Je
ne lis jamais de poésie. Cela pourrait m'attendrir.
(Général
Hindenburg, cité dans Robert Darnton, Apologie
du livre,
Gallimard, 2012)
un des livres d'artiste que collectionne l'amie Jocelyne
Je
me souviens encore de mon premier film de cinéma, c'était, je pense,
en 1953, je devais avoir donc sept ans et demi, et dans le village de
ma tante, à Gouze (Basses Pyrénées, comme on disait à l'époque,
aujourd'hui aucun département ne veut être bas, ni inférieur !)
où je passais mes vacances d'été, le curé organisait des
projections. C'était dans une espèce de grange attenant à l'église
(ou dans les parages), nous étions assis sur des bancs, les petits
(dont mon cousin et moi) devant et les grandes personnes derrière.
Au-dessus des bûches de bois qui tapissaient le mur du fond, un drap
avait été fixé contre le mur. On projeta Blanche Neige, je
n'ai jamais oublié mon enthousiasme, à la vue des sept nains
revenant de la mine, de la marâtre déguisée en sorcière, de la
pomme empoisonnée, de la chute de la sorcière, et de Blanche Neige
nettoyant la cabane des nains. Bref, j'étais devenu d'un seul coup
adepte du cinéma. D'ailleurs, je n'ai jamais revu ce dessin animé,
aucun de ceux de Disney qui ont suivi ne m'a semblé l'égaler (hors
peut-être Peter Pan), je veux absolument en garder ma vision
enfantine.
nature morte chez mes amis d'Auch
Par
la suite, il y a eu au lycée le ciné-club hebdomadaire, avec la
découverte de beaucoup de grands classiques du cinéma, et les
sorties au cinéma d'en ville sous la conduite des pions lors des
sorties du jeudi ou du dimanche. J'étais désormais vacciné, et
même addict comme on dit aujourd'hui. Je n'ai jamais cessé d'y
aller, de fréquenter tous les ciné-clubs qui existaient à Bordeaux
quand j'étais étudiant ; pendant ma seule année parisienne, j'ai
écumé une bonne trentaine de cinémas différents ainsi que la
cinémathèque, où il m'est arrivé d'y voir un film italien sous-titré
en allemand ! J'ai passionnément aimé les films de genre,
les péplums, les « cape et épée », les westerns, les
films noirs ou à suspense, les comédies musicales, le burlesque (de
Chaplin à Jerry Lewis en passant par Keaton, Laurel et Hardy, les
Marx brothers, Jacques Tati), les films d'épouvante et fantastiques,
de science-fiction, le néo-réalisme aussi bien que le réalisme
poétique français, les films soviétiques ou suédois, les films de
samouraïs, etc... Aucune catégorie n'a échappé à ma curiosité,
ni aucun pays. Si certains passaient leurs journées ou leurs soirées
au bistrot ou en boîte, moi, c'était les salles obscures qui
m'attiraient plus que tout.
Et
Claire m'y a longtemps accompagné. Dès leur plus jeune âge, j'y ai
emmené mes enfants qui ont vu des films en version originale très
tôt ! Maintenant que je suis vieux, que les ciné-clubs
n'existent pratiquement plus, je découvre depuis 2010 le
plaisir des festivals de cinéma : j'ai commencé par La
Rochelle (quatre fois déjà), continué par Venise (trois fois),
puis j'ai ajouté Montpellier, Pessac, Bordeaux aussi (Le Fifib,
Festival du Film indépendant de Bordeaux) et maintenant voici que je
viens de découvrir la magnifique programmation de celui d'Auch,
intitulé Indépendance et création, proposé par le Ciné
32, que préside depuis plus de trente ans l'infatigable Alain
Bouffartigue. Je me souviens d'une virée que nous fîmes, lui et moi, à
Bordeaux vers 1979, à la recherche de diffuseurs et
distributeurs pour le lancement du premier Ciné 32. Nous nous sommes revus
avec plaisir.
le nouveau bâtiment du ciné 32 : cinq salles !
Invité
par mes vieux amis d'Auch (là aussi, il y a eu une coupure de trente
ans !), j'ai donc inauguré ce festival tout dernièrement, et
j'ai passé quelques jours merveilleux, comme une de ces parenthèses
enchantées qui nous marquent, dans une vie. Tous les films vus
étaient dignes d'intérêt, certains excellents : la comédie
sentimentale française 2 automnes, 3 hivers nous changeait
des comédies à la française si souvent débiles ; l'afghan
Wajma est une sorte de Marius et Fanny revue à la sauce des
pays musulmans ; l'anglais Le géant égoïste se
rapproche des films de De Sica (Sciuscia en particulier, qu'il
m'a rappelé, car il s'agit aussi d'enfants et de chevaux) et il est
d'un réalisme si noir que les films de Ken Loach deviennent
tout d'un coup d'aimables bluettes ; le kurde My sweet pepper land
montre la difficulté de l'entrée de la modernité dans un pays
soumis aux lois ancestralement féodales ; le mexicain Rêves
d'or souligne avec vigueur le désir de fuite des latinos vers le rêve
américain (on peut mettre en rapport la traversée dangereuse du
Mexique sur les toits des trains avec les pirogues et bateaux des
immigrants africains vers l'Eldorado européen) ; l'argentin
Le médecin de famille explore l'installation des criminels nazis
réfugiés au temps de Peron ; le chinois A touch of sin
nous montre de nouvelles facettes de la Chine contemporaine, où le
communisme et le capitalisme cumulent leurs méfaits respectifs ;
l'ukrainien La maison à la tourelle (au superbe noir
et blanc) revient sur un épisode de la guerre de 1942 vue par les yeux d'un
enfant ; le chilien Gloria narre les difficultés d'une
femme vieillissante, confrontée à la peur de vieillir, à la peur de
ne plus être désirable...
Une
variété de films et de cinématographies, un choix exceptionnel. Un
festival qui porte haut la petite ville où trône la statue de
D'Artagnan en haut de la première volée de marches de l'escalier
monumental. J'avais emporté mon vélo et j'ai pu circuler sur la
voie cyclable qui longe les berges du Gers, revoir de près la
pousterle (rue en escalier, dans le style des traboules lyonnaises)
où habitait Claire quand nous nous connûmes. Un beau pèlerinage,
en somme. D'autant plus que j'ai revu mes anciens collègues, Paul, le chauffeur du bibliobus et sa femme Mimi, chez qui j'ai déjeuné, avec Anne-Marie, une des bibliothécaires.
de gauche à droite, Anne-Marie, Paul et Mimi
C'était un autre temps, sans doute, et chargé de poésie : moi, au contraire des bouchers de 14-18, j'aime bien m'attendrir, et après leur avoir dédicacé mon livre, j'en ai lu quelques extraits...
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