Si
nous décidons de changer, d'être différents, d'aspirer à une
liberté, alors les jugements affectifs, sociaux et familiaux nous
obligeront sans cesse à vérifier la force et le bien-fondé de
notre motivation. Les uns qui ne remettent pas en question leur
emprisonnement ont tout intérêt à décourager et à faire abdiquer
les autres qui éprouvent le besoin profond de donner un sens à leur
vie.
(Christian
Hiéronimus, L'art du toucher : initiation à un
toucher conscient et créatif)
Je
sais, pour l'avoir expérimenté à plusieurs reprises, combien il
est difficile de changer, de se changer, d'accepter ses petites –
ou ses grandes – différences, de quitter une ville pour une
autre, de changer d'emploi. On est souvent confronté à des choix
dans la vie. On peut se limiter aux choix simples qui feront plaisir à
l'entourage, qui ne feront aucune vague par rapport au fameux qu'en
dira-t-on, quitte à rester
prisonnier de ses propres préjugés et de ceux de la société
environnante, quitte à vivre une vie qu'on n'a pas réellement
choisie, quitte à se laisser choisir par les vagues de la vie. Et parfois à construire son propre malheur.
Les
femmes égyptiennes victimes de harcèlement sexuel (en particulier
dans les bus, mais pas que là) que l'on voit dans le film Les
femmes du bus 678, savent que
pour se défendre, réclamer leur bon droit, elles doivent sortir du
carcan de l'usage, du silence, du matriarcat, du machisme ambiant, elles doivent se battre, et avoir une
motivation en acier. Tout est fait pour les décourager de porter
plainte. Elles ont elles-mêmes entériné le fait que c'est parce
qu'elles sont aguichantes que les hommes ont ce comportement macho
(en fait, comme on le voit dans le film, un comportement de frustré).
J'étais un des rares mâles dans la salle, encore un film qui ne va pas intéresser les hommes, me disais-je et je vais encore me distinguer, mais compte tenu de mon
propre parcours, je comprenais très bien l'horreur de ces
attouchements incessants, violences et viols. On ne doit rien laisser
passer, car comme dit si bien Sylvie Germain, dans Les
échos du silence : "En
réalité les mots doivent accentuer le silence".
Ne
croyons d'ailleurs pas que les pays arabes soient les seuls
coutumiers de ces pratiques ancestrales.
Je lis dans un roman suédois récent (Katerina Mazetti, Le
mec de la tombe d'à côté)
: "Mais
dans ma famille, c'est simple, on ne frappe pas les femmes. Pas parce
qu'on est particulièrement chevaleresque, j'imagine, plutôt parce
qu'on ne veut pas gâcher une main-d’œuvre précieuse".
On voit que le progrès est plus dû à des réticences d'ordre
matériel que d'ordre moral ou philosophique. D'ailleurs, les femmes
battues, les violences et viols envers les femmes sont très nombreux
en France.
Danièle
Sallenave, dans « Nous,
on n'aime pas lire »,
s'inquiète à juste titre que "notre
société permissive et libérée offre aujourd'hui en effet un
spectacle nouveau et inquiétant : celui d'une relance
extrêmement contraignante des marques de la différence des sexes,
après les années libératrices où les individus avaient la
possibilité de jouer avec elles jusqu'aux limites de la confusion".
Elle remarque que "subir
dès l'âge de treize ans l'assaut d'images d'une sexualité
extrêmement violente ne peut pas être sans conséquence, ni sur
l'avenir de ces enfants, ni surtout sur leurs rapports au présent,
jusque dans les salles de cours".
Oui, on peut être inquiet, pour ne pas dire angoissé, devant ces
images corporelles dévalorisantes véhiculées par la
pornographie envahissante, qui laissent sous-entendre qu'une femme est toujours prête à se laisser prendre, et que
corollairement un homme se doit d'être toujours opérationnel en ce
domaine (cf aussi le personnage masculin du film d'Audiard, De
rouille et d'os).
Il s'ensuit une violence des rapports humains dans nos sociétés
permissives qui n'a rien à envier à celle des sociétés
patriarcales. Sallenave remarque d'ailleurs que les hommes déteignent
sur les femmes chez nous (ce qu'elle a observé dans les collèges, mais que j'ai pu constater dans mon domaine
professionnel) : "la
violence des filles est terrible. Elles se défendent, disent
certains. Elles imitent le modèle masculin diront les autres".
En
tout cas, les trois Égyptiennes
du film font plus que se défendre (la plus démunie culturellement par la violence, les deux autres par un militantisme plus structuré), et les hommes, sauf quelques-uns
(le commissaire de police, le fiancé de Seba), s'y comportent de
façon lamentable. C'est tiré d'une histoire vraie, d'un procès qui
a abouti à ce que le délit sexuel soit reconnu en Egypte. Les
actrices sont formidables, les acteurs aussi. Ça
pourrait être austère, manichéen, ou un film à thèse pour
dossiers de l'écran, ça ne l'est pas du tout, c'est
extraordinairement vivant. Un film que je recommande vivement, surtout qu'il ne sort pas beaucoup de films égyptiens en France !
"Qui
ne dit rien et ne fait rien face aux massacres consent, se constitue
obliquement complice",
nous dit aussi Sylvie
Germain, dans Les
échos du silence.
Rappelons que les massacres commencent par les gestes déplacés que
personne ne combat.
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