’ère Pinochet.
Et
je me suis régalé avec la rétrospective Alberto Lattuada,
petit-maître du cinéma italien des années 40 à 70 ; j’ai
vu deux comédies un peu
amères, La pensionnaire (1954),
avec Martine Carol et Raf Vallone, description au vitriol de la
bourgeoisie italienne en vacances en bord de mer et La
grosse tête (1975) avec
Giancarlo Giannini, où le héros, laveur de carreaux le jour et
figurant à la Scala la nuit, rêve de devenir célèbre et
va en trouver l’occasion en s’accusant d'un meurtre qu’il n’a pas commis. Sans oublier l’excellent
Les feux du music-hall
(1950), coréalisé par Federico Fellini et que je n’avais jamais
vu : le film suit l’itinérance à travers l’Italie de
l’après-guerre d’une troupe de comédiens, chanteurs et danseurs
miteux, l’occasion d’admirer Giulietta Masina dans un de ses
premiers rôles avant La Strada.
Autre
rétrospective, le duo Nakache-Toledano, je suis allé voir Je
préfère qu’on reste amis.
Depardieu excellent comme toujours, mais pour le reste, bof, je m’y
suis plutôt ennuyé.
L’intérêt
de ce festival est quand même de voir des films venant de petits
pays du pourtour méditerranéen. Pas de film grec ni catalan cette
année, dommage ! Et grand merci à ma sœur pour son hospitalité...
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