On
continue aujourd'hui à se scandaliser des totalitarismes effroyables
d'un passé encore bien récent. Comment ne pas partager l'horreur de
leur mémoire et l'envie de les bannir à jamais ? Mais aussi,
comment ne pas voir dans cette horreur entretenue un alibi de
l'acceptation domestique d'un "paisible" totalitarisme
planétaire dont la morgue est plus discrète, mais plus insidieuse
encore, et dont les dégâts risquent d'être objectivement de plus
en plus tragiques ?
(Sergio
Ghirardi, Nous n'avons pas peur des ruines : les
situationnistes et notre temps, L'insomniaque, 2004)
Aujourd'hui
que quelques "nègres"
(n'étant en aucune manière raciste, je me permets d'utiliser ce mot, devenu très incorrect, mais qui correspond ici à l'époque du personnage) arrivent (difficilement) à percer, on a de la peine à imaginer ce
qu'était leur vie à la fin du XIXème siècle, à peine sortis de
l'esclavage.
Et encore, Chocolat (Omar Sy), le héros du film, n'en était pas vraiment sorti, puisqu'il fut
vendu par un planteur cubain (où l'esclavage ne fut aboli qu'en
1886) à un fermier espagnol. Maltraité, il s'enfuit et aboutit en
France. Il finit par échouer dans un cirque, pour y faire le
cannibale. Sa rencontre avec
le clown Footit (James Thierrée) qui a l'idée du duo Footit et
Chocolat, va le propulser sur le devant de la scène et l'amener à
la célébrité. Pourtant, il
n'est que le faire-valoir de Footit, son souffre-douleur sur la
piste, celui qui reçoit les coups de pied au cul (il paraît que
l’expression “je suis chocolat” vient de là) ; jusqu’au
jour où, trahi par ses anciens patrons et emprisonné, il rencontre
derrière les barreaux un intellectuel haïtien qui lui fait prendre
conscience de sa situation subalterne. Chocolat, alors, va tenter de
voler de ses propres ailes pour incarner un rôle sérieux : Othello
de Shakespeare au théâtre.
J'avoue
que pour
son quatrième film comme réalisateur, Roschdy Zem (après Mauvaise
foi, Omar m’a tuer et Bodybuilder) montre une sacrée ambition : cette fois, il évoque un destin
hors norme (historique et oublié) avec une vigueur certaine, en évitant les écueils du
moralisme. Il nous montre un Chocolat victime de ses défauts
(notamment de son goût pour les jeux d'argent) autant que de la
société – extrêmement raciste, au fond le duo clown blanc-clown
noir est le microcosme des représentations raciales de l'époque et
reproduit les stéréotypes raciaux – dans laquelle il vit. Ainsi
Chocolat
réhabilite un
parcours fascinant que Roschdy Zem reconstitue avec sérieux,
notamment l’univers du cirque de l'époque (petits cirques
provinciaux, le cirque en dur de Paris). Les deux comédiens sont
formidables : James Thierrée, enfant de la balle (petit-fils de
Charlie Chaplin, contorsionniste et acrobate accompli) a réglé
les numéros de cirque et amené Omar Sy à se surpasser dans le rôle
de la victime. Chocolat
finit par ne
plus supporter l'humiliation des son rôle et souhaite être
un artiste complet. Ce qui aboutit à l’échec, car les barrières
raciales de l'époque ne pouvaient pas, même à Paris, accepter
qu'un Othello fût joué par un acteur réellement noir !
Ce
qui entraîne une certaine tonalité triste (j'ai entendu des réactions en ce sens à
la sortie) et va certainement joué en la défaveur du film, les gens
s'attendant avec Omar Sy à rire aux éclats. Donc, Les
Tuche 2,
qui sort au même moment, va lui faire de l'ombre. Pourtant la
thématique en est proche : comment vivre une vie complètement
différente quand on passe de la misère à la richesse (Les
Tuche)
ou à la célébrité (Chocolat).
Ce dernier mérite pourtant un large succès public, en nous
proposant un héros noir assez surprenant. Le film est très soigné,
bien maîtrisé, et atteint, par son humanisme, une profondeur à
laquelle ne peut prétendre Les
Tuche,
qui ne démérite pas, mais reste en deçà de ce que ça pourrait
être...
Rappelons
que Chocolat a réellement existé (biographie par Gérard Noiriel,
Bayard, 2012) et qu'il est mort dans la misère à Bordeaux. Et qu'un tel film doit nous encourager dans la voie de l'antiracisme, seule voie humaniste dans notre monde actuel.
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