lundi 4 juin 2012

4 juin 2012 : se défendre


Si nous décidons de changer, d'être différents, d'aspirer à une liberté, alors les jugements affectifs, sociaux et familiaux nous obligeront sans cesse à vérifier la force et le bien-fondé de notre motivation. Les uns qui ne remettent pas en question leur emprisonnement ont tout intérêt à décourager et à faire abdiquer les autres qui éprouvent le besoin profond de donner un sens à leur vie.
(Christian Hiéronimus, L'art du toucher : initiation à un toucher conscient et créatif)

Je sais, pour l'avoir expérimenté à plusieurs reprises, combien il est difficile de changer, de se changer, d'accepter ses petites – ou ses grandes – différences, de quitter une ville pour une autre, de changer d'emploi. On est souvent confronté à des choix dans la vie. On peut se limiter aux choix simples qui feront plaisir à l'entourage, qui ne feront aucune vague par rapport au fameux qu'en dira-t-on, quitte à rester prisonnier de ses propres préjugés et de ceux de la société environnante, quitte à vivre une vie qu'on n'a pas réellement choisie, quitte à se laisser choisir par les vagues de la vie. Et parfois à construire son propre malheur.
Les femmes égyptiennes victimes de harcèlement sexuel (en particulier dans les bus, mais pas que là) que l'on voit dans le film Les femmes du bus 678, savent que pour se défendre, réclamer leur bon droit, elles doivent sortir du carcan de l'usage, du silence, du matriarcat, du machisme ambiant, elles doivent se battre, et avoir une motivation en acier. Tout est fait pour les décourager de porter plainte. Elles ont elles-mêmes entériné le fait que c'est parce qu'elles sont aguichantes que les hommes ont ce comportement macho (en fait, comme on le voit dans le film, un comportement de frustré). J'étais un des rares mâles dans la salle, encore un film qui ne va pas intéresser les hommes, me disais-je et je vais encore me distinguer, mais compte tenu de mon propre parcours, je comprenais très bien l'horreur de ces attouchements incessants, violences et viols. On ne doit rien laisser passer, car comme dit si bien Sylvie Germain, dans Les échos du silence : "En réalité les mots doivent accentuer le silence".
Ne croyons d'ailleurs pas que les pays arabes soient les seuls coutumiers de ces pratiques ancestrales. Je lis dans un roman suédois récent (Katerina Mazetti, Le mec de la tombe d'à côté) : "Mais dans ma famille, c'est simple, on ne frappe pas les femmes. Pas parce qu'on est particulièrement chevaleresque, j'imagine, plutôt parce qu'on ne veut pas gâcher une main-d’œuvre précieuse". On voit que le progrès est plus dû à des réticences d'ordre matériel que d'ordre moral ou philosophique. D'ailleurs, les femmes battues, les violences et viols envers les femmes sont très nombreux en France.
Danièle Sallenave, dans « Nous, on n'aime pas lire », s'inquiète à juste titre que "notre société permissive et libérée offre aujourd'hui en effet un spectacle nouveau et inquiétant : celui d'une relance extrêmement contraignante des marques de la différence des sexes, après les années libératrices où les individus avaient la possibilité de jouer avec elles jusqu'aux limites de la confusion". Elle remarque que "subir dès l'âge de treize ans l'assaut d'images d'une sexualité extrêmement violente ne peut pas être sans conséquence, ni sur l'avenir de ces enfants, ni surtout sur leurs rapports au présent, jusque dans les salles de cours". Oui, on peut être inquiet, pour ne pas dire angoissé, devant ces images corporelles dévalorisantes véhiculées par la pornographie envahissante, qui laissent sous-entendre qu'une femme est toujours prête à se laisser prendre, et que corollairement un homme se doit d'être toujours opérationnel en ce domaine (cf aussi le personnage masculin du film d'Audiard, De rouille et d'os). Il s'ensuit une violence des rapports humains dans nos sociétés permissives qui n'a rien à envier à celle des sociétés patriarcales. Sallenave remarque d'ailleurs que les hommes déteignent sur les femmes chez nous (ce qu'elle a observé dans les collèges, mais que j'ai pu constater dans mon domaine professionnel) : "la violence des filles est terrible. Elles se défendent, disent certains. Elles imitent le modèle masculin diront les autres".
En tout cas, les trois Égyptiennes du film font plus que se défendre (la plus démunie culturellement par la violence, les deux autres par un militantisme plus structuré), et les hommes, sauf quelques-uns (le commissaire de police, le fiancé de Seba), s'y comportent de façon lamentable. C'est tiré d'une histoire vraie, d'un procès qui a abouti à ce que le délit sexuel soit reconnu en Egypte. Les actrices sont formidables, les acteurs aussi. Ça pourrait être austère, manichéen, ou un film à thèse pour dossiers de l'écran, ça ne l'est pas du tout, c'est extraordinairement vivant. Un film que je recommande vivement, surtout qu'il ne sort pas beaucoup de films égyptiens en France !
"Qui ne dit rien et ne fait rien face aux massacres consent, se constitue obliquement complice", nous dit aussi Sylvie Germain, dans Les échos du silence. Rappelons que les massacres commencent par les gestes déplacés que personne ne combat.

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