Anders
entre dans la pièce. On comprend à sa démarche hâtive et au coup
d’œil furtif qu’il jette à sa montre surdimensionnée qu’il
n’a pas de temps à perdre. Il est toujours en mouvement, sur le
point de se rendre à une réunion, de se lancer dans un nouveau
projet professionnel, résolument tourné vers l’avenir.
(Anna
Fredriksson, La
maison de vacances,
trad. Lucas Messmer, Denoël, 2014)
abbaye de Saint-Maurice (Valais)
Mais,
Dieu merci (le moine qui nous a fait visiter la Bibliothèque
patrimoniale de l’Abbaye de Saint-Maurice d’Agaune dans le
Valais, ne nous disait-il pas qu’elle était sous la «protection
divine» ?), nous eûmes aussi droit au Purgatoire pendant
ce tour du lac. Ce dernier étant une sorte de sas avant d’entrer
au Paradis ou d'être rejeté en Enfer, selon la tradition catholique, je vais essayer de voir ce
que je peux y inclure.
vigne sur les pentes
Je
mettrais volontiers au Purgatoire l’emploi du temps extrêmement
minuté, chronométré même, de notre séjour, qui nous valut des
réveils très précoces (ainsi pour le départ de Genève le 19
juin, petit déj à 6 h 30, pour aller visiter le Rolex learning
center de Lausanne le 21 juin, petit déj à 6 h 15, jamais
de petits déjeuners au-delà de 7 h), et de nous précipiter vers
les vélos dès les visites terminées, car on nous attendait
ailleurs à une heure précise... Bon, je m’en suis remis, de toute
façon, fatigué par ces journées menées à train d’enfer,
j’étais couché en général entre 20 et 21 h.
bateau à aubes sur le lac Léman (j'ai profité de l'arrêt à Vevey) : au loin les Alpes
Le
Purgatoire, ce fut aussi de ne pas pouvoir passer beaucoup de temps pour
admirer le paysage (qui était fort beau, entre les rives du lac, les
bateaux, la brume du matin, les
châteaux devant lesquels on ne faisait que passer, les montagnes au
loin, les magnifiques vignes en terrasses dans la région de Vevey où
le syndic
nous invita à la Fête des vignerons de 2019),
comme je fais toujours dans mes randonnées en solo. Ou pour souffler
un peu ! Il me fallait attendre l’ordre de pause ou un arrêt inopiné,
mais
comme j’étais toujours vers la queue, on repartait presque chaque
fois que j’arrivais !
pause connexion
Je
rangerais bien aussi au Purgatoire l’hyperconnexion de la plupart
des participants qui profitaient de chaque interruption pour sortir
le smartphone (il est vrai que je sortais mon carnet et mon stylo) et
jouer au jeu de la "petite poucette" chère à Michel
Serres et – il faut l’avouer – à la plupart de nos
contemporains. Je le vois bien chaque fois que je
vais
au cinéma, au théâtre, au spectacle, tant
que la lumière n’est pas éteinte (et parfois pendant !), la
drôle de petite machine se met compulsivement en mouvement, et de même
dès que la lumière se rallume. Pour moi qui vais au spectacle comme
au temple dans
ma jeunesse (tiens, il faudra que j’y retourne voir si le même
phénomène se produit là aussi avant
et après le culte dominical),
moi qui ferme les yeux avant que ça commence pour me concentrer sur ce que je vais voir,
essayant de conserver
un caractère sacré au film, à la pièce de théâtre, à l’opéra,
au concert, au tour de chant, au cirque, je reste baba devant cette
addiction. De même au
bistrot, je
vois les tablées de deux, trois, quatre personnes qui ont l’air
pourtant d’être ensemble, mais dont chacun/e a les yeux et la main
rivés sur sa drôle de machine ; comme
écrivait Aragon : "Comme une étoffe déchirée / On vit
ensemble séparés / Dans mes bras je te tiens absente".
restaurant oriental de Vevey (Riviera suisse)
Heureusement,
le Purgatoire n’eut qu’un temps... Et il y eut des moments où
l’on a vu
"cette
noble troupe, silencieuse, regarder en haut, comme en attente"
(Dante Alghieri, La
Divine comédie,
Le
Purgatoire,
VII,
trad.
Lamennais). Ce fut alors le Paradis !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire