Il
pourrait ici, homme nouveau parmi des hommes nouveaux, gagner une
nouvelle et bonne opinion de lui-même.
(Léon
Tolstoï, Les
Cosaques)
Nous
vivons une époque terrible. En peu de mois, j'ai perdu trois
connaissances ou amis morts prématurément : Pascal (40 ans),
en janvier, d'un cancer foudroyant, Patricia (55 ans), en avril, des
suites d'un cancer long et récidivant, et Romain (27 ans), dont j'ai
appris hier le suicide.
Pascal,
je ne le connaissais pas beaucoup. Claire avait travaillé pendant
quelques mois avec lui, pendant ses quelques mois au centre de
documentation du Musée. Je l'ai revu par hasard peu avant de quitter
Poitiers. Il essayait de se rebâtir une nouvelle vie, après des
années d'homme à tout faire au Musée. Il avait suivi des
formations diplômantes en massages et soins corporels, et avait son
contrat d'embauche comme employé qualifié dans ces domaines au sein
de l'unité de soins corporels (spa, sauna, massages, pédicure, etc)
du nouvel hôtel Mercure **** qui devait ouvrir à Poitiers, et qui a
ouvert le mois dernier sans lui. Dommage, cet homme jeune n'a pas pu
gagner cette bonne opinion de soi-même que le Musée ne lui avait
pas offerte.
Patricia,
qui avait fait sa reconversion au début des années 90 sous ma
houlette (de danseuse, elle devenait bibliothécaire), avait eu une
vie particulièrement chaotique : retirée enfant à ses
parents, placée en famille d'accueil (heureusement excellente), elle
avait réussi à transcender toutes ses difficultés de jeunesse.
Pourtant, sa vie privée d'adulte n'avait pas été une réussite :
mariage raté, unique bébé mort en bas âge... Je l'ai retrouvée
l'an dernier, et j'espère avoir pu adoucir ses derniers mois par mes
visites fréquentes, les lectures à haute voix (dont La vie de
Cézanne, qu'elle avait beaucoup apprécié, elle qui avait fait
une licence d'histoire de l'art), nos sorties au soleil et nos
conversations à bâtons rompus au Parc de Blossac. Hélas, la
maladie, contre quoi elle luttait depuis bientôt cinq ans, a eu
raison d'elle.
Je
connaissais encore moins Romain, cousin d'I., chez qui je dors assez
souvent quand je viens à Poitiers. Pourtant, nous habitions dans la
même tour des Couronneries, et je l'avais rencontré plusieurs fois
dans l'ascenseur, qui allait promener son petit chien. Romain était
d'une maigreur phénoménale. Il arborait un visage profondément
mélancolique. I. m'a appris que son cousin n'acceptait pas son
homosexualité et en souffrait beaucoup : il n'avait pas une
bonne opinion de lui-même. Je ne connais évidemment pas les détails
sur son suicide. Il y a environ trois semaines, nous avions
pique-niqué ensemble tous les trois, puis étions allé voir au
cinéma Maman, le film avec Josiane Balasko. Je ne l'ai pas
revu depuis. I. m'a envoyé hier au soir un sms douloureux.
Certes,
je lis dans une nouvelle d'Arno Schmidit, de son recueil Histoires :
"Je trouve plus de
consolation dans l'idée de la mort qu'en l'idée d'une vie
éternelle". Je regrette pourtant
que la mort fauche prématurément. Je sais bien que nous ne sommes
pas éternels, et d'ailleurs tant mieux. Mais quand même... Je
m'efforce de vivre intensément chaque minute qui passe : "Un
vrai vivant, il lui suffit de vivre – d'être tout entier présent
à son présent", dit Georges Hyvernaud. Mais la douleur de la
disparition des personnes connues et peu ou prou aimées est
justement d'autant plus forte. Car je suis tout entier dans l'instant
qui passe et dans sa fugacité. Et peut-être que chaque mort
annoncée me parle aussi – en filigrane – de la mienne à venir.
Ce qui ne me rend pas triste, mais sérieux. C'est toujours
douloureux de voir partir quelqu'un, c'est comme si une parcelle de
soi disparaissait avec.
Marius Noguès, au centre, entre Guy Bordes et Michel Ragon
Marius Noguès, au centre, entre Guy Bordes et Michel Ragon
Tiens,
et aussi il y a cinq jours, mon vieil ami (92 ans) le paysan et
écrivain Marius Noguès est mort. Décidément, ça fait beaucoup.
On peut toujours relire ses livres. Et aussi ce que j'ai écrit sur
lui. Relisons Danièle Sallenave : "évidemment, ça
n'est pas « interdit » de ne pas lire, mais est-ce
satisfaisant ? Est-ce qu'en exerçant à plein son
« droit de ne pas lire », on ne se retrouve pas privé de
quelque chose d'essentiel ? S'il n'est pas forcément bon de
lire, il est possible aussi qu'il ne soit pas bon de ne
jamais rien lire. […] Comment aurait-on accès, si on ne lit
pas, à toute cette part de nous-mêmes, nous humains, qui s'est
fixée dans les livres ?"
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