mercredi 16 octobre 2024

16 octobre 2024 : humiliés et opprimés

 

Andromaque : 

Les grands malheurs ont l’avantage 

De vous libérer de la crainte (scène 7)

(Sénèque, Les Troyennes, trad. Florence Dupont, Actes sud, 2018)

 

                    Je vais vous parle aujourd'hui de 3 films qui ont le mérite de mettre en lumière des oppressions qui peuvent être politiques, sociales, économiques, sexistes, et que j'ai vus récemment. L'oppression est même un thème assez récurrent au cinéma, ça peut concerner un peuple entier (Palestiniens, Ouïghours, Rohingyas, Mapuches, la liste est longue), les misérables (migrants, SDF, là aussi, la liste est longue), ou des personnes discriminées par le genre (les femmes, les homosexuels, etc.) ou leur état (vieux, handicapés, etc). On me dit souvent : "Mais pourquoi vas-tu voir ces films qui foutent le moral à plat ?"  Et je réponds : Moi, ils me remontent le moral, d'abord parce que je vois que je n'ai pas le droit de me plaindre, ensuite pour garder un moral de combattant contre toutes ces malheurs, et il y a de quoi faire, si on veut qu'un jour le monde aille mieux !"


 

                    Prenons le cas de l'héroïne de Ma vie ma gueule. Il s'agit d'une femme vieillissante, la cinquantaine entamée, Barberie Bichette (déjà son nom de famille n’était pas terrible, mais son prénom est devenu Barbie !) ne va pas très bien, mentalement (elle consulte un psy, ce qui sonne lieu à des scènes qui m'ont confirmé que les psys, c'est pas pour moi), physiquement (elle décèle son mal-être grandissant quand elle se voit dans les miroirs) et socialement (ce monde hyper compétitif n'est plus pour elle). Elle passe un certain temps en hôpital psychiatrique, où elle est pas loin de toucher le fond. Je vous laisse découvrir la fin, où elle accomplit un voyage qui lui permet de proclamer : "J'existe. Me voilà !". Un film mélancolique, touchant (Agnès Jaoui est magique) et qui démontre que rien n'est jamais fini.


 

                     Souleymane, lui, n'a pas trop le temps de ressasser ses malheurs et ses difficultés. C'est qu'il pédale sans trêve toute la journée, pour livrer des plats cuisinés à domicile, puis court après le bus pour rentrer chez lui (un dortoir chez un marchand de sommeil), doit se battre pour payer ses créanciers (il doit une partie de ses maigres rémunérations à celui qui lui loue un compte de livreur à vélo), pour obtenir un plat à livrer chez un restaurateur qui fait exprès de le faire attendre (le racisme ordinaire)... Car Souleymane est un noir, un migrant récemment arrivé, et démuni de papiers : c'est un parcours de combattant auprès de l'OFPRA*, auquel il doit fournir une histoire sinon authentique, au moins ayant l'aspect du véridique, et qu'il a dû acheter auprès d'un compatriote (car ces derniers ne font pas de cadeaux aux nouveaux arrivants). Tout en mouvement, toujours cavalant, le jeune homme doit sa survie à une rage de vivre. Mais cette rage va-t-elle suffire dans cet esclavage moderne de la société libérale qu'il subit ? L'acteur, non professionnel et sans titre de séjour, est  prodigieux. Un film néo-réaliste à la De Sica.


 

                    Le dernier film, No other land, est un documentaire sur la Cisjordanie et les villages détruits et rasés par l'armée israélienne pour créer un prétendu camp militaire pour l'entraînement des chars. Basel Adra, un jeune militant palestinien du village de Masafer Yatta, se bat depuis longtemps contre l’expulsion massive de sa communauté par l’occupation israélienne : les soldats démolissent progressivement les maisons et chassent leurs habitants. Les images, captées sur plusieurs années par des téléphones et des caméras plus ou moins cachés, proviennent directement de l’intérieur des villages palestiniens. Dans cette région, chaque jour une famille palestinienne doit endurer la soldatesque brutale, la destruction et quitter les terres familiales (et ce ne sont pourtant pas des terroristes ! mais qui ne le deviendrait pas, soumis à un tel régime ?). C'est donc un documentaire à valeur de témoignage et acte de résistance artistique collective : sur les quatre cinéastes l’ayant coréalisé, deux sont palestiniens vivant en territoires occupés, et deux sont des citoyens israéliens libres et opposés à la guerre. Un utile contrepoids à la propagande du gouvernement israélien qui infeste nos "merdias", journaux, magazines papier et télévisuels.

 

* Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides.



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