lundi 18 mai 2015

18 mai 2015 : menus propos


« Ma » femme, « mes » enfants, « ma » maison, « mon »corps, « ma » vie, écrit Rilke, autant de mensonges qui nous cachent l'évidence : nous ne possédons rien.
(Marc Petit, Éloge de la fiction, Fayard, 1999)

Ce matin, à la poste, une dame veut acheter un timbre. Obligée de passer par la machine qui lui délivre un succédané à coller sur l'enveloppe. J'ai demandé à l'employée : « Alors, on peut plus acheter de timbres ? » « Si, mais pas à l'unité, par carnet », me répond-elle ; elle avait obligeamment expliqué le fonctionnement de la machine à la dame. Encore heureux ! Mais nous voilà transformés en presse-boutons, bientôt sans contact humain. En sortant, je tiens la porte ouverte, car il y a presse, je fais le portier, car la lourde porte fait mal, quand elle se rabat brusquement sur vous. Un des clients (un "vieux" monsieur) qui sortait veut bien discuter avec moi : « Eh oui, monsieur, autrefois, on protestait, comme vous. Aujourd'hui, tout le monde accepte tout sans broncher. C'est comme pour l'euro. Regardez les Anglais, ils n'en ont pas voulu, je ne crois pas qu'ils s'en portent plus mal ! »
Toujours ce matin, à la radio (France culture), Manuel Valls. On lui dit qu'il est dans la même situation que Rocard en 1988, alors coincé entre la gauche plus radicale (Chevénement) et le social-libéralisme de Delors. Dans sa réponse – très alambiquée, j'ai remarqué que les politiques répondent souvent à côté de la plaque –, il dit que « la situation n'est plus la même », que « le monde a changé depuis trente-cinq ans ». Plus loin, il redit 35. Et on se moque des gamins qui ne savent plus compter ! Aucun des animateurs ne lui a fait remarquer que 2013-1988 = 25 !
Hier, j'ai voulu faire ma déclaration de revenus par internet. Impossible. Il est vrai que j'ai refusé de cocher les cases du début par lesquelles on signale qu'on ne veut plus recevoir la feuille papier. Résultat, des cases que je voulais remplir plus loin (pension alimentaire, dons aux associations, etc.) ne se sont pas ouvertes. De toute façon, c'était plus pour vérifier le montant de mon impôt que je tentais de vérifier (il existe un simulateur qui m'a permis quand même de le faire), car je pense qu'on n'a pas le droit de nous imposer la déclaration informatique : ce qui impose l'obligation d'avoir un ordinateur, outil certes utile, mais absolument pas indispensable. On ne pense pas à tous les plus de 80 ans qui n'en ont jamais eu et qui sont plusieurs millions : ils iront où, pour faire leur déclaration, à la banque ? À l'hôtel des impôts ? Chez leurs enfants (tous n'en ont pas) ? Je préférerais pour ma part un prélèvement à la source. Et puis, il n'y a aucune raison qu'on fasse le travail des fonctionnaires des impôts ! Ou alors ne nous plaignons pas de l'augmentation permanente du chômage. Car, bien sûr, ça va supprimer des emplois !
Avant-hier, je suis allé rapporter mes bouquins à la bibliothèque. Même chose : désormais, des robots désormais enregistrent les prêts. Comme les envois à la poste ! Contact humain : zéro. Si encore ça libérait du temps pour le personnel, temps qui lui servirait à aider les usagers hésitants. J'ai quand même vu à plusieurs reprises des gens entrer, faire le tour, être dépassés par la quantité monstrueuse de livres et d''auteurs, et ressortir sans que personne ne les retienne ou ne leur explique comment tout ça fonctionne...
Et voilà comment le monde va aujourd'hui, un monde sans âme, qui délègue le pouvoir aux machines (on parle même de vêtements intelligents ! où donc l'intelligence va-t-elle se nicher ?). Et après, on s'étonne de la dérive de nombreux jeunes, du taux important des suicides, de l'abus des anti-dépresseurs. Quand vous restez des jours entiers sans parler à personne, car même les caisses des supermarchés deviennent automatiques – et de toute façon, les caissiers ne sont pas là pour discuter ; il y a tout de même au Simply d'ici un caissier du même prénom que moi, et qui dit un mot gentil à chaque client qui passe à sa caisse, et avec le sourire encore , il peut y avoir matière à déprimer, non ?
Pourtant ça ne me gâche pas l'envie de continuer à lire, le livre étant l'anti-dépresseur par excellence : "La liberté n'est pas le geste de se défaire de nos attachements, mais la capacité pratique à opérer sur eux, à s'y mouvoir, à les établir ou à les trancher" (L'insurrection qui vient, La fabrique, 2011). Restons pratiques, et ne soyons pas les esclaves des machines, fussent-elles électroniques !

 bergers landais dans la Haute lande, fin XIXe siècle
(exposition Félix Arnaudin, Musée d'Aquitaine, Bordeaux)

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