jeudi 30 novembre 2017

30 novembre 2017 : les migrants seront-ils notre salut ?


Car tous les exils ne se valent pas : ceux qui veulent trouver quelque part où aller ne sont pas ceux qui veulent pouvoir aller n’importe où.
(Yves Cusset, Réflexion sur l’accueil et le droit d’asile, F. Bourin, 2016)

À force d’en croiser beaucoup, dans mon quartier, au centre ville, aux abords des gares, parfois assis par terre et regardant le sol, ou bien faisant la manche plus hardiment, debout en se déplaçant, je me dis que nous sommes englués dans ce qu’on appelle aujourd’hui le problème des migrants. Qui, pour moi, n’en est pas un, comme la misère d'ailleurs, ce sont tout simplement des questions qu’on ne veut pas prendre à bras le corps ; car si on veut, on peut : on a bien réussi à accueillir plus d’un million de migrants en 1962, les rapatriés d’Algérie ! Il est vrai que la République française faisait déjà le tri, et en a parqué une partie, les harkis, dans des camps qui ont longtemps perduré.
J’ai toujours été sensible à cette question, comme en témoigne mon petit essai sur Erich-Maria Remarque, Coupables d’être nés (p. 110 à 113 notamment dans mon livre D’un auteur l’autre), romancier de l’exil par excellence, celui des années 30 ; il y écrivait : "les grands problèmes de l’émigré sont la faim, le logement et le temps dont il ne peut rien faire puisqu’il ne lui est pas permis de travailler". La faim, oui, d’où la mendicité dans la rue (on peut toujours fermer les yeux et faire comme si on ne les voyait pas), le logement (paraît que les préfectures réquisitionnent les hôtels du type Formule 1, forme officielle des marchands de sommeil), d’où les campements plus ou moins salubres (qu'on détruit, mais qui repoussent ailleurs, comme les mauvaises herbes), quand ce n’est pas la belle étoile pour certains. Quant au permis de travailler, pas mal de sous-traitants et d’entreprises s’en passent pour exploiter sans vergogne une population corvéable à merci. Erich-Maria Remarque notait aussi : "la peur de la police ne quitte jamais le réfugié, même quand il n’a rien à redouter, même quand il dort".

On ne compte plus les films et les livres qui mettent en scène les migrants. Le film hongrois qui vient de sortir, La lune de Jupiter, de Kornél Mundruczó, n’évoque du problème que la violence qui caractérise leur accueil en Hongrie (mais c’est valable partout, mais ici en pire, on tire dans le tas), mais la teinte d’humanité grâce à une,touche de fantastique. 


Le héros, Aryan, qui a fui la guerre de Syrie avec son père, traverse le fleuve qui sépare la Serbie de la Hongrie. Aussitôt entré (non sans difficulté, car beaucoup de ses camarades se noient), il doit fuir dans la forêt, où il est tiré comme un lièvre par un policier. Mais, étonnamment, malgré ses trous rouges dans la poitrine, il se relève et s’envole, et découvre qu’il est doté de nouveaux pouvoirs de lévitation et de guérison. Il est sauvé momentanément par un médecin hospitalier, le Dr Stern, qui a besoin d’argent et pense pouvoir monnayer le don exceptionnel du jeune homme.
Il est certain que ce très beau film, merveilleusement filmé (longs plans-séquences, scènes de survol où la caméra tourbillonne, courses-poursuites en voitures dignes d’Hollywood, comme si le réalisateur avait voulu pervertir les codes du film d’action pour nous proposer une parabole ou une fable), en opposant la précarité des migrants et la violence dont ils sont victimes à l’espoir suscité par les envols d’Aryan, tel un ange d’un nouveau type (on pense au Christ ressuscité, d’autant plus qu’il annonce au docteur que son père était charpentier), nous réapprend à vivre avec les migrants : le docteur peu à peu va s’attacher au jeune homme, et l’être assez corrompu qu’il était va recouvrer sa part d’humanité et d'amour ou d'amitié, réaliser sa rédemption en somme, comme s'il était racheté de sa soif d'argent.
Dans un pays ultra-réactionnaire et raciste comme la Hongrie, dont le dirigeant Viktor Orbán mène une politique extrêmement dure vis-à-vis des migrants, on peut penser que le réalisateur, dans sa fiction, a trouvé la juste mesure pour tirer la sonnette d’alarme sur un fait de société qui nous touche tous. Et ceci sans démonstration, simplement par le fil d’une intrigue où les mouvements de caméra ne font que montrer : au spectateur de faire sa part de travail. J’ai été subjugué pour ma part. Mais je comprends que certains trouveront le procédé un peu artificiel, malgré les magnifiques scènes de lévitation.

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