je
crois qu'on a ça en commun, une part qu'on veut garder pour soi,
secrète, qu'on ne doit à personne, quelque chose de l'idée qu'on
se fait de sa liberté.
(Isabelle
Pandazopoulos, La
décision)
Y
a-t-il un hasard dans nos lectures, ou ne sont-elles pas plutôt le
fruit de la nécessité ? Au fait, y a-t-il un hasard dans nos
vies, et tous nos actes ne sont-ils pas le fruit de la nécessité ?
Je suis tombé sur ce livre à ma médiathèque de quartier et,
visiblement, je dois être le premier à m'en être emparé, car il
est absolument neuf !
Nous
sommes dans un lycée parisien de qualité, la plupart des élèves
font grève pour soutenir les protestations contre la réforme des
retraites ; pas ceux de Terminale S, qui bachotent pour le bac.
Mais ce jour-là, Louise Beaulieu, élève brillantissime, a un
malaise en classe, demande à aller aux toilettes. Samuel, le
benjamin de la classe (deux ans d'avance), l'accompagne. Elle
s'enferme, et peu de temps après, Samuel aperçoit un filet de sang
qui coule sous la porte et s'agrandit. Il alerte les secours. Louise
vient d'accoucher d'un petit garçon, événement que rien ne
laissait présager (elle avait juste dû augmenter ses jeans "d'une
taille"),
elle ne se savait pas enceinte, elle dit à la psychologue de
l'hôpital et à ses parents : "Je...
n'ai jamais eu... de relations sexuelles...
JE-N'AI-JA-MAIS-COU-CHÉ-A-VEC-PER-SON-NE !"
Ce que, bien sûr, personne ne croit. Et on lui met le couteau sur la
gorge : il faut que, dans les deux mois qui viennent, elle
prenne une décision difficile : garder l'enfant ou continuer
ses études. Elle est placée dans un centre maternel où elle
rencontre d'autres jeunes filles déjà mères. Des paumées, au
sort déjà fixé par la société, et qui sont là en attente d'une
solution de sortie, enviant quelque peu Louise, qui ressemble à ces
filles des beaux quartiers qui, "elles,
ont un chez soi, un amoureux, un boulot, des parents qui les
aiment... Une vie comme on en rêve et qu'on n'aura jamais."
Pendant qu'elle est là, le jeune Samuel mène son enquête pour
savoir ce qui s'est passé. Car Louise, dans son "déni de
grossesse", persiste à ne rien savoir : "tu
cherches à tâtons dans la nuit un sentiment, mais tu n'éprouves
rien, c'est ça le plus effrayant, que ça ne t'appartient pas, comme
si c'était toujours l'histoire de quelqu'un d'autre..."
Isabelle
Pandazopoulos,
dans La
décision,
crée un roman choral, où les chapitres sont tour à tour racontés
à la première personne par Louise qui paraît à la fois accablée, honteuse
et insensible, par ses condisciples que l'affaire dérange (qui est le fautif ?), par les
parents et la famille que tout ça dépasse, par les professionnels
du centre maternel, les seuls (avec Samuel) à être d'une aide
précieuse pour Louise. Tout ça est raconté avec un naturel que la diversité des points de vue des raconteurs charge
d'intensité. On
est vraiment dans la peau des différents personnages, de Louise en
particulier, confrontée à un choix difficile. Mais rien à faire,
elle ne se sent pas mère. Elle a appris à chérir son bébé qu'au
début elle ne voulait toucher qu'avec des pincettes : "c'est
moi qui l'ai mis au monde, ça je l'ai accepté, je l'ai vécu. Je
l'aime mais je ne suis pas sa mère."
De
toute façon, l'enquête va révéler qu'elle a été victime d'un
viol sous GHB, ce qui explique qu'elle ne se souvient de rien.
Cependant elle ne veut "pas
porter plainte".
Mettre l'odieux individu, un de ses copains de lycée à qui elle se
refusait, car n'étant pas sûre de l'aimer, "en
prison, à quoi ça servirait ? Me venger ? Je n'en éprouve
pas le besoin. J'imagine ses remords, le poids qu'il va être obligé
de porter, ça suffit bien comme ça. Et si les autres, les juges,
les flics décident de lui faire un procès, moi, je refuserai d'y
aller. C'est à ces gens-là de faire leur travail. Moi, j'essaie
juste de cesser d'y penser."
Louise donc va prendre la décision que je vous laisse découvrir.
Car l'auteur n'a pas voulu faire un roman à suspense (l'enquête ne
nous intéresse pas vraiment, ce qui compte c'est l'évolution des
sentiments de Louise), car le passé, même s'il est douloureux, est
mort. Ce qui compte, c'est le présent, prendre une décision, et
l'avenir qu'il faudra vivre avec ce poids.
Un
sujet dérangeant, difficile à aborder, voire à supporter, traité
avec beaucoup de délicatesse. Publié dans Scripto,
la belle collection pour ados de Gallimard, le roman est fort, car il
est exempt de jugements ou d'explications simplistes. Aucune thèse,
la vie qui coule, comme le sang sous la porte.
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