Car
tous les exils ne se valent pas : ceux qui veulent trouver
quelque part où aller ne sont pas ceux qui veulent pouvoir aller
n’importe où.
(Yves
Cusset, Réflexion sur l’accueil et le droit d’asile,
F. Bourin, 2016)
À
force d’en croiser beaucoup, dans mon quartier, au centre ville,
aux abords des gares, parfois assis par terre et regardant le sol, ou
bien faisant la manche plus hardiment, debout en se déplaçant, je
me dis que nous sommes englués dans ce qu’on appelle aujourd’hui
le problème des
migrants. Qui, pour moi, n’en est pas un, comme la misère d'ailleurs, ce sont tout simplement des questions qu’on ne veut pas
prendre à bras le corps ; car
si on veut, on peut : on a bien réussi à accueillir plus d’un
million de migrants en 1962, les rapatriés d’Algérie ! Il
est vrai que la République française faisait déjà le tri, et en a parqué
une partie, les harkis, dans des camps qui ont longtemps perduré.
J’ai
toujours été sensible à cette question, comme en témoigne mon
petit essai sur Erich-Maria Remarque, Coupables d’être
nés (p. 110 à 113 notamment dans
mon livre D’un auteur l’autre),
romancier de l’exil par excellence, celui
des années 30 ; il y
écrivait : "les grands problèmes de l’émigré sont la
faim, le logement et le temps dont il ne peut rien faire puisqu’il
ne lui est pas permis de travailler". La faim, oui, d’où la
mendicité dans la rue (on peut toujours fermer les yeux et faire comme si on ne les voyait pas), le logement (paraît que les préfectures
réquisitionnent les hôtels du type Formule 1, forme
officielle des marchands de sommeil),
d’où les campements plus ou moins salubres (qu'on détruit, mais qui repoussent ailleurs, comme les mauvaises herbes), quand ce n’est pas
la belle étoile pour certains. Quant au permis de travailler, pas
mal de sous-traitants et d’entreprises s’en passent pour
exploiter sans vergogne une population corvéable à merci.
Erich-Maria Remarque notait aussi : "la peur de la police
ne quitte jamais le réfugié, même quand il n’a rien à redouter,
même quand il dort".
On
ne compte plus les films et les livres qui mettent en scène les
migrants. Le film hongrois qui vient de sortir, La lune de Jupiter,
de Kornél Mundruczó, n’évoque du problème que la violence qui
caractérise leur accueil en Hongrie (mais c’est valable partout, mais ici en pire, on tire dans le tas),
mais la teinte d’humanité grâce à une,touche de fantastique.
Le
héros, Aryan, qui a fui la guerre de Syrie avec son père, traverse
le fleuve qui sépare la Serbie de la Hongrie. Aussitôt entré (non
sans difficulté, car beaucoup de ses camarades se noient), il doit
fuir dans la forêt, où il est tiré comme un lièvre par un policier.
Mais, étonnamment,
malgré ses trous rouges dans la poitrine, il se relève et
s’envole, et
découvre
qu’il
est doté de
nouveaux pouvoirs de
lévitation et de guérison.
Il
est sauvé momentanément par un
médecin
hospitalier, le Dr Stern, qui
a besoin d’argent et pense pouvoir monnayer
le don exceptionnel
du jeune homme.
Il
est certain que ce très beau film, merveilleusement filmé
(longs plans-séquences, scènes de survol où la caméra
tourbillonne, courses-poursuites en voitures dignes d’Hollywood,
comme
si le réalisateur avait voulu pervertir les codes du film d’action
pour nous proposer une parabole ou une fable),
en opposant la précarité des migrants et la violence dont ils sont
victimes à l’espoir suscité par les envols d’Aryan, tel un ange
d’un nouveau type (on
pense au Christ ressuscité, d’autant
plus qu’il annonce au docteur que son père était charpentier), nous réapprend à vivre avec les migrants : le docteur peu à peu va s’attacher au
jeune homme, et l’être assez corrompu qu’il était
va
recouvrer sa part d’humanité et d'amour ou d'amitié, réaliser
sa
rédemption en somme, comme s'il était racheté de sa soif d'argent.
Dans
un pays ultra-réactionnaire et raciste comme la Hongrie, dont le dirigeant
Viktor Orbán mène une politique extrêmement dure vis-à-vis des
migrants, on peut penser que le réalisateur, dans sa fiction, a
trouvé la juste mesure pour tirer la sonnette d’alarme sur un fait
de société qui nous touche tous. Et
ceci sans démonstration, simplement par le fil d’une intrigue où
les mouvements de caméra ne font que montrer : au spectateur de
faire sa part de travail. J’ai
été subjugué pour ma part. Mais je comprends que certains trouveront
le procédé un peu artificiel, malgré les magnifiques scènes de
lévitation.
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